A l’issue d’un parcours législatif chaotique, la loi prescrivant la fusion / restructuration de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) et de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) va probablement être votée. Un an après avoir été rejeté par l’Assemblée Nationale, le projet de loi présenté par le gouvernement et déjà adopté par le Sénat, a cette fois été voté par les députés en première lecture à 1 voix près (260 voix pour, 259 voix contre). Désormais une commission mixte, réunissant des députés et des sénateurs, doit mettre une touche finale au projet de loi avant son vote définitif par les 2 chambres au mois d’avril.
Ce projet de fusion, fortement soutenu par le gouvernement, a rencontré une vive opposition tant chez des pronucléaires que chez des antinucléaires (élus, syndicats, associations, experts, etc.), tandis que la Cour des comptes déclarait que ce projet de fusion constituait « une réponse inappropriée ».
Par le jeu des alliances politiciennes, le gouvernement va probablement réussir à imposer cette réforme qui réorganise le contrôle et la sureté de la filière nucléaire française.
Jolie centrale nucléaire suisse de Leibstadt, canton d’Aargovie (Image par Heiner de Pixabay)
Les enjeux de la réforme de L’ASNN et de l’IRSN
L’annonce faite par E. Macron en février 2022 de sa décision de relancer le nucléaire, a constitué un revirement radical de ses positions jusqu’alors favorables à une réduction progressive de la part du nucléaire dans le mix énergétique français.
L’effet d’annonce étant passé, de nombreux problèmes et obstacles se sont rapidement révélés, lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre cette nouvelle orientation du président Macron et de respecter le calendrier qu’il avait fixé. Manifestement, la décision présidentielle n’était pas fondée sur un dossier suffisamment approfondi, puisque chemin faisant le projet mettait à jour toutes sortes d’obstacles et de difficultés. Parmi ces obstacles à la bonne marche de la ″relance″, le couple ASN/IRSN est apparu comme un frein difficile à manœuvrer. Dès lors, une réorganisation a été imaginée à l’Elysée au motif qu’elle serait nécessaire pour faciliter la relance du nucléaire. Le but de l’exécutif macroniste est clair : la réorganisation du couple ASN/IRSN qui donnait depuis 20 ans toute satisfaction en matière de contrôle de la sureté et du fonctionnement de la filière, aux capacités étaient reconnues dans le monde entier, devra permettre selon l’antienne habituelle du gouvernement d’« optimiser et fluidifier son action ». Concrètement il s’agit de simplifier et réduire la durée des processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle.
Le nucléaire supporte-t-il la précipitation ?
Ce qui est tout d’abord reproché à cette réforme, y compris par les partisans les plus déclarés du nucléaire, c’est son caractère précipité.
Ainsi pour Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCCLI (Association nationale des comités et commissions locales d’information) et membre du HCTISN (Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire), interviewé par « Médiapart », le projet de réforme n’a fait l’objet d’aucun rapport préalable : « C’est un projet technocratique dangereux. Le principe de précaution serait d’exiger un rapport sérieux. Il existe 12 groupes de travail aujourd’hui à l’ASN et l’IRSN qui travaillent sur ce projet. Laissons le temps de travailler aux gens qui font la confiance du nucléaire. Il n’y a aucune urgence. »
Plus grave : si la fusion entre les 2 organismes est mise en avant, les promoteurs du projet restent par contre discrets sur le démantèlement simultané de l’IRSN. Or il est prévu qu’une partie des experts de l’IRSN sera transférée au ministère de la défense et au CEA. La synergie associant chercheurs et experts qui fonctionnait avec succès depuis 20 ans dans le couple ASN/IRSN sera inévitablement mise à mal par la dispersion de ces personnels.
De plus, la nouvelle autorité qui se nommera AISNR (Autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection) (1) ne traitera pas conjointement les questions de sécurité et de sûreté, alors que de l’avis des 3 présidents qui se sont succédé en 15 ans à la tête de l’ASN ce regroupement est nécessaire. (2).
Dans le nucléaire l’improvisation et la précipitation ne sont pas de mise
Avancer à marche forcée pour tenir le calendrier présidentiel en inaugurant de nouvelles méthodes et procédures relève d’un pari qui déjà montre ses limites.
Ainsi selon la feuille de route établie par le E Macron, 6 EPR de type 2 devraient être lancés avant la fin de son mandat en 2027. (Nb.: Par la suite 8 autres EPR compléteraient le dispositif).
Dans le cadre de la loi d’accélération du nucléaire votée en 2023, la somme de 51,3 Mds € a été annoncés pour financer les 6 premiers EPR 2. Cette somme a été révisée depuis à la hausse par le maître d’ouvrage EDF : les 6 réacteurs prévus à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et au Bugey (Ain), vont coûter 30% plus cher, soit 67,4 Mds € et leur mise en chantier sera retardée d’un an… Un tel décalage, au bout seulement de quelques mois de mise en oeuvre de ce projet fait douter du sérieux avec lequel il a été étudié !
Si l’on compare ces estimations avec le coût des EPR actuellement en cours de construction : les 2 EPR d’Hinkley Point sont passés d’un coût prévisionnel initial de 30 Mds € à 36 Mds €, puis à 40 Mds €, tandis que l’EPR de Flamanville initialement prévu à 3,3 Mds € pour un chantier d’une durée de 5 an, est actuellement facturé, au bout de 17 ans à hauteur de 19 Mds €.
On peut estimer sur ces exemples qu’à l’heure actuelle le coût d’un EPR se rapprocherait plutôt de 20 Mds €, soit un total de 120 Mds € pour les 6 futurs EPR. Pour E. Macron , la construction en série devrait faire baisser les coûts : il s’agit là d’un pari extrêmement cher et risqué !
Mais au-delà des aspects financiers de cette relance qui constituent à eux seuls un énorme problème pour EDF déjà fortement endettée et contrainte par les dépenses liées à l’extension de la durée de vie des centrales existantes, il se pose la question de la capacité opérationnelle de la filière nucléaire à mener à bonne fin les chantiers prévus ou en cours. Car EDF est confrontée à 2 problèmes opérationnels : bâtir un nouveau savoir-faire qui s’est perdu à partir de la fin des dernières mises en service (2002), trouver un mode de management efficace qui permette au maitre d’ouvrage EDF d’exercer ses responsabilités et de mieux contrôler les travaux effectués par les nombreux sous-traitants impliqués dans la construction et le fonctionnement des centrales, ainsi que la qualité et la conformité des pièces fournies.
De nombreuses suspicions de fraudes de malfaçons, de fraudes et de contrefaçons ont été évoquées par l’ASN. Le 30 janvier 2024, lors de ses vœux, l’ASN a déclaré avoir recensé 43 cas de contrefaçons, falsifications et suspicions de fraude et 10 affaires en cours d’instruction. (3) C’est ainsi que le 24 février dernier, l’ASN a demandé à EDF d’agir et d’établir dans les meilleurs délais un plan d’action
- En expliquant comment elle allait s’y prendre pour faire cesser ces malversations qui concernent autant les réacteurs en fonctionnement que ceux en cours de construction
- En analysant les dysfonctionnements qui permettent la fraude et ce qui est à l’origine des falsifications.
- En élaborant une stratégie pour traiter les cas détectés
Cette autorité de l’ASN qui exerce de manière indépendante son rôle de « gendarme du nucléaire » selon son propre tempo, face au calendrier de l’exécutif, a probablement incité le gouvernement à entreprendre cette réforme de l’ASN/IRSN censée lui assurer plus de contrôle sur le fonctionnement de la filière nucléaire
En tout cas dans le contexte actuel, la question du bienfondé de la politique de relance du nucléaire imaginée par E. Macron reste posée. Est-t’ il raisonnable, compte tenu des dysfonctionnements de la filière nucléaire, des graves problèmes financiers créés par la dette d’EDF (65 Mds €) et du mur d’investissements nécessité par la prolongation du fonctionnement du parc nucléaire historique, d’injecter 120 Mds € et de déstructurer EDF, pour construire 6 réacteurs qui ne contribueront qu’à hauteur de 15 % à la production d’électricité en France. Quid des autres 85 % qui auront aussi besoin d’investissements ?
Curly Mac Toole & Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 21 /03.2024
Notes
- nb. : pourquoi le gouvernement a-t ’il ajouté le qualificatif « indépendante » au titre de la nouvelle autorité, alors que son président est nommé par le chef de l’État et que la réforme renforce la subordination de l’expertise à l’exécutif ?[↩]
- la sécurité concerne la protection de la filière contre les menaces extérieures, tandis que la sureté concerne le fonctionnement des installations[↩]
- Ces irrégularités peuvent être très importantes, comme par exemple le non-respect du cahier de charges pour le forgeage du couvercle et du fond de cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville, ce qui limitera sa durée opérationnelle[↩]
On croit rêver ! Tout est irréaliste, dispendieux, dangereux dans ce projet de fusion. Et que dire des dangers du nucléaire et du traitement des déchets ; on n’en parle pas !
Hélas le caprice du prince ne menace pas seulement notre santé et peut être nos vies, mais il risque aussi de pénaliser lourdement les comptes de la nation.