Eolien flottant en mer : des menaces pour le développement de Port la Nouvelle ?

Les problèmes rencontrés par les projets d'éolien flottant en Méditerranée, posent la question des choix politiques du gouvernement en matière de développement énergétique.

Navire de travail éolien en mer (image Image par Elke de Pixabay)

A Port la Nouvelle, la société QAIR qui porte le projet de ferme flottante pilote, ancrée au large de Gruissan, annonce que le chantier, réalisé actuellement à 80%, pourrait s’arrêter faute d’un soutien financier de l’État.
Les caisses sont vides : le coût du chantier a augmenté de plus de 50% par rapport au budget initialement prévu en 2016. Selon les explications avancées par QAIR, les surcouts seraient dus à l’inflation, suite à la pandémie de Covid 19 et aux conflits en cours…
La situation de l’éolien flottant en Méditerranée semble si préoccupante, que 22 sénatrices et sénateurs de l’Arc Méditerranéen se sont fendus d’une tribune exhortant l’État à ne pas « abandonner le filière éolienne offshore française ». En effet, la situation financière n’est guère plus brillante pour les 2 autres projets de fermes éoliennes flottantes au large de saint Louis du Rhône et de Leucate / Barcarès (1).
Localement, l’arrêt du chantier ″QAIR″ risque de remettre en question le développement des infrastructures de Port la Nouvelle, particulièrement le projet d’usine de production d’hydrogène ″vert″ en cours de construction.
Pour le moment aucune solution de soutien financier ne semble trouvée au niveau de l’État.

La situation financière du projet EOLMED / Gruissan

L’ADEME a attribué en 2016 le projet EOLMED  à la société QAIR. Il était alors chiffré à 212 M €. Après 8 ans, alors que le projet a pris 1 an de retard, son coût actualisé est chiffré à 372 M € selon le maître d’ouvrage qui considère que, dans les conditions actuelles de financement, le taux de retour sur investissement serait nul.
De plus en 2016, compte tenu du caractère expérimental du projet et pour encourager les candidatures au développement de la filière ″éoliennes flottantes″, le prix d’achat de l’électricité produite avait été garanti à 240 €/MWh, alors qu’à l’époque le prix de l’électricité au marché SPOT (2) était de 40 €/MWh. Mais aujourd’hui ce prix de référence dépasse les 90 €/M Wh. Au début de cette nouvelle filière, le coût avéré des 3 premières éoliennes flottantes du parc pilote PGL (Parc Provence Grand Large) est avec 100 millions / éolienne 4 fois plus cher que pour des éoliennes posées en mer.
Comme pour toute nouvelle filière énergétique, les coûts estimés sont le plus souvent dépassés (Cf. : les EPR de Flamanville, Olkiluoto, Hinckley Point).

Y a-t’il une solution au problème ? Le gouvernement français a mis en place via la CRE (Commission de Régulation de l’Energie), un dispositif de protection des producteurs d’énergie renouvelable en cas d’évolution du coût des matières premières et des conditions de financement. Il s’agit d’un coefficient d’indexation, appelé ″coefficient K″, qui s’applique lorsque les prix dérapent entre le moment de la désignation du candidat et le montage financier définitif du projet.
Mais ce dispositif n’est pas applicable en l’état actuel aux 3 projets de fermes pilotes flottantes en méditerranée, car il est réservé aux projets inscrits dans la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie).

Les ambiguïtés de la politique gouvernementale en matière d’éolien flottant

Le 2 mai dernier le ministre de l’économie Bruno Le Maire et le ministre délégué à l’industrie Roland Lescure ont affirmé que l’éolien en mer avait un rôle majeur pour « gagner la course énergétique du 21ème siècle ». Tout en constatant le retard pris par la France, ils ont annoncé que le gouvernement était déterminé à « faire un pas de géant » pour faire passer la part de l’éolien en mer, quasi inexistante aujourd’hui, à 20% du mix énergétique français en 2050.  Et le ministre délégué Roland Lescure a prédit que dès 2035 : « l’éolien en mer produira autant d’énergie que celle qui est consommée aujourd’hui par les régions Bretagne, Normandie et Pays-de-la-Loire réunies ». 

Le « pas de géant » annoncé par les 2 ministres, consiste en une série de mesures administratives et techniques.
– Ainsi le calendrier des AO (appels d’offres) a été précisé, simplifié et accéléré.  En Méditerranée, les appels d’offres relatifs au 2 parcs flottants qui prendront la suite des fermes pilotes actuelles ont été publiés avec août 2024 comme date butoir pour la remise des offres…2 autre AO devraient être successivement lancés, le premier concernant 4 projets sur des sites déjà identifiés, dont 1 méditerranéen ; le second dont la localisation n’est pas précisée avec un objectif de mise en service en 2035.
– Le cahier de charge des AO sera lui aussi modifié : on passe à des parcs éoliens flottants plus puissants (de 500 MW actuellement à 1 GW) et plus distants des côtes (de 15 km actuellement, jusqu’à 60 km). Il s’agit, selon le gouvernement d’un « défi technique » qui présenterait un double avantage : bénéficier de conditions de vent plus régulières et diminuer l’exposition des projets au critiques de nature environnementale, halieutique, ou touristique…A cet effet, une carte des zones propices à l’éolien en mer, valide pour les 10 prochaines années, sera publiée en septembre 2024. Ceci, selon Bruno Le Maire, afin d’informer le public et de mener une concertation : « de la manière la plus large et la plus ouverte possible ».
– En application de la loi « Simplification » des disposition dérogatoires aux règles de la commande publique seront prises pour accélérer le déploiement des parcs, avec notamment la réduction de la durée de la procédures d’AO, l’objectif étant de ramener les délais de mise en service des futurs parcs de 12 ans à 6 ans.
– Enfin des mesures seront prises pour favoriser les industries françaises et européennes face à la concurrence mondiale et inciter au développement de fabrications locales. Des critères relatifs aux impacts environnementaux (bilan carbone) devraient permettre de réduire les importations hors marché européen…

Les annonces des 2 ministres ne font pas mention d’une intervention de l’État comme investisseur (Ndlr : sinon éventuellement par le biais d’établissements publics comme Edf ou RTE). Le pari est que les mesures techniques et administratives de soutien aux projets d’éolien en mer sauront convaincre des investisseurs privés. Le pari est osé, alors que ce développement de l’éolien flottant est considéré, de l’avis même du gouvernement, comme un « défi technique », domaine dans lequel, ni lui, ni ses prédécesseurs n’ont été jusqu’à présent très convaincants. Un échec des fermes pilotes en Méditerranée ne contribuerait pas à rassurer des investisseurs potentiels.

Quelles conséquences d’un éventuel échec des fermes pilotes du Golfe du Lion sur le développement de Port La Nouvelle ?

Le projet d’éoliennes flottantes a été incontestablement un catalyseur pour le développement de ce port. Il a contribué à définir une part importante des nouveaux aménagements : bâtiments, plateformes, creusement du chenal, digues, etc.
Afin de faire de Port La Nouvelle le « premier port de la transition énergétique en France », un collectif où figure en bonne part la région Occitanie a investi depuis 2019  234 millions € et prévoit d’en investir 128 autres en 2024 via une Semop (Société d’économie mixte à opération unique).
Les travaux réalisés devraient permettre à la fois :

  • De développer localement une industrie alimentée par l’électricité des éoliennes, notamment la construction en cours d’une unité de production d’hydrogène « vert » (600 tonnes /an) alimentée par de l’électricité « verte ».
  • De redonner au port, grâce aux transformations induites par les aménagements nécessaires au montage, à la mise à l’eau et au déplacement des éoliennes flottantes, une configuration adaptée aux conditions actuelles du trafic maritime et ainsi relancer une activité jusqu’alors déclinante.

S’il est difficile de mesurer en l’état actuel toutes les conséquences d’un échec des fermes pilotes de Gruissan et Leucate, il est prévisible qu’une telle occurrence freinerait le développement du port de La Nouvelle, à la fois dans ses fonctions de « pôle marchandise » et de « pôle énergie » ;  elle pénaliserait aussi son attractivité pour l’accueil d’aménagements structurants, comme la connexion de Port La Nouvelle avec le gazoduc projeté entre Barcelone et Marseille.
Faut-il prendre dans de telles éventualités le risque d’un échec de ces fermes pilotes ?

Plus généralement, la question des choix gouvernementaux en matière de  politique industrielle reste posée : la France, puissance économique « moyenne », a-t ’elle les ressources financières et organisationnelles suffisantes pour développer à la fois une filière de haute technicité encore à ses débuts et la relance de la filière nucléaire voulue par E. Macron ?

La rédaction du Clairon le 18/05/2024

_______________________
Notes
  1. PGL= Parc Provence Grand Large et EFGL= Éoliennes Flottantes du Golfe du Lion[]
  2. au comptant, au jour le jour[]
_______________________

Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

Laisser un commentaire