(Incendie dans la garrigue à Montredon-des-Corbières)
Mercredi 5 juillet, un incendie a ravagé 130 hectares sur la commune de Montredon-des-Corbières près de Narbonne. Un évènement tragiquement banal. Les services de prévention qualifiaient le risque de « sévère ». La végétation était très sèche. Un vent violent et un soleil de plomb complétaient les conditions idéales pour qu’une étincelle suffise. L’incendie a ravagé tout le flanc nord de la vallée du Castellas que nous décrivions le mois dernier à l’occasion de la Ronde des Sources. C’est sur ce flanc que doit passer la déviation de la route départementale 6113, si le projet d’ouvrage écrêteur de cru porté par le Syndicat Mixte du Delta de l’Aude (SMDA) voit le jour.
Le pylône de départ du feu et une Montjoie dans un décor de cendres (photo LF)
C’était un professionnel, il avait donc le droit
L’étincelle est venue d’une débroussailleuse entrant en contact avec l’armature métallique d’un pylône haute tension d’après l’expert feux de forêts du service départemental d’incendie et de secours de l’Aude. La débroussailleuse a été retrouvée. Latitude : 43.17411, Longitude : 2.90211.
L’arrêté préfectoral du 01 juillet 2021 portant réglementation de certains travaux mécaniques dans le cadre de la prévention des incendies de forêt, interdit aux particuliers l’usage d’une débroussailleuse en cas de risque « sévère » dans ce type de massif. Les professionnels eux, ne voient leurs activités restreintes qu’à partir du niveau « très sévère ». Selon l’expert, il s’agirait justement d’une entreprise mandatée par RTE pour entretenir les abords des pylônes électriques, il avait donc le droit. Il reste à savoir s’il a mis en œuvre les précautions de rigueur. Ouvertement soulagé d’être face à un accident et pas à un pyromane, l’expert relativise. La zone a déjà brûlé en 2016, il y a un couloir de feu entre Ornaisons et les Hauts de Narbonne orienté dans l’axe du vent sec et violent appelé ici le Cers. Les incendies sont dans des conditions idéales pour se propager et leur chemin passe par la vallée du Castellas. La végétation y est caractéristique du passage récurrent du feu et forme un matorral, une forme dégradée de forêt faite d’arbustes, de prairies sèches et d’arbrisseaux typique des climats méditerranéens. Désabusé, il ajoute que tant qu’il y aura des pylônes au milieu de la garrigue ce type d’accidents se reproduiront.
Depuis le départ de l’incendie, la vallée du Rec de Veyret est invisible. Pourtant selon l’expert, un départ de feu à cet endroit devait nécessairement la ravager. Le feu ne pouvait pas être arrêté plus tôt, et les services de protection contre les incendies ne manquent aucune occasion de le signaler.
Le feu s’est propagé jusqu’à la route départementale 6113 et les vignes qui la bordent. Celles-ci forment un coupe feu sur lequel les pompiers ont pu s’appuyer pour fixer l’incendie, la route leur permettant d’acheminer les moyens de lutte contre l’incendie.
Joël Bert, porte parole des viticulteurs est consterné. Ses vignes ont bien joué leur rôle face à l’incendie mais ce n’est pas de cela qu’un viticulteur vit. Elles sont brûlées et ne donneront pas de récolte. L’année s’annonçait de toute façon mauvaise, la sécheresse du printemps est venue amplifier une situation qui se dégrade. La poussière des carrières toute proche n’arrange rien. Maintenant il lui faut les moyens pour replanter. Un terrain laissé en friche se comporte comme une mèche pour l’incendie insiste-t-il en montrant la déprise agricole dans la vallée.
Le 10 juillet la commune de Montredon-des-Corbières, des associations de viticulture et de chasse et le comité des feux de forêts ont porté plainte auprès de la gendarmerie de Narbonne.
Des lignes à haute tension dans la garrigue
La ligne haute tension en 63 kV (kiloVolts) date de 1935 lors de l’électrification de la voie ferrée entre Montauban et Sète. Elle reliait alors la sous-station d’alimentation de Lézignan-Corbières à celle de Narbonne. En 1979, à l’occasion de la création du poste de la Livière à Narbonne, la ligne fut déroutée pour connecter ce nouveau poste à la sous-station de Lézignan-Corbières. Cette même connexion est également réalisée par une autre ligne en 63kV passant plus au nord. Enfin deux lignes en 225 kV suivent des tracés parallèles pour rejoindre le poste centre de La Gaudière près de Lézignan-Corbières depuis le poste de La Livière à Narbonne.
La ligne haute tension passant par le couloir de feu est donc une ligne redondante.
Aucune de ces lignes n’est enfouie, pourtant il s’agit d’une méthode pour réduire drastiquement le risque incendie.
RTE, responsable des lignes à haute et très haute tension, explique qu’une ligne souterraine revient de deux à quatre fois plus chère qu’une ligne aérienne. Selon un rapport de 2015 de l’Agence de coopération de régulateurs de l’énergie (ACER), l’enfouissement pourrait même générer un coût de quatre à huit fois plus élevé. Le mode de calcul donne un poids important à l’investissement initial et peut être contesté. En effet, les coûts d’exploitation sont plus importants pour les lignes aériennes. L’ordre de grandeur est de quatre à cinq. De surcroît, les lignes enfouies subissent dix fois moins d’avarie. Ces données ne chiffrent pas les dégâts directement imputables aux incendies provoqués par la présence des lignes, dont 220 hectares à Aigne et Mailhac en juillet 2022 ou 130 hectares à Montredon-des-Corbières cette année. Dans la plupart des cas l’investissement est rentable sur le long terme. Le frein à l’enfouissement des lignes est ailleurs.
Aujourd’hui, la France possède plus de 100 000 kilomètres de lignes aériennes à haute et très haute tension. Enterrer tout ce réseau reviendrait à faire exploser la facture d’électricité dans un premier temps pour la faire réduire ensuite. Étant donné la sensibilité sociale du coût de l’énergie, les décideurs publics s’y refusent. D’autant plus que l’indemnité perçue par les collectivités pour chaque pylône incite les élus à s’en accommoder.
Les lignes haute ou très haute tension enterrées sont très rares en France. L’enfouissement de lignes existantes n’est jamais envisagé et seules quelques lignes nouvelles sont enfouies. Elles correspondent à un choix contraint pour RTE comme dans le cas du renforcement de la liaison France-Espagne au niveau du col du Perthus.
Il apparaît que dans les zones fortement ventées, soumises à un fort risque d’incendie, l’enfouissement serait un investissement très vite rentabilisé.
Tout pousse à penser que cette ligne haute tension si dangereuse n’est qu’une relique du passé que RTE maintiendra tant que les pylônes tiendront debout. RTE ne s’interrogera sur l’utilité et la rentabilité de cette ligne spécifique que lorsqu’elle devra envisager de gros travaux de renouvellement. Gageons qu’à cette occasion elle choisira de la supprimer. D’ici là, elle aura peut-être encore fait brûler la garrigue deux ou trois fois ! Il existe un autre scénario, si des élus du territoire prenaient en main ce sujet et accélèrent le cycle. Mais d’ici la fin de l’été, d’autres garrigues, d’autres pinèdes auront brûlé. Et tous auront oublié la jolie vallée du Rec de Veyret.
La déviation de la route départementale 6113
Pour Joël Bert, représentant des viticulteurs, si une déviation de la route départementale était réalisée, elle formerait un rempart pour ses vignes contre le feu. Et si la déviation pouvait relier directement les Corbières à l’hôpital privé, cela permettrait d’arrêter les incendies plus efficacement à ses dires, en plus d’éloigner les camions qui nuisent à ses cultures. Il pense que le projet porté par le SMDA est un bon projet. Il connaît la vallée. Il la cultive depuis tant d’années. Il détaille avec passion ce qui est invisible, enfoui sous le sol. Il a vu les fureurs du rec de Veyret et sa connaissance intime de la vallée lui permet d’affirmer que l’emplacement choisi est celui qui retiendra le plus d’eau. Évidemment, pour lui et les autres propriétaires ce projet est une aubaine financière qui pourrait sauver l’exploitation de sa fille. Il ne le cache pas. Le SMDA lui promet de racheter quelques vignes à prix d’or. Pourtant il refuse que cela suffise à discréditer ses arguments. Alors, tout juste 10 jours après le sinistre, à la demande du SMDA, il a récolté les accords des propriétaires de la vallée pour mener les études environnementale. Celles-ci porteront notamment sur les terrains dévastés par l’incendie.
Jean-Marc Jansana, maire de Montredon-des-Corbières, dans une lettre au SMDA datée du 13 juillet a une analyse très différente. Selon lui, « une route dans les garrigues fera courir chaque été des risques d’incendie dramatiques par le passage de plusieurs camions venus des carrières, des touristes de l’abbaye de Fontfroide, et des automobiles ». De plus, « sur 102 hectares brûlés la faune et la flore ont disparu, de l’autre côté de la D6113, elles ont été bouleversées par ce sinistre ». En conséquence, le Maire de Montredon-des-Corbières « demande de suspendre l’étude environnementale […] lancée dans le cadre du projet de bassin écrêteur de crues sur le Rec de Veyret ».
« Cette étude ne pourrait avoir en l’état de résultats probants en raison des perturbations des espèces floristiques et faunistiques sur l’ensemble du secteur. »
Les causes du sinistre ont été très vite élucidées. Heureusement. Les histoires de lotissement bourgeonnant après l’incendie d’un milieu riche en biodiversité qui y faisait obstacle ne manquent pas. Et il est arrivé que l’enquête pointe les promoteurs. Le projet du SMDA a généré une opposition très forte à Montredon-des-Corbières qui est vécue très amèrement par les soutiens du projet dont certains y voient un enjeu de survie. Dans ce contexte de tensions et de suspicion, la responsabilité du porteur de projet est d’apaiser les tensions. Ce projet a besoin d’un débat public avec garant.
Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 18/07/2023
Hélas, je vois que Laurent tombe dans le piège où l’on voudrait tous nous voir tomber en employant le terme “hôpital privé”… N’oublions pas qu’autrefois, l’hôpital était PUBLIC. Toujours ! Quand c’était privé, on appelait cela une CLINIQUE. Restons vigilant.e.s dans notre langage…
Merci Laurent pour votre nouveau bel article Nous le publions sur notre page, vous écrivez ce que tout le mode pense tout bas. Le directeur du SMMAR a appelé le maire de Montredon suite à la publication sur notre page de son courrier que l’on a cru et pour cause être un refus sous entendu à la demande de la municipalité de suspension de l’actuelle enquête environnementale. “généreusement” le SMDA ou le SMMAR répondra favorablement à cette demande au reçu de la lettre et accordera un délai d’un an pour une nouvelle étude. Un an ne suffira pas à reconstituer la faune, la flore perdues en quelque heures lors de cet incendie, ils se moquent vraiment de nous TOUS. Pourquoi attendre cette lettre, le paysage ne parle -t-il pas de lui-même, rien des garrigues situées en zone ZNIEFF n’existe plus, même la montjoie et le réservoir ont été fragilisés par l’incendie, motus sur ce désastre par les deux organismes que pourrait révéler l’étude en cours? Merci pour votre soutien,
Merci pour cet article complet. Nous pleurons notre garrigue, même s’il est vrai qu’au contraire de juillet 2016, la route existante à protégé l’autre versant, celui de St Pierre des Clars. Ouf. On peut quand même se demander pourquoi une zone hyper-sèche, en plein cagnard, à 11 h du matin, et en garrigue loin de tout est debroussaillée ? La Ronde des Sources permettait de faire découvrir notre vallée = plus de circuit, plus de Ronde, plus de sensibilisation à notre patrimoine menacé ici. Juste ici…