Oratrice et public (Image par Mohamed Hassan de Pixabay)
Le mot ″Démocratie″ désigne actuellement un système politique où la souveraineté appartient au peuple. Celui-ci l’exerce en gouvernant directement ou au moyen de représentants choisis par le vote.
Le mot ″Démocratie″ a plus de 2500 ans, mais cela fait toujours débat, dès que l’on tente d’en préciser les modalités d’exercice. En France, ces modalités sont définies à la fois par une Constitution d’où découle une hiérarchie de lois, organiques ou non, mais aussi par un ensemble de pratiques républicaines (1), car la Constitution ne peut ni prévoir, ni détailler toutes les situations et scénarios possibles.
Cet ensemble complexe -Constitution/lois/pratiques- forme nos institutions. Leur lecture ne peut être le fait d’un seul homme, quel qu’en soit le génie proclamé. Il appartient à des juridictions comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État, de dire comment fonctionnent ces institutions et le cas échéant, au Parlement d’en modifier les contenus.
Les mots employés en politique ont un pouvoir plus important que dans leur usage quotidien, du moins dans le cas des démocraties. Au cœur de l’action politique il y a la capacité à prendre des engagements : cela passe par des ″mots promesses″ et des ″mots programmes″. Ces mots engagent les responsables politiques : le peuple qui les a élus attend que les engagements soient tenus. C’est dans cette capacité à tenir les engagements, que se joue la fragilité d’un fonctionnement démocratique.
Emmanuel Macron a enchainé les promesses non tenues. Ainsi, lorsqu’il annonçait en avril 2019 la mise en place d’une « Convention citoyenne pour le climat » afin de calmer une opinion de plus en plus défavorable à sa gouvernance, il déclarait : « Ce qui sortira de cette Convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe ». Mais finalement, il s’est décidé à ne reprendre que 15 des 149 propositions émanant de cette Convention : celles qui ne gênaient pas sa politique….
L’accumulation des promesses non réalisées mine le fonctionnement démocratique de nos institutions : d’une part les engagements pris devant le peuple se réduisent tendanciellement à des effets d’annonce au contenu superficiel ; d’autre part les engagements non tenus creusent le fossé entre les citoyens et les élus censés les représenter. Tout cela alimente le rejet du système politique par le peuple qui se détourne dans l’abstention, ou au contraire dans des actions entreprises hors du cadre institutionnel.
La politique se fait à la fois par les paroles et les actes : un responsable politique devrait s’interroger pour chacune de ses paroles : “le mot que j’emploie est-il employé dans le bon sens ?” ; ” Comment les citoyens le comprennent-ils ?”; “Peut-il avoir plusieurs sens pour des interlocuteurs différents ?” ; Etc.
Comme l’explique la politologue Agathe Cagé : défendre les mots c’est fondamental pour défendre notre démocratie. C’est une question à traiter avant même tout changement des institutions […] il faut se mettre d’accord sur le sens des mots… ».
Hélas l’action conjuguée des médias de formatage et des différents ″conseils en com″, renforcée par les performances techniques des NTIC, participe largement à l’attrition du sens des mots. Ce qui semble privilégié, c’est l’impact des mots sur le public, la mobilisation de ses affects plutôt que la stimulation de sa réflexion. La parole proférée par des experts présentés comme des cautions à la signification des mots employés, endort la vigilance intellectuelle du public.
Les mots tournoient dans l’espace de la communication, mais que veulent-ils dire au juste ? Quel est le signifié de : “démocratie libérale ou illibérale”, “arc républicain”, “partager les mêmes valeurs”, “être dans l’ADN de”, “les extrêmes ” (droite, centre ou gauche), “défi au monde occidental”, “populisme″, ″vivre ensemble″, ″commun″, ″union nationale″, etc…
Ainsi quel est le sens du mot « union » employé par le leader du RN Jordan Bardella, lorsque grisé par les succès de son parti à l’issue du premier tour des législatives 2024, il proclame qu’en cas de réussite au second tour il saura : « faire gagner l’union nationale face à ceux qui entendent nous diviser” ; être : « le Premier ministre de tous les Français, respectueux des oppositions, ouvert au dialogue et soucieux à chaque instant de l’unité de la Nation », alors que son programme conduit à la ségrégation et l’exclusion de certaines parties de la population.
Dans ce tournoiement, le sens des mots devient flou, instable, chacun l’interprète comme cela l’arrange. Des équations imbéciles et dangereuses se forment, encouragées par la propagande de tel ou tel groupe de pression. Ainsi l’équation sans fondement scientifique « antisioniste = antisémite » devient une assertion opérationnelle très efficace pour faire la peau de la gauche dit “extrême” et masquer la véritable nature du RN.
Alors comment discuter, lorsque l’on ne s’entend pas sur le sens des mots ? L’incompréhension de l’autre, du sens de ses paroles, cette incommunicabilité là tend à le transformer d’adversaire en ennemi. D’autant plus que dans le débat politique français, les relents de culture monarchique, assaisonnés à la mode jacobine qui nous animent encore, ne favorisent pas la discussion et la négociation.
Dans de telles conditions, dissoudre le Parlement le 9 juin 2024et provoquer des élections à la fin juin, en si peu de temps, ne peut que relever d’un calcul politique anti démocratique.
Mais quel est le souci d’ E. Macron ? La démocratie ou écrire et interpréter un récit à sa gloire ?
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 19/07/2024
Notes
- où le pouvoir est partagé[↩]