Contrôle, papiers ! Image par Peggy und Marco Lachmann-Anke de Pixabay
Depuis l’allusion d’E. Macron aux « gens qui ne sont rien », les déclarations des ténors du mouvement « En marche » comme celles de leurs seconds rôles, laissent échapper de temps en temps des considérations dépréciatives sur ces Français dont la médiocrité, l’indolence, voire la sottise, entraveraient la marche vers le progrès, vers la « start-up nation » ; marche dont les macronistes se sentent « premiers de cordée ». Certains d’entre eux imputent les fortes réactions d’hostilité à leur politique, au fait que leurs explications au peuple furent trop sophistiquées pour être comprises par lui (S. Guerini), les autres se fendent de déclarations péremptoires de type « les masques anti-Covid ne servent à rien », comme si l’ensemble des Français se réduisait à un agrégat d’imbéciles qui ne disposerait d’aucune capacité d’expertise.
Persuadés d’être dans le vrai avec leur projet de société, les macronistes attribuent la responsabilité des freins ou des échecs qu’ils rencontrent dans le monde réel à ce peuple de « Gaulois réfractaires » (1) qu’il s’agirait alors de dompter…
Puisque les explications données ne fonctionnent pas et que le cadre démocratique de nos institutions arrive encore à freiner les mesures coercitives qu’ils voudraient imposer, le recours à la manipulation s’avère, pensent-il, un moyen commode d’arriver tout de même à leurs fins.
C’est ainsi que l’ère de la « post-vérité », où la stimulation des émotions du public, utilisée à des fins politiques, prévaut sur la présentation des faits qui devrait fonder les argumentations et les projets, a progressivement contaminé les méthodes de gouvernance. Nous nous sommes gaussés de ces pratiques qui ont illustré le mandat de D. Trump aux USA, mais nos gouvernants ont-ils fait autrement dans leur gestion de la crise de la Covid ? (formules fracassantes « nous sommes en guerre », avalanche de chiffres et de statistiques mal expliqués et parfois peu fondés, multiplication des discours d’expertise, déclarations contradictoires ajustées à l’ambiance du moment ; etc.)
Mais à ce petit jeu, leur crédit politique s’épuise, leur autorité s’érode et les conditions d’exercice de leur gouvernance n’avèrent de plus en plus difficiles. Les récentes mesures prises par le gouvernement illustrent cette évolution.
Et si les « gens » devenaient leur propre police ?
A partir du mois d’août, l’accès à certains équipements et commerces sera soumis à la production d’un “pass sanitaire” (2). Le gouvernement a décidé que l’accès aux cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite et services de transports de longue distance serait soumis à la présentation de ce passeport. Ce sont les personnels de ces commerces et services qui seront chargés de réclamer et de contrôler les “QR codes” établissant la vaccination anti-Covid ou l’existence et la validité des attestations de tests PCR.
Ces personnels seront soumis à leur tour au contrôle de la police et de la gendarmerie qui vérifieront si ces contrôles sont bien effectués ! Faute de quoi les contrevenants s’exposeront à de lourdes amendes et le cas échéant à la prison !
Avec le décret du 18 juillet 2021,puis la loi sur le passeport sanitaire les macronistes touchent à un principe fondamental de nos institutions. Jusqu’à présent le pouvoir de coercition était l’apanage des forces de police censées détenir le monopole de la violence légitime par délégation de l’État (cf. Max Weber). Empêcher quelqu’un d’accéder à un lieu ou un service, c’est disposer d’un pouvoir de coercition. Dans le cas des nouvelles dispositions gouvernementales, ce pouvoir sera aussi exercé par de simples citoyens, n’appartenant à aucun service de police, mais qui ne disposeront d’aucun moyen pour l’exercer. Que fera le commerçant pour s’opposer à l’intrusion d’une personne ne disposant pas des documents nécessaires ? de plus qui paie cette mission de police ? Le temps consacré par le personnel à ces contrôles a un coût pour l’entreprise…
Au-delà des questions pratiques posées, ces mesures bouleversent un principe que l’on croyait universellement établi dans tous les États stables. La fonction de police, jusqu’à présent assurée par un service public organisé, formé, doté de méthodes et de moyens techniques, est ici déléguée à de simples citoyens qui ne disposent d’aucune autre ressource que leur bonne volonté !
Comment en est-on arrivé là ?
Ces mesures de passeport sanitaire seraient-elle le pis-aller d’un État qui a brûlé toute ses autres cartouches et qui craindrait d’imposer aux citoyens des mesures de fermeté alors qu’un 4ème vague de Covid progresse rapidement au sein de la population ? La ruse serait alors de diviser les Français en 2 catégories : les “bons” qui ont suivi les consignes gouvernementales et se sont fait vacciner contre les “mauvais” qui hésitent ou refusent de se faire vacciner et qui seraient désignés comme coupables. Pas question d’obliger les gens à se faire vacciner (ce serait contradictoire avec les déclarations d’E. Macron, faites en septembre 2019), mais les entraves à la liberté de circuler et d’accéder à divers services pour des personnes non titulaires d’un passeport sanitaire en règle, sont telles qu’elles tendent à les contraindre à se faire vacciner. Et, cerise sur le gâteau, ce ne sont pas les services publics qui opèrent la distinction entre les “bon” et les “mauvais” citoyens, mais de simples citoyens saisis dans leur exercice professionnel et sommés de collaborer avec le pouvoir en place.
Des expédients pour masquer les difficultés à gouverner du pouvoir en place.
Les institutions de la 5ème République sont à bout de course : elles ont doté la France d’un président légal dans un système électoral qui ne contribue plus à établir une légitimité incontestable aux yeux d’une opinion majoritaire. Il en est de même pour l’élection des députés qui aboutit à une majorité de circonstance, de fait dopée par la proximité de l’élection présidentielle. Ce manque de légitimité rend d’autant plus difficile la prise de décisions impopulaires. La solution de facilité consiste alors à manipuler et à contourner l’opinion. C’est ainsi qu’à présent fleurissent toutes sortes de techniques “nudge” (3). Mais ce mode de gouvernance atteint rapidement ses limites et devient contreproductif dans la mesure où il laisse aux citoyens confrontés ensuite aux faits, le sentiment d’avoir été bernés et renforce encore leur méfiance envers la classe politique…En tout cas, ces techniques de manipulation de l’opinion n’ont pas démontré leur efficacité en matière de vaccination, puisque la France est en retard sur ses voisins européens quant au nombre de personnes vaccinées, particulièrement dans les catégories à risque.(4).
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la nécessité de la vaccination, mais les moyens employés pour qu’elle se généralise. Quelle qu’en soit l’urgence les manipulation, les pressions, le chantage ne seront jamais de bons moyens, sauf à dénier aux gens leur qualité de sujets dotés de raison. Ne vaudrait-il pas mieux quitter l’ère de la “post vérité” et s’en tenir aux faits, expliqués en toute transparence et sincérité aux citoyens ? Plutôt que de faire fliquer les uns par les autres dans l’espoir que cette manipulation provoquera la quantité de vaccinations nécessaire à l’arrêt de la 4ème vague de Covid-19, ne serait-il pas plus efficace de faire confiance au bon sens du plus grand nombre et de mettre les citoyens dûment informés devant leurs responsabilités ? C’est du moins l’avis d’Angela Merkel, la chancelière allemande, qui invite ses concitoyens à «devenir des ambassadeurs du vaccin à partir de leur propre expérience».
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 19/07/2021
Notes :
- déclaration Macron août 2018⇗
- ndlr : passeport sanitaire en français⇗
- techniques douces visant à modifier le comportement des individus à “l’insu de leur plein gré”⇗
- Cf. publications du conseil scientifique⇗