1er mai à Narbonne : anatomie d’un conditionnement des esprits

Le spectacle de la violence au service d'une politique

Le 1er mai 2025, deux manifestations de même ampleur se sont déroulées à Narbonne. Le meeting national du Rassemblement National à l’Arena avec Marine le Pen et Jordan Bardella faisait face à la riposte sociale et antifasciste de la gauche locale, articulée autour du défilé syndical traditionnel. Cette convergence inhabituelle n’a pas manqué de générer des défis en matière de sécurité et de maintien de l’ordre.
La veille, sur un réseau social, un narbonnais lucide se contentait de commenter : « C’est Narbonne, ça va être tranquille ».

Charge policière (image générée AI par Mo Farrelly de Pixabay)

L’empire de la rumeur

En effet, dans les semaines précédant le 1er mai, l’appel à la mobilisation à gauche était devenu viral. Débordant les circuits syndicaux et militants, l’appel était relayé par des groupes d’activistes et d’antifascistes dans toute la région et au-delà. Des rumeurs en naquirent : 1000 black-blocks s’apprêteraient à déferler sur Narbonne. Selon la terminologie policière, des « groupes à risques » composés pêle-mêle d’antifas, de propalestiniens ou d’activistes de l’A69 auraient prévu de converger vers Narbonne.

De leur côté, des responsables politiques locaux de droite et du centre appelaient les commerçants à se barricader. Les renseignements territoriaux, avec lesquels les organisateurs échangeaient, se montraient focalisés sur l’ultragauche et semblaient minimiser la présence de groupuscules identitaires d’extrême-droite. Parmi les organisateurs, des responsables de la CGT ne cachaient pas leur crainte face à des groupes qu’ils ne comprenaient pas, au point d’envoyer des signaux contradictoires et inquiétants à la sous-préfecture.

Cela n’a pas été le seul faux pas des organisateurs du point de vue des autorités. Certains ont en effet affiché une défiance fort peu opportune envers une organisation policière qui souhaitait les soutenir. Il ne faut pas non plus négliger l’impact du choix du mot ″antifasciste″ qui, dans une perspective policière, porte le germe d’un défi de l’autorité.

Par contraste, la sociologie des électeurs RN du Narbonnais dans laquelle figure une vaste majorité de retraités affichant tous les signes de la respectabilité, a mené les autorités à les voir comme les citoyens à protéger.

Cela contribua à créer, en effet secondaire, une crainte des réactions de la police chez des citoyens pourtant irréprochables.

Certains, racisés, s’imaginaient devenir les cibles prioritaires de la répression si quoi que ce soit se produisait. D’autres, se sentant fragiles, étaient effrayés par les images de maintien de l’ordre que les médias de masse diffusent à loisir. Ainsi beaucoup renoncèrent à manifester

Chacun chez soi

Le Rassemblement National avait annoncé fin février sa venue à l’Arena. Le meeting devait durer de 14h30 à 16h. Cette salle se trouve dans une zone d’équipements entre l’entrée Est de Narbonne et le centre-ville. Le parcours du traditionnel défilé syndical n’était alors pas encore défini. Le Théâtre de Narbonne, situé à seulement 800m de l’Arena, avec sa grande esplanade, est habituellement un point de rassemblement et de dispersion privilégié pour les manifestations qui s’annoncent les plus importantes. Jugé trop proche de l’Arena par les organisateurs du défilé traditionnel du 1er mai et afin de montrer leur volonté d’éviter toute collision, ceux-ci ont préféré un lieu bien moins adapté pour un rassemblement de cette envergure, mais qui présentait l’avantage d’être deux fois plus éloigné de l’Arena : la Sous-Préfecture.

Ainsi le jour venu, après un parcours relativement court débuté à 11h, le défilé s’est mué en rassemblement statique autour du Palais des Sports des Arts et du Travail et de la médiathèque, à 2,2 km de l’Arena et ce jusqu’à 18h, fin programmée de l’évênement. L’objectif des organisateurs était clair et affiché, fixer les manifestants de gauche pour éviter tout contact avec les sympathisants d’extrême-droite.

Sécuriser l’extrême-droite et maintenir l’ordre face à la gauche

Le dispositif policier d’encadrement de la manifestation syndicale était ouvertement orienté sur le maintien de l’ordre. Des cohortes de policiers en armure, certains dotés de lanceurs de balles de défense et un impressionnant canon à eau étaient prépositionnés ou patrouillaient le long du parcours. Le site du rassemblement de l’après-midi était facile à sécuriser contre les intrusions en coupant les boulevards, mais le Maire s’y étant opposé, aucune mesure de protection du périmètre contre les intrusions ne fut mise en place.

Les unités de la police se crispèrent à l’approche de la queue du cortège, composée selon leur terminologie de « groupes à risques ». Le service d’ordre de la CGT s’en était désolidarisé de cette partie, en laissant la responsabilité à la composante collective du service d’ordre.

Les manifestants passèrent en souriant et prirent des photos de cet étonnant dispositif, tout en éprouvant emportant le sentiment que la police ne les comprenait définitivement pas.

En contraste avec ce dispositif, les autorités décidèrent de mettre en place un vaste périmètre de protection autour de l’Arena et de couper la circulation des avenues autour jouxtant la salle. Par anticipation, le maire avait décidé de reporter la foire de Printemps qui devait se tenir en face dans le Parc des Expositions en face et de fermer le parc des Sports et de l’Amitié, le plus grand complexe sportif de la ville.

On ne saurait clore le paragraphe de la sécurisation sans évoquer les dispositions particulières prises pour assurer la sécurité des évènements festifs et culturels prévues pour l’après-midi en continuité de la manifestation syndicale. Les organisateurs avaient mis en place une organisation robuste articulée en binômes de bénévoles identifiables et coordonnés par messagerie sécurisée avec un PC sécurité et des équipes de secours prépositionnées sur le site. Tout ce dispositif avait été construit en étroite coopération avec les services de la police nationale et de la police municipale. Mais certaines exigences surprenantes de la mairie méritent d’être relevées. Celle-ci a mis deux agents à la disposition du Collectif 1er mai et financé 2 agents de sécurité privés pour contrôler les bâtiments mis à disposition. Le maire de Narbonne représenté par le chef de la police municipale a ensuite exigé que le collectif finance 4 puis 6 agents de sécurité privée supplémentaires. Ils ont coûté 2160 euros, un montant supérieur aux promesses de dons reçues par le collectif lorsqu’il a été imposé. 2 ont été postés près du parvis de la médiathèque pour empêcher l’accès aux berges du canal de la Robine en coopération avec des bénévoles. 4 autres ont participé, aux côtés de bénévoles, au contrôle de l’entrée des bâtiments empêchant par exemple l’accès à l’intérieur avec de la nourriture ou veillant à ce que les jauges de sécurité soient respectées. Si l’organisation et le fonctionnement de ce dispositif se sont révélés adaptés, on peut tout de même s’interroger sur le fondement et l’équité de faire porter cette charge financière sur les organisateurs. En effet, il s’agit en l’occurrence d’une manifestation citoyenne, reconnue comme telle par les autorités, organisée par un collectif à but non lucratif. Sa sécurisation était donc une mission de service public. Refuser de mettre en place une sécurisation du périmètre, mais par contre imposer le recours à un prestataire coûteux, malgré la solidité de l’organisation proposée, soulève des questions. Au-delà des motivations et de l’opportunité de ces décisions prises par le chef de la police municipale, se pose la question de la symétrie ou plutôt de la dissymétrie entre les deux manifestations. Pourquoi un traitement différent ?

Le vrai danger est l’extrême droite

Il y eut des incidents à l’Arena. D’abord, pour faire face à une vague de fausses inscriptions, et pour s’assurer que la salle soit pleine, le RN avait distribué des tickets d’entrée, bien au-delà de la jauge autorisée, laissant sur le parvis de nombreux sympathisants déçus.

Mais surtout, des militants juifs du collectif « Nous Vivrons » furent brutalement expulsés de la salle et blessés par le service d’ordre, après avoir interrompu le discours de Marine Le Pen.

Il aurait pu y avoir des incidents au Palais du Travail et devant la Médiathèque. Plusieurs intrusions furent reportées. Certaines, dérisoires lorsque des militants d’extrême-droite vinrent se prendre en selfie devant les scènes musicales. D’autre plus inquiétantes lorsque des militants d’extrême-droite vinrent filmer les participants au regroupement de gauche dans un but plus obscur. Les dernières actions dangereuses virent furent provoquées par des militants d’extrême-droite qui firent le tour du site en voiture à une vitesse manifestement excessive tout en proférant des injures.

Mais le péril le plus aigu se manifesta à la gare, loin des policiers. Les deux évènements avaient attiré des personnalités, venues de toute la France, et qui repartaient dans les mêmes trains. Philippe Poutou se rendait à Bordeaux où il devait ouvrir sa librairie le lendemain. Dans le même train, se trouvait le service d’ordre du RN qui venait de brutaliser une manifestante à l’Arena. Ceux qui avaient accompagné Poutou sur le quai rapportèrent qu’ils étaient trente individus, tatoués jusqu’aux oreilles avec des gants lestés qu’ils ne cachaient même pas et des barres de fer qui déformaient leurs sacs. Sur le quai ils s’étaient montrés agressifs et moqueurs, exigeant des selfies avec le porte-parole du NPA, au point d’alerter la sûreté ferroviaire. Il put être mis en sécurité.

Le soir même, les services municipaux trouvèrent les abords de l’Arena dégradés et couverts de déchets. Par contraste, le Palais du Travail et ses jardins ne gardaient aucune trace des stands, spectacles et conférences qui s’y étaient déroulés tout l’après-midi.

Cette présentation factuelle des évènements du 1er mai 2025 à Narbonne nous raconte l’histoire d’une déconnexion croissante entre les représentations que les autorités se font des mouvements politiques et leur réalité. Le problème est que ces représentations se répercutent et se répandent dans une partie importante de l’opinion, pour qui la police apparait encore comme garante de l’ordre social. Les dispositifs spectaculaires mis en place par cette police, vécue comme au service des « bons » citoyens, contribuent alors, par leur caractère spectaculaire, à renforcer un climat général d’insécurité, ressenti même là où il ne se passe rien.
Ce climat d’insécurité, plus ou moins entretenu selon le pouvoir en place, est à l’heure actuelle particulièrement amplifié par une mise en scène dramatisante exécutée par les grand médias nationaux, détenus par les pouvoirs d’argent. Il s’agit par ce moyen, de provoquer  chez une majorité de Français inquiets, leur consentement à l’édiction de mesures de répression et de lois liberticides qu’un usage réellement démocratique de nos institutions ne saurait produire.

Ces  opérations de conditionnement de l’opinion rencontrent actuellement un succès certain au sein de la population française. Une fois de plus celle-ci semble disposée à confier son destin à un sauveur. Le moment est propice pour en fabriquer de nouveaux, des élections approchent….

Laurent Fabas & Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2025

 

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