Fidèle à notre devise “Le Clairon, un journal qui s’exerce à réfléchir”, il nous a semblé utile, dans la période de grande confusion que nous traversons, de présenter à nos lecteurs ce texte qui nous semble plus propice à la réflexion que le tourbillon d’éléments de langage et de palynodies qui saturent la communication politique actuelle.
La rédaction
Voici que nous redécouvrons le système parlementaire ! Pour les militants qui défendent des mesures telles que la proportionnelle ou un pouvoir accru pour l’Assemblée Nationale, les deux dernières années sont quelque peu écœurantes. Nous ne sommes plus vraiment en Vème République, le parlement ressemble à un parlement élu à la proportionnelle, le président est désavoué, et pourtant les champions de la bourgeoisie commettent les pires forfaits démocratiques impunément. Ce triste spectacle nous amène à nous poser la question :
Est-ce qu’une VIème République changerait à elle-seule le rapport de forces, notoirement favorable au patronat ?
Une stratégie pour la VIème République qui a bien vécu, mais qui a vécu.
Pour les présidentielles de 2012 et 2017, la question d’une VIème République a été habilement mise au centre du débat par le candidat du Front de Gauche (2012) puis de la France Insoumise (2017). L’idée n’était pas nouvelle, puisqu’elle était en fait aussi vieille que la Vème République, mais elle est revenue en force dans le débat à cette occasion. Quels étaient les avantages de la réforme constitutionnelle voulue par la gauche radicale de l’époque ?
- En finir avec le présidentialisme, et renouer avec le meilleur des traditions républicaines françaises.
- S’ouvrir à plus de pluralisme à l’Assemblée nationale. Rappelons qu’à l’époque, le bipartisme prévalait, et qu’il était très difficile pour une force de gauche alternative au PS d’être représentée. L’inspiration provenait des régimes parlementaires européens.
- Profiter de l’état de grâce présidentiel et du K.O technique de la bourgeoisie pour convoquer une Assemblée constituante, et faire passer des réformes progressistes facilement. L’inspiration provenait de l’Equateur de Rafael Correa, qui se dota de l’une des constitutions les plus progressistes et écologiques du monde en 2006.
- Innover, créer une véritable démocratie du citoyen et du travailleur. Le RIC (1) popularisé par le mouvement des gilets jaunes, l’introduction de la démocratie en entreprise, la transformation du Sénat en chambre représentative des forces syndicales et associatives. Précisons que toutes ces mesures ne figuraient pas dans les programmes de 2012 et 2017.
La tactique électorale pour arriver à cette fin était simple : 1) Élection de Mélenchon, 2) Convocation de l’Assemblée constituante 3) Mise en place du nouveau régime. Le changement de régime était difficilement envisageable sans l’impulsion de la présidentielle.
Mais l’Histoire est facétieuse : à partir de 2022, les perspectives électorales les plus favorables à la gauche ne vinrent plus de la présidentielle mais des législatives. Il était dans ce cas difficile de procéder à des changements constitutionnels du fait de la cohabitation et de l’inclusion dans la NUPES ou du NFP de forces politique moins favorables à une VIème République.
Le parlementarisme ne donne pas si envie que ça.
Pire ! Nous découvrons aujourd’hui le “worst-off ” du parlementarisme et du présidentialisme :
“Vous avez voté pour que le NFP soit en tête ? Eh bien on va mixer des petits morceaux de gauche avec LR pour vous proposer Cazeneuve, Bertrand ou Barnier. Après tout n’y a-t-il pas en Allemagne ou au parlement européen des coalitions entre le centre droit et le centre gauche ?”
“Vous avez fait le front républicain en faveur de candidats macronistes ? Ça n’existe plus, mon ennemi c’est toujours l’ISF ! Maintenant le gouvernement tient avec l’abstention du RN.”
Une seule bonne nouvelle : privé du pouvoir, l’unité du NFP a survécu, alors que des coalitions de gauche n’existent pas en Allemagne ou en Belgique. Pourquoi ? Développons cet aspect de manière moins polémique, qu’est-ce qui a fait tenir le NFP, qui n’existe pas dans de nombreux régimes parlementaires ? C’est le scrutin majoritaire.
En Allemagne, un électeur du SPD vote pour le SPD seul, avec la perspective admise que ce parti gouverne la plupart du temps avec la droite. En France, un député PS est élu avec des voix insoumises, écologistes, communistes. Ce mode de scrutin oblige à une solidarité entre les députés d’une coalition, pour résumer : avec un scrutin proportionnel, les coalitions se forment après les élections ; avec un scrutin majoritaire, les coalitions se forment avant les élections.
Former un gouvernement d’unité allant du PS à LR n’a aucun sens démocratique en France. Les Cazeneuve et consorts ne peuvent pas l’ignorer.
Car oui, répétons-le : l’esprit de la Vème République, basé sur la transformation d’une majorité relative en majorité absolue, aurait dû amener à un gouvernement mené par Lucie Castets.
Il est évident que la gauche a raison de s’indigner…n’y a-t-il pas autre chose à mettre en place ?
Des naïvetés de la gauche parlementaire.
Car une fois l’indignation passée, on ne peut que constater que :
- La bourgeoisie se fiche de l’esprit du scrutin, 140 députés RN, c’est avant tout des députés qui votent potentiellement dans leur intérêt. Un gouvernement tributaire du RN était à prévoir, c’est d’ailleurs déjà arrivé en Suède.
- La gauche, ironie du sort, se retrouve alors à défendre l’esprit de la Vème République pour défendre son droit à gouverner ? Demander le gouvernement avec une majorité relative seulement n’est-il pas un raisonnement vicié par le scrutin majoritaire de la cinquième ?
Nous avons commis une erreur collective. C’est de croire que le champion de la bourgeoisie nous octroierait un gouvernement avec 210 députés au mieux. Bien sûr que le gouvernement par la gauche est légitime, bien sûr que la nomination de Barnier est un déni démocratique. Le forfait de Macron n’était-il pas prévisible ?
A ce sujet, il est amusant de constater que les factions les plus opposées de la gauche (Cazeneuve et LFI), ont toutes les deux été très naïves sur le rapport de forces actuel.
Quel est le point commun entre croire à Cazeneuve faisant une politique de gauche et croire à Castets pouvant faire une politique de gauche ? L’oubli que le Medef et le CAC 40 existent.
Au lieu de nous émouvoir tout l’été des libertés que prenait Macron avec les résultats de l’élection parlementaire, n’aurait-il pas été plus utile de construire un mouvement populaire cohérent en prévision d’un énième virage à droite du président ? La gauche parlementaire ne devrait-elle pas nourrir le mouvement social plutôt que lui quémander de l’aide ?
A ce sujet, le fait que la manifestation du 07/09 ne compte que trois organisations signataires me semble particulièrement révélateur : suite à ses bons résultats aux législatives, la gauche s’est concentrée sur une prise de pouvoir institutionnelle, ce qui est hasardeux lorsque l’on a 200 députés et la bourgeoisie contre soi.
Le rapport de forces à l’Assemblée nationale n’est pas favorable à la gauche : construisons un mouvement social puissant et long, en cohérence avec les organisations syndicales et les associations, et réfléchissons d’ores et déjà à de nouvelles formes démocratiques dans les collectivités et les entreprises.
Cela paraît quelque peu incantatoire, et du travail reste à faire, mais il est clair qu’aujourd’hui, la perspective d’avancées sociales générées par une VIème République, mise en place de manière verticale, s’éloigne plus que ne se rapproche. Il ne tient qu’à nous de changer notre stratégie.
La majorité relative de la gauche au service des luttes sociales.
Donnons une piste.
Aujourd’hui, il y a à l’Assemblée une majorité contre la réforme des retraites, si l’on compte les députés RN et ceux du NFP.
Bien sûr, une alliance formelle n’est pas envisageable, et la sincérité des députés frontistes sur cette question est légitimement remise en cause, rendant toute abrogation par la voie parlementaire incertaine et au coût politique exorbitant.
Reste que les électeurs frontistes ont aussi voté pour sanctionner le vote de cette réforme, que faire de cette donnée ?
Je citerai alors Denis Renard, membre de l’exécutif départemental 11 du PCF « A minima, la position unitaire des 8 organisations syndicales devrait être, à mon avis, de lancer une pétition pour demander l’abrogation de cette réforme des retraites en s’appuyant sur le fait qu’il y a une majorité possible à l’Assemblée nationale pour la voter. »
Voilà un exemple de parlementarisme qui pourrait nourrir la lutte. En retour, une victoire du mouvement social est, il me semble, la seule chose capable d’unir la gauche et la sortir de son nombrilisme.
Théo Demenge pour le Clairon de l’Atax le 12/09/2024
Notes
- Référendum d’initiative citoyenne[↩]