Consommation d’espaces entre le 1er janvier 2011 et le 1er janvier 2023 (source : portail de l’artificialisation des sol Gouv.fr)
La presse locale se fait de plus en plus souvent l’écho de crispations qui surgissent lors de l’application de la loi « ZAN » (Zéro Artificialisation Nette) (1) en ce qu’elle restreint l’extension future des lotissements individuels et suscite des conflits au sein des EPCI pour la répartition des surfaces à urbaniser. Cette loi heurte des décennies d’habitudes solidement ancrées dans les esprits et s’oppose à de nombreux intérêts locaux.
La loi « ZAN » est issue d’une recommandation de la Convention Citoyenne pour le Climat et d’un débat parlementaire, avec le vote de la loi Climat et résilience le 22 août 2021, puis, à la quasi-unanimité, de la loi du 20 juillet 2023 qui la complète.
Il nous semble important de donner un éclairage environnemental et social à cette question, voilà pourquoi l’association Eccla s’exprime ici.
D’une part, la loi « ZAN » n’est pas tombée d’un seul coup du chapeau du législateur. Depuis de nombreuses années, différents services de l’État alertaient sur la consommation exagérée d’espace naturel, agricole et forestier (NAF) au profit, essentiellement, de lotissements individuels et de zones d’activités plus ou moins bien conçues. Or les espaces NAF sont des espaces de production agricole et/ou des réservoirs de biodiversité. Ce sont aussi des espaces indispensables au cycle de l’eau et des puits de carbone. Le CEREMA a calculé qu’au cours de la dernière décennie 24000 ha d’espaces NAF ont été urbanisés en France chaque année, soit l’équivalent de 40 % de la superficie du département de l’Aude en 10 ans. 63 % de ces surfaces ont été consommés pour l’habitat, 23 % pour des activités économiques, 7 % pour des infrastructures routières. L’étalement de l’urbanisation a concerné massivement les littoraux et la périphérie des centres urbains. Nous considérons que l’État a trop tardé à réagir mais Eccla soutient cependant, activement, la loi « ZAN ».
D’autre part, une chose est rarement dite par la presse et par les politiques : la loi « ZAN » n’a pas vocation à empêcher le développement des communes, il s’agit de le faire autrement qu’en s’étalant. A la Commission Départementale de Protection des Espaces Agricoles, Naturels et Forestiers (CDPENAF) où Eccla siège, nous voyons passer quantité de dossiers de PLU ou de PLU révisés qui plaident encore massivement pour le lotissement individuel, avec des arguments d’une très grande pauvreté centrés sur le fait qu’il s’agit d’une demande populaire. Nous ne nions pas ce fait, mais les plaidoyers qu’avancent les mairies concernées sont contestables sur de nombreux points :
- Elles sélectionnent des projections démographiques très optimistes (souvent calquées sur celles de leur SCoT, lui-même bâti sur la volonté de croissance des élus communautaires) ;
- Elles ne tiennent pas compte de la raréfaction attendue des ressources en eau, du bilan carbone très défavorable des extensions urbaines et des conséquences néfastes sur la mobilité ;
- Elles minorent délibérément le nombre de logements vacants dans leur commune ;
- Elles s’abstiennent d’appliquer ou de relever la taxe sur les logements vacants qui permettrait indirectement d’inciter les propriétaires négligents à mettre leur bien à la vente ;
- Elles s’abstiennent souvent de proposer la division parcellaire aux habitants disposant, à l’intérieur de l’enveloppe urbaine, d’une habitation entourée d’un important espace vacant.
- Elles exagèrent les besoins liés au desserrement des ménages, c’est à dire leur propension à se scinder (du fait des divorces par exemple). Cela permet de justifier d’un plus grand nombre de logements à construire, en négligeant le phénomène inverse du regroupement intergénérationnel.
D’autres effets néfastes de l’étalement de l’urbanisation ont été souvent relevés mais sont rarement évoqués par les commentateurs :
- La progression du bâti dans les terres agricoles provoque des conflits entre riverains et agriculteurs au sujet du respect des ZNT (zones de non-traitement avec des produits phytosanitaires). Même quand les distances de non-traitement (qui sont fort courtes) sont respectées, les riverains s’alarment à la vue du moindre pulvérisateur (2)
- La construction de lotissements individuels est très coûteuse pour le budget des collectivités (réseaux, voirie), tout comme celle des zones d’activités que l’on a l’habitude de surdimensionner sans analyse raisonnable des besoins.
Malheureusement, force est de constater que les maires ont du mal à résister à deux pressions convergentes : celle qui émane des propriétaires souhaitant vendre des terrains à bâtir et qui s’amplifie avec la crise climatique et viticole, et celle qui provient des jeunes ménages à qui les promoteurs vendent le rêve de la maison individuelle.
Le raisonnement des mairies est souvent bâti à l’envers. C’est un processus que nous avons observé à plusieurs reprises, mais nous n’avons le moyen d’affirmer qu’il est généralisé. Le voici. Une mairie se met en tête d’urbaniser plusieurs ha pour satisfaire les demandes des propriétaires fonciers influents. Elle calcule ce qu’elle a consommé au cours de la décade précédente et en déduit ce qu’elle peut consommer au cours de la suivante. Elle ajuste avec le nombre d’ha qu’elle a plus ou moins promis d’urbaniser (X ha) et se met à chercher des justifications pour le passage en zone AU de ces X ha précédemment en zone A ou N. Pour cela, elle va d’abord estimer à X ha + Y ha ses besoins (sur la base de projections démographiques avantageuses et d’un taux de desserrement imaginaire), puis, pour satisfaire la DDTM, elle va trouver quelques logements vacants à décompter, proposer quelques divisions parcellaires pour réduire ce Y à zéro et obtenir le X qu’elle cherche. Cette habitude ne changera pas avec la loi « ZAN », mais sera bien plus contrainte. Autre avantage : les élus subiront moins de pression.
Pourtant de nombreuses solutions existent pour compenser la réduction annoncée des lotissements individuels. La Fondation Abbé Pierre et la Fondation pour la Nature et pour l’Homme ont récemment publié un document (3) à ce sujet qui liste les solutions qui permettent d’accueillir de nouveaux ménages sans s’étaler abusivement tout en réduisant le mal logement. Ces solutions comprennent trois types de leviers que les élus pourraient actionner à condition d’en avoir connaissance et volonté :
- Leviers du premier groupe : créer des logements sans construire en utilisant le bâti existant. Des solutions existent pour mieux utiliser le parc disponible en résorbant la vacance des logements et des bureaux. On peut également réguler les résidences secondaires et les meublés de tourisme afin de renforcer l’offre de biens à l’année. On peut aussi réduire la sous-occupation des logements, en encourageant les séniors, souvent isolés dans de grands logements, à accueillir un locataire ou à opter pour des logements plus petits et correspondant mieux à leur besoin. C’est l’inverse du « desserrement » des ménages, une notion alibi que beaucoup de PLU mettent en avant.
- Leviers du deuxième groupe : construire en artificialisant moins grâce au foncier qui dort. Ces solutions visent à proposer des logements pas ou peu consommateurs d’espaces naturels ou agricoles en luttant contre la rétention foncière, en mobilisant les interstices des quartiers peu denses (notamment les « dents creuses » et les fonds de jardin -Bimby dans le jargon des urbanistes) et en s’appuyant sur le recyclage des friches industrielles (entrepôts désaffectés, anciennes usines, anciennes caves coopératives…).
- Leviers du troisième groupe : proposer de nouvelles formes d’habitats peu consommatrices d’espace, telle que la promotion du petit collectif intégré, densification verticale (ajouter un étage aux bâtiments existants), l’habitat léger sans acquisition du terrain. Le dossier rappelle que le logement social doit être encouragé car dans sa version « collectif », il est infiniment moins consommateur d’espace que le lotissement individuel.
Enfin, si l’on va dans le détail, il faut signaler que les EPCI peuvent décompter du nombre d’hectares restant disponibles pour l’urbanisation les superficies qui seront consacrées aux infrastructures d’importance régionale, nationale ou européenne, et, sous certaines conditions, celles qui seront consacrées au photovoltaïque au sol. Cela permettra dans une certaine mesure de panser les plaies…
Dernier point : beaucoup d’incompréhensions surgissent chez les citoyens en matière de permis de construire et permis d’aménager. Certains riverains ne comprennent pas que l’on accorde aujourd’hui, à l’heure de la loi « ZAN », des permis impactant une importante fraction du territoire. La raison est tout simplement que la date de dépôt de ces permis fait qu’ils -ou non- concernés par le ZAN. Mais cela fera autant d’ha en moins à consommer plus tard.
Il semble important à Eccla de convaincre les mairies et les EPCI que la loi « ZAN » est une bonne loi, une loi d’intérêt général. Il importe aussi de battre en brèche les arguments des représentants locaux de l’extrême droite qui n’ont pas attendu très longtemps pour en faire une polémique complétant harmonieusement leur posture démagogique.
Pour le Clairon de l’Atax le 07/06/ 2024
Christian CREPEAU Association ECCLA (Ecologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois) httpswww.ecclaasso.fr/ eccla@wanadoo.fr
Notes
- Cette loi vise à limiter la consommation d’espace agricole, naturel et forestier (NAF) au profit de l’urbanisation (au sens large), en limitant la superficie consommable dans les 10 prochaines années à 50% de la superficie consommée au cours de la décade précédente. A partir de 2031 l’objectif est de réduire à zéro l’artificialisation nette des sols à l’horizon 2050.[↩]
- Eccla a initié un travail avec la DDTM et la Chambre d’Agriculture pour mettre en place un mécanisme de prévention de ces conflits dans les communes les plus exposées aux risques phytosanitaires, qui se situent dans les terroirs viticoles et dans les zones de production de céréales et d’oléo-protéagineux.[↩]
- https://www.fnh.org/zan-et-mal-logement[↩]