Cigeo : enfouissons ces déchets nucléaires que nous ne saurions voir ! (*)

La France détient après le Japon le record de densité de réacteurs nucléaires au Km². Depuis 1963 ces réacteurs produisent des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité à vie longue (HA-VL). Ces déchets ont été entreposés dans des sites provisoires ; à ce jour aucune solution de stockage définitif sûre et efficace n’a été trouvée.

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

La France détient après le Japon le record de densité de réacteurs nucléaires au Km². Depuis 1963 ces réacteurs produisent des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité à vie longue (HA-VL). Ces déchets ont été entreposés dans des sites provisoires ; à ce jour aucune solution de stockage définitif sûre et efficace n’a été trouvée. L’idée d’enfouir profondément ces déchets a semblé être la moins mauvaise solution pour la France, comme pour les autres puissances nucléaires.

Où les mettre ? Image par Dirk Rabe de Pixabay.jpg

Le projet Cigéo (1)

Un laboratoire de recherche géré par l’ANDRA à été créé en 2000. Il s’agissait de tester la faisabilité d’un stockage de déchets MA-VL et HA-VL dans un ensemble de galeries creusées à environ 500  mètres sous terre. Ce laboratoire occupe actuellement une surface au sol de 17 ha, répartis sur les communes de Bure (Meuse) et Saudron (Haute Marne). La phase “recherche” étant jugée concluante par l’ANDRA, il s’agit maintenant de passer au stockage industriel de ces déchets nucléaires.

Une déclaration d’utilité publique (DUP) pour conférer une légitimité au projet Cigéo

La DUP est le premier acte officiel qui permet à l’Andra de passer de la phase expérimentale à la réalisation du projet. Un dossier de demande de DUP a été déposé par l’Andra en août 2020. Outre les caractéristiques et implications techniques, environnementales et socio-économiques du projet, il comprend les avis des 24 collectivités concernées. C’est à présent l’avis du public qui est sollicité : une enquête publique, ouverte à tous, a été lancée le 15 septembre 2021 (2), elle porte sur 114 communes environnantes et elle s’achèvera le 23 octobre 2021. C’est une étape indispensable à franchir : lorsque la DUP est accordée, l’intérêt général du projet et sa légitimité sont reconnus.
Mais La DUP a aussi des effets concrets : elle rend légales toute une série de démarches nécessaires à la réalisation du projet : modification des documents d’urbanisme en vigueur, acquisitions foncières et le cas échéant expropriations pour acquérir la maîtrise foncière des 665 ha en surface (3) et 29 km² de tréfonds nécessaires au projet Cigéo, ainsi que tous les aménagements VRD (4) nécessaires.

La DUP n’autorise pas de commencer les travaux.

Si la DUP est obtenue, l’Andra devra déclencher une autre procédure afin obtenir un Décret d’Autorisation de Création (DAC). Un dossier de demande devra être remis à l’ASN qui l’instruira dans un délai de 3 à 5 ans et ce n’est qu’après une nouvelle enquête publique que le décret d’autorisation de création pourra être signé…Si ce calendrier est tenu, Cigéo deviendrait opérationnel au début des années 2030.

Une enquête publique contestée

Dans un contexte général où les enquêtes publiques sont de plus en plus contestées, l’enquête DUP de Cigéo ne fait pas exception à la règle. Les critiques ne sont pas seulement le fait des associations : 7 collectivités sur les 24 concernées ont émis un avis défavorable, tandis que l’Autorité environnementale (Ae) reprochait dans un avis très critique des lacunes, dans la description du type de stockage, dans la justification du choix de la couche géologique, le mode de traitement des déchets, l’implantation des installations, l’évolution dans le temps du site ! De leur côté les associations parlent de « simulation d’exercice démocratique » et de « projet démentiel et imposé » (5), RSN (6) appelle les citoyens à s’opposer au projet « Cette procédure officielle ne dupe personne : pour les autorités comme pour l’industrie nucléaire, Cigéo doit avancer coûte que coûte, quelles que soient ses lacunes techniques » et dénonce une situation où les jeux sont déjà faits :  « Quel sens a une consultation sur un projet déjà acté et au dossier incomplet ? »

L’enfouissement en profondeur des déchets ultimes : une solution peu convaincante et dangereuse

Stocamine
Alors que se déroule l’enquête publique préalable à la DUP de Cigéo, un autre site d’enfouissement en profondeur français, donne bien des soucis aux autorités : il s’agit du site Stocamine de Wittelsheim en Alsace. Il ne s’agit pas de déchets nucléaires mais de déchets chimiques, enfouis à plus de 500 m de profondeur dans une ancienne mine de potasse : 42.000 tonnes de chrome, cadmium, cyanure, amiante et arsenic ! Ouvert en 2009, il a fonctionné pendant 3 ans avant qu’un incendie ne contraigne l’exploitant à sa fermeture en 2002. Depuis les galeries bougent et se déforment, tandis que des infiltrations d’eau les sapent, ce qui rend quasi impossible l’extraction des déchets stockés souhaitée par les élus et responsables locaux qui dénoncent la conception et les conditions de réalisation de ce projet. Selon Bruno Fuchs, député Modem de la 6ème circonscription du Haut Rhin : « C’est un cas d’école de toutes les erreurs à ne pas commettre dans la mise en œuvre de ce genre de projet. A peu près tous les experts qui ont été consultés à l’époque ont donné, de bonne foi ou non, des informations erronées, ou qui se sont avérées erronées. ».

Les tentatives d’extraire les déchets stockés ont été abandonnées compte tenu de la dégradation du site et du coût d’une telle opération. C’est pourquoi la ministre de la transition écologique Barbara Pompili a confirmé, au grand dam des élus locaux, la décision de confiner  le centre d’enfouissement en y laissant les déchets.
Le risque majeur présenté par cette solution est la contamination de la nappe phréatique alsacienne estimée à 85 milliards de m3 qui alimente la France, l’Allemagne et la Suisse.
La ministre Pompili s’est engagée à financer à hauteur de 50 millions € un programme de protection de cette nappe (7) .
Cela n’a pas convaincu les élus locaux, c’est pourquoi la Collectivité européenne d’Alsace a déposé le 10 septembre dernier, devant la cour administrative d’appel de Nancy, une requête en référé-suspension afin d’« empêcher les opérations de confinement imminentes prévues sur le site de Stocamine ».

Tout comme pour Cigéo,  le projet Stocamine prévoyait la réversibilité du stockage et la possibilité d’extraire les déchets…Allons recommencer les mêmes erreurs ? 

Aux États-Unis l’histoire des sites d’enfouissement  révèle de nombreux incidents et accidents, ainsi :

  • WIPP (Nouveau-Mexique 2014) incendie à 650 m de profondeur cause inconnue, rejets radioactifs, personnel contaminé
  • Yucca Mountain projet suspendu en 2009 pour manque de garanties géologiques
  • Hanford 2014 un faille provoque l’effondrement d’un tunnel…

En conclusion : les techniques d’enfouissement en site profond sont loin d’être maitrisées. Les connaissances manquent tant en ce qui concerne l’évolution géologique des sites, que les réactions des matériaux stockés. Une étude de l’université de l’Ohio, publiée en janvier 2020 dans la revue “Nature matérials”, montre que les conditionnements, conçus en France et aux USA pour enfermer les déchets nucléaires très radioactifs destinés à être enfouis sous terre, pourraient de dégrader plus rapidement que prévu et provoquer des rejets radioactifs dans l’environnement. Lorsque des infiltrations d’eau arrivent en contact avec le verre des conditionnements, des interactions entre verre métal accélèrent la corrosion du conditionnement métallique qui devient hors de contrôle tandis que le verre se fragilise !

Quel futur ? Image par 1tamara2 de Pixabay.jpg

Comment dans de tells conditions et avec des connaissances aussi incomplètes, peut-on imaginer enfouir des matériaux hautement radioactifs qui perdureront des milliers d’années ? Leurs lieux et leurs conditions de stockage ne seront-ils pas oubliés avec le temps qui passe ? Peut-on laisser un tel danger à ceux qui nous suivent ? 

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 19/09/2021

 

(*) « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir » imitation parodique du « Tartuffe de Molière », acte 3, scène 2.

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Notes
  1. acronyme de centre industriel de stockage géologique[]
  2. https://www.registre-numerique.fr/dup-cigeo[]
  3. 120 ha restent encore à acquérir[]
  4. voieries et réseaux divers[]
  5. Le Monde du 17 septembre 2021[]
  6. Réseau sortir du Nucléaire[]
  7. Ndlr : les travaux d’extractions des déchets encore stockés sont estimés d’un coût entre 230 & 450 millions € par les collectivités[]
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