Le nucléaire c’est la solution…sur le papier… mais dans la vraie vie ?

L’incident de l'EPR chinois de Taishan qui s’est produit dans un pays à gouvernance autoritaire, appelle nos « premiers de cordée » à plus de modestie : il témoigne que les déboires du nucléaire français n'est pas imputable au fonctionnement démocratique de nos institutions.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)


Crayons de combustible nucléaire Image-par-2427999-de-Pixabay.jpg

Un incident mal venu à l’EPR de Taishan

Dans un communiqué du 14 juin dernier, EDF annonce avoir été informée par l’exploitant chinois de l’EPR de Taishan d’une concentration anormale de certains gaz rares dans le circuit primaire du réacteur n° 1 de cette centrale nucléaire construite, par EDF qui en est aussi actionnaire à 30%.

Dans ce type de réacteur, la chaleur dégagée par le processus de fission du combustible nucléaire est transportée par le circuit primaire contenant de l’eau sous pression à haute température. L’échange de chaleur avec un circuit secondaire produira la vapeur nécessaire au fonctionnement d’une turbine couplée à un alternateur.

Selon le communiqué EDF « La présence de certains gaz rares dans le circuit primaire est un phénomène connu, étudié et prévu par les procédures d’exploitation des réacteurs. ». Mais ce qui pose question ici, c’est l’augmentation de leur concentration dans l’eau du circuit primaire. Cela implique l’existence d’une fuite dans les enveloppes des «crayons» qui contiennent le combustible nucléaire. Ces fuites sont rares mais pas exceptionnelles, puisqu’une telle fuite à été détectée récemment à la centrale française de Chooz et que l’examen des crayons de combustible a fait apparaître que certains d’entre eux étaient corrodés.
Lorsqu’un tel incident se produit, les règles prudentielles varient selon les pays : en France, l’ASN, qui est pointilleuse, aurait pu imposer une mise à l’arrêt du réacteur, tandis que dans d’autres pays européens, on aurait tout d’abord interdit de faire varier le régime du réacteur car les changements de régime, appelés “variations de charge”, ont un impact sur le combustible qui se contracte ou se dilate, ce qui risque d’augmenter les fuites des « crayons » défectueux.

A Taishan, les deux réacteurs fonctionnent à charge maximale et la situation a été jugée suffisamment sérieuse pour qu’EDF / Framatome, constructeur et copropriétaire de la centrale alerte le gouvernement français et le département de l’énergie des Etats-Unis auprès duquel  elle a sollicité une “assistance technique d’urgence”.
Selon Framatome, l’organisme chinois, équivalent à l’ASN, qui contrôle la sécurité des centrales, aurait permis le dépassement des normes de rayonnement afin d’éviter l’arrêt du réacteur dans un contexte de pénurie d’électricité pour l’industrie. Mais les informations émanant du gouvernement chinois ne permettent pas de faire actuellement une analyse exhaustive de la situation.

Taishan ou la fin d’un mythe ?

Si cette fuite radioactive ne constitue pas un aléa majeur et s’ajoute à  la kyrielle des accidents, incidents et dysfonctionnements qui jalonnent l’histoire de l’industrie nucléaire, par contre elle met à mal un discours qui tend à se répandre dans le camp des pro-nucléaires.

Le nucléaire est sûr et pilotable  Taishan en serait la démonstration.
Ces partisans du nucléaire  opposent la «réussite» des deux EPR Chinois, construits en 9 ans et mis en service en 2018, aux ratés de l’EPR de Flamanville qui est toujours en chantier au bout de 13 ans de travaux. Pourtant les deux EPR ont le même constructeur, EDF, qui déploie les mêmes méthodes : le décalage entre les deux projets ne serait donc pas d’ordre technique et le savoir faire des ingénieurs ne serait pas en cause, mais  il trouverait sa source dans les différences des systèmes de gouvernance chinois et français.
Ainsi les EPR de Taishan ont pu devenir la vitrine du savoir faire d’EDF, parce que la Chine «bénéficie» d’un gouvernement autoritaire qui a facilité la réalisation de la centrale en préservant les «experts et ingénieurs» de toute obstruction ou contestation, tandis qu’en France les débats et atermoiements inhérents à toute démocratie ont été contreproductifs et ont gêné le déroulement harmonieux du chantier de l’EPR de Flamanville.
Plus généralement : face la crise climatique, environnementale et énergétique que nous affrontons, la démocratie n’est pas un régime politique à la hauteur des enjeux. Il serait nécessaire pour combattre cette crise multiple de mettre en place, un régime fort et autoritaire où les décisions du politique inspirées par des « experts » relaieraient les besoins des « ingénieurs ».

Cette type de raisonnement est notamment exprimée dans un florilège de formules choc par Jean Marc Jancovici, un zélote du pro-nucléaire particulièrement en vogue, dont :

  • «Pour lutter contre le changement climatique, il faut être capable d’imposer des efforts extrêmement significatifs, et cela veut dire qu’il faut qu’on ait un pouvoir très fort pour être capable de faire respecter ces efforts.» (1),
  • Pour Jancovici la démocratie est un « système myope, lent, incohérent souvent» (2),
  • «Un des drames de la démocratie moderne, c’est la dichotomie entre la politique et l’expertise» (3),
  • on ne répondra pas au changement climatique «sans l’usage de la contrainte, sûrement pas». (4),
  • il faut que la classe politique «se mette à travailler pour comprendre le lien entre la physique et l’économie, en s’entourant de techniciens aptes à raisonner» (5).

Dans une période où nous sommes confrontés à un système de crises graves et interdépendantes, le recours aux «experts» a souvent été privilégié par nos gouvernants au détriment du débat démocratique. La dichotomie entre «élites» et «peuple» est constitutive du macronisme qui se veut promouvoir une gouvernance par les élites dans la mesure où le peuple ne pourrait pas tout comprendre, ou pas assez vite… Ces «élites» constituées d’«experts» et d’«ingénieurs» de tout poil, se sont souvent trompées, qu’il s’agisse de pandémie ou de nucléaire.

L’incident de Taishan qui s’est produit dans un pays à gouvernance autoritaire, devrait appeler nos «premiers de cordée» à plus de modestie : il témoigne que les déboires du nucléaire se produisent quelle que soit la nature des régimes politiques et que la part inévitable du facteur humain dans les retards, dysfonctionnements et accidents ne peut être résolue par une gouvernance autoritaire, qu’elle soit chinoise, soviétique (Tchernobyl) ou autre… Peut être est-ce l’occasion pour eux de s’interroger sur les limites d’une gouvernance qui privilégie la technique au détriment de la science, c’est-à-dire qui ne se pose plus qu’accessoirement la question du sens…

Hubert Reys et Curly Mas Toole pour le Clairon de l’Atax le 16/06/2021

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Notes
  1. Vidéo citée par Reporterre  #4 Jancovici a répondu à vos questions — 02/12/2019, à 3’45’’[]
  2. Jancovici, Jean-Marc, Dormez tranquilles jusqu’en 2100, Odile Jacob Poche, 2017 (1e éd 2015), p. 191.[]
  3. Conférence à Sciences Po, idem[]
  4. conférence à Sciences Po : aout 2019 https://youtu.be/Vjkq8V5rVy0 []
  5. cité par Reporterre : Jancovici, Jean-Marc, Dormez tranquilles jusqu’en 2100, Odile Jacob Poche, 2017 (1e éd 2015), p. 165 []
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