Nucléaire : la magie du verbe ne fait pas tout

En tout cas l’efficacité de la loi "sur l'accélération des procédures, etc." est au moins assurée sur un point, celui des dérogations à la règlementation de protection de l’environnement.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

La magie du verbe (Image par 愚木混株 Cdd20 de Pixabay)

Le 6 avril dernier, la commission d’enquête parlementaire sur l’énergie rendait un rapport très critique sur la politique énergétique menée par la France. (1) Pourtant quelques semaines plus tard, le 16 mai dernier, les députés ont adopté, à l’issue d’un débat frénétique, la « loi relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes ». La raison aurait voulu qu’avant de relancer la filière nucléaire française on réfléchisse tout d’abord aux moyens de résoudre les nombreux et graves problèmes posés par son fonctionnement actuel et qu’on se donne les moyens humains, techniques et financiers, de les résoudre : il n’en est rien ou alors c’est secret. Les paroles du chef, E. Macron, prononcées le 10 février 2020 à Belfort, se sont incarnées en une loi. “En marche”, donc !

Un intitulé de loi fort long, mais qui ne dit pas tout

Selon son titre, la loi serait censée créer les conditions favorables à une accélération de la construction de nouveaux équipements nucléaires. Il s’agirait d’un ensemble de dispositions techniques, règlementaires et administratives, mais il se glisse dans ce texte des dispositions plus fondamentales qui touchent à la politique française en matière d’énergie, mais en aussi en matière de protection de l’environnement !

  • Tout d’abord le texte adopté supprime l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50% du mix énergétique français à l’horizon 2035 qui avait été décidé sous le mandat de F. Hollande. Il déplafonne aussi la capacité de production nucléaire qui avait été fixée à 63,2 gigawatts. Ces modifications vont entrainer une révision de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) (2)
  • Au plan environnemental, les constructions situées dans l’emprise des centrales nucléaires seront exemptées de l’application de la règle ZAN (Zéro Artificialisation Nette) (3) qui oblige les collectivités locales à réduire de 50% leur consommation d’espaces naturels et agricoles à des fins de construction. Cela implique pour les élus des collectivités concernées la possibilité de maintenir un certain rythme dans la création de lotissements et d’attribution de permis de construire, au détriment de la protection des sols, de la biodiversité, du maintien de la ressource agricole.
    De plus, les chantiers des futures centrales en bord de mer seront exemptés du respect de la Loi Littoral s’ils sont construits aux abords de centrales existantes.
    Pour résumer cette loi de façon schématique et certes un peu caricaturale : elle déconstruit un ensemble de mesures et de règlementations pour mieux construire !

Une loi à l’efficacité problématique ?

L’objectif proclamé de la relance du nucléaire est de redonner à la France une autonomie énergétique que le nucléaire était censé lui avoir donné…Il s’agit aussi de produire une énergie réputée pas chère et décarbonée (cf. débats sur la place du nucléaire dans la taxonomie verte européenne). Mais rien n’est moins sûr que la relance du nucléaire réalise ces objectifs.
Dans les divers scénarios établis par RTE (le gestionnaire des réseaux d’électricité)  pour éclairer les décideurs sur un choix en matière de politique énergétique, le scénario intitulé « Futurs énergétiques » établit que si la France mettait en service 14 nouveaux EPR ceux-ci ne produiraient, compte tenu de l’évolution des besoins, que 24 % de la production d’électricité en 2050 et au maximum 28%, en supposant la mise en service de petits réacteurs modulaires  (SMR) supplémentaires. Même en maintenant en activité les centrales actuelles dont on aurait prolongé la durée de vie, on atteindrait à peine selon les calculs de RTE 50% de part du nucléaire c’est-à-dire moins de ce qu’il représente actuellement (69% en 2021).
Or, pour le moment c’est seulement la construction de 6 nouveau EPR qui est annoncée par E. Macron….

Beaucoup de bruit pour peu d’efficacité ?

La bataille parlementaire a été rude. La loi a été adoptée par 399 voix “pour”, 100 “contre” et 39 abstentions dans une ambiance “électrique”. La gauche s’est divisée : tandis que les Écologistes et la France insoumise votaient “contre”, le Parti communiste votait “pour” alors que les socialistes s’abstenaient. Le centre, la droite et l’extrême droite (Modem Renaissance, Horizon, LIOT, Républicains, Rassemblement national) ont voté “pour”.

Pour autant, rien n’est moins sûr que la relance du nucléaire se réalise selon les vœux de ses partisans : les questions et problèmes relatifs :

  • aux investissements nécessaires pour créer de nouveaux réacteurs,
  • à la prolongation de la vie du  parc existant,
  • à la capacité opérationnelle d’Edf,
  • à l’impact du changement climatique sur le fonctionnement des réacteurs,

mais aussi au traitement et au stockage des déchets déjà produit par la filière nucléaire, ne sont pas actuellement maîtrisés.

Cette loi, dont le résultat ne faisait pas de doute en raison de la division de l’opposition au gouvernement, avait été critiquée par le réseau « Sortir du nucléaire » et par « Greenpeace » qui la qualifiaient de « loi de relance du fiasco nucléaire qui dit enfin son nom » et de « loi en déconnexion totale avec les impératifs écologiques et climatiques » (4).

La magie du verbe d’E Macron, censée mettre en marche un pays vers la reconquête de son autonomie et de sa puissance en matière de nucléaire civil, semble à la fois dangereuse et inefficace dans sa réalisation. L’idée qu’il faut avancer même si on n’a pas de solutions à tous les problèmes posés, mais qu’on les trouvera au fur et à mesure de notre avancement, est aberrante en matière de nucléaire en raison des risques encourus et des moyens mobilisés. De plus le problème du traitement et du stockage des déchets issus de la fission nucléaire, qui n’est toujours pas résolu de manière satisfaisante, témoigne des limites de ce genre de pari.
En tout cas l’efficacité de cette loi est au moins assurée sur un point, celui des dérogations à la règlementation de protection de l’environnement.

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2023

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Notes
  1. cf. clairon avril https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2023/04/23/un-rapport-parlementaire-renforce-linquietude-sur-lavenir-de-la-filiere-nucleaire-francaise/[]
  2. https://www.ecologie.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-lenergie-ppe[]
  3. https://www.ofb.gouv.fr/la-demarche-zan-zero-artificialisation-nette[]
  4. https://www.greenpeace.fr/espace-presse/acceleration-du-nucleaire-fin-de-parcours-legislatif-pour-une-loi-hors-sol/[]
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