Rennes les Bains, un enjeu pour la Haute Vallée de l’Aude ?

Quel avenir pour la dernière station thermale de l'Aude ?

(2ème partie)

Nous avons, dans un premier article, présenté Rennes les Bains qui est la dernière station thermale en activité dans l’Aude (1). Malgré la qualité de leurs eaux reconnues depuis l’antiquité, les thermes de Rennes les Bains semblent traverser actuellement une mauvaise passe. Il a paru nécessaire au Clairon d’aller plus loin dans la présentation de la situation, pour alerter le public et les élus, car nous sommes persuadés que la fermeture de cette station thermale, qui dispose de beaucoup d’atouts, aurait de fortes répercussions sur le tissu économique et social de la Haute Vallée de l’Aude.

La rédaction

Thermalisme (Image par Tumisu de Pixabay)

Situation générale du thermalisme en France. (2).

La France dispose de 110 établissements thermaux répartis dans 90 stations thermales (chiffres 2019). Leur fréquentation s’est effondrée en 2020/2021 en raison de la pandémie Covid 19 et la reprise « normale » des activités de ces établissements n’a pas retrouvé actuellement le niveau de 2019 où l’activité était en pleine progression.  Avec 437 000 clients en 2022 ce sont près de 25% qui manquent par rapport à 2019.

L’impact économique du thermalisme est loin d’être négligeable

Ce sont plus de 100 000 emplois directs, indirects ou induits qui dépendent du thermalisme. (3) 850 médecins thermaux exercent en France. 100 curistes supplémentaires génèrent 6 emplois. En 2019 les cures thermales (soins et frais annexes) dégageaient un chiffre d’affaires total de près de 5,8 Mds €

Au plan local
71% des communes thermales ont moins de 5 000 habitants et souvent cette activité constitue l’essentiel de leurs ressources. (Par ex : dans les stations thermales des Landes, près d’un commerçant sur 5 s’estime dépendant de ce marché qui représente plus de 50% de son chiffre d’affaires.
690 millions € sont dépensés, hors soins thermaux, par les curistes, dont 47% pour l’hébergement où ce sont 11,4 millions de nuitées effectuées par les curistes et leurs accompagnants (en moyenne 34% des curistes sont accompagnés).

Les cures conventionnées en France : un système particulier

L’efficacité des soins thermaux est reconnue par l’Académie de Médecine depuis 1947 et l’État a pris en compte le thermalisme comme l’une des composantes du système de santé. C’est à ce titre que l’Assurance Maladie prend en charge dès 1950 une partie du coût des soins (entre 60 et 70 % du tarif conventionnel) le reste étant à charge du curiste ou de sa complémentaire santé. En 2020 le coût moyen des soins thermaux était de 560 € pour une durée de cure fixée à 3 semaines dont 18 jours de soins. Selon le rapport annuel 2019 de la Cour des comptes, les cures thermales représentaient une dépense de 270 millions d’euros pour l’Assurance maladie, ce qui représente 0,15 % du total de ses prestations de remboursement.

Un secteur fragile en pleine mutation

La fermeture des établissements pendant la crise sanitaire de 2020/2021 et la crainte d’une contamination au Covid-19 qui perdure chez les personnes âgées, lesquelles représentent la majorité des curistes, ont provoqué une baisse de fréquentation dont les conséquences financières se répercutent sur les établissements thermaux, mais aussi sur les communes.
Certains thermes, aidés par leurs collectivités et/ou par des financements d’État ou de l’Europe, se sont orientés vers de nouveaux produits, non conventionnés, dans le secteur du bien être ou des thérapies naturelles ; des formules de séjours courts avec prestations thermales sont aussi proposées aux touristes, etc. Mais beaucoup d’établissements, qui n’ont pas su ou pu évoluer, se sont trouvés dans des situations difficiles, suite à la pandémie mais pas seulement.
La perte de la clientèle des curistes est aussi provoquée par la baisse de qualité des prestations : des locaux et équipements vétustes dans les thermes, une perte d’attractivité des communes, des conditions d’hébergement médiocres, etc. Assez généralement, les investissements nécessaires au maintien de la qualité des installations n’ont pas été faits à temps et l’actualisation de ces installations aux standards actuellement en vigueur n’est financièrement plus possible. Alors s’engendre un cercle vicieux qui, dans plusieurs cas, s’achève par le dépôt de bilan, voire  la fermeture de la station.

L’entrée de thermes de Rennes les Bains : état actuel (photo HR)

Le cas particulier des thermes de Rennes les Bains [|[Sources entretiens + rapport BRGM 2010]]

Une remarquable ressource en eau thermale

L’activité thermale de Rennes les Bains est très ancienne, ainsi que nous l’avons indiqué dans notre premier article. L’eau thermale était déjà appréciée chez les Gallo-Romains, puis les Romains pour ses vertus curatives.
Actuellement, les indications thérapeutiques reconnues pour les eaux de Rennes les Bains concernent le traitement des affections rhumatologiques et les séquelles traumatiques. Selon une étude statistique publiée en 1966, elles seraient particulièrement efficaces dans le traitement du rhumatisme dégénératif.
Ces traitements associent la température des eaux (35° à 43°C) et le contact direct des eaux chargées de minéraux actifs avec les muqueuses et la peau. Les minéraux actifs identifiés par la médecine pour leur action thérapeutique sont principalement : le calcium, le magnésium, le lithium ainsi que des bicarbonates.

Le fonctionnement schématique du circuit hydrothermal

  1. L’eau de pluie s‘infiltre dans le sol sur une surface étendue qui constitue l’aire d’alimentation,
  2. L’eau infiltrée descend lentement à travers différentes couches géologiques, se réchauffe dans cette descente (+3°/100m en moyenne) et se charge de minéraux,
  3. A un certain degré de pression et de température, l’eau remonte à travers des systèmes de failles (axe de fracturation ouverte) tout en détendant les gaz qu’elle contient et en s’oxydant.

Schéma de principe du circuit hydrothermal (source rapport BRGM 2010)

Actuellement, la ressource en eau exploitée par les activités thermales repose à la fois sur une source aménagée, dite des « Bains forts », dont la température varie entre 41 et 46° et un forage, dit « forage Yvroux » à 1200 m de profondeur, qui produit une eau à 34°C qui est la seule ressource en eau minérale utilisée par les thermes. Sa température, trop basse pour un usage thermal, est réchauffée en utilisant l’eau de la source des « Bains forts » par un échangeur à plaque (température de l’eau de la piscine de la cure et des douches à 38°C).

La situation actuelle de Rennes les Bains

État technique des équipements
Les thermes de Rennes les Bains ont connu plusieurs fermetures, suite à des pollutions des eaux liées notamment à une contamination des griffons (4) par des eaux superficielles suite à des pluies ; cf. inondations de 1992]], mais aussi en 2008 sur le «forage Yvroux», pourtant réalisé en 1994 dans le but de disposer d’une ressource en eau minérale stable et de qualité constante, ce que les émergences naturelles ne permettaient pas de garantir.
Après une fermeture administrative de 3 ans, due à des malfaçons sur le forage « Yvroux », les thermes ont rouvert en 2011 après des travaux de mise aux normes.

De par sa situation dans la haute vallée de l’Aude, dans un territoire peu artificialisé, la ressource et la qualité des eaux minérales de Rennes les Bains ne semblent pas menacées dans un futur prévisible. Selon les conclusions du rapport du BRGM : «il est raisonnable de considérer que la préservation de la ressource et la protection du gisement sont fortes et que les risques de dégradation du fluide thermal sont mineurs».
Mais le BRGM insiste sur l’amélioration du système de suivi d’exploitation ainsi que de la maintenance des thermes et recommande «la réalisation d’un ouvrage de secours de profondeur optimisé» en cas de déficience du forage «Yvroux», ainsi que l’installation d’un piézomètre pour suivre l’évolution de la nappe aquifère profonde.

Situation financière
Jusqu’en 1970, les thermes sont exploités par des sociétés privées. La situation financière se dégrade avec la «Société Rennes Thermale» et c’est la commune de Rennes les Bains qui rachète les thermes afin de maintenir l’activité. Les installations thermales sont alors l’objet d’importantes rénovations financées par des fonds publics engagés dans le cadre d’un contrat thermal. Malheureusement, suite à une contamination bactériologique qui serait due à des travaux, la fermeture administrative de 3 ans du forage «Yvroux» met à mal les finances communales. Menacée d’une mise en tutelle, la commune vend en 2011 -in extremis- les thermes et la «Résidence de la Reine» à une société privée.

Cette société, une SARL intitulée «Les Thermes de Rennes les Bains», créée le 14/12/2010, ne réalise pas d’investissements à la hauteur des besoins de l’établissement, tandis que les locaux et équipements se dégradent lentement et que les frais d’entretien sont réduits au minimum. La situation financière déjà dégradée, se trouve encore aggravée par une fermeture des thermes liée à la pandémie du COVID 19, ce qui aggrave les difficultés de la SARL à redresser les comptes.
Les défaillances de la SARL aboutissent au 1er juin 2022 à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Les thermes de Rennes les Bains sont actuellement exposés à un risque fort de fermeture :

  • d’une part si les moyens au nécessaires au redressement de la SARL ne sont pas trouvés,
  • d’autre part si, par manque d’investissements et d’entretien, l’état des thermes provoque leur fermeture par l’ARS.

Les conséquences d’une fermeture des thermes ne se limiteraient pas à la seule commune de Rennes les Bains, mais elles se répercuteraient sur toute la Haute Vallée de l’Aude, en impactant particulièrement l’économie locale : emplois, tourisme, attractivité, etc. On imagine difficilement que cette situation ne mobilise pas les pouvoirs publics. Dans un 3ème volet de notre dossier consacré à cette station thermale, nous essayerons de connaître leurs positions.

La rédaction du Clairon de l’Atax le 19/02/2023

Pour en savoir plus

Rapport 2019 du CNETh
https://www.medecinethermale.fr/curistes/la-medecine-thermale-aujourdhui/le-thermalisme-en-chiffres.html

Rapport 2019 de la Cour des comptes
https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/11-thermalisme-collectivites-territoriales-systeme-fragile-Tome-1.pdf

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Notes:
  1. https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2022/11/23/rennes-les-bains-un-enjeu-pour-la-haute-vallee-de-laude/
  2. Source CNETh (Conseil national des établissements thermaux)
  3. 26 000 emplois dans les établissements de cure en 2019
  4. lieu d’où jaillit une source d’eau minérale ; dictionnaire de l’Académie française 8ème édition

Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

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