Nucléaire 2021 : bilan et perspectives inquiétants

A l’examen du fonctionnement de la filière nucléaire au cours de l’année 2021, il n’y a rien qui permette de penser qu’on se rapproche d’un savoir faire retrouvé.

Il est étonnant d’observer en France, au cours de ces dernières années, le changement de discours des autorités et entreprises en charge du nucléaire. On est passé du constat que la filière française, autrefois en pointe, avait perdu son savoir faire, à l’annonce d’une politique de reconquête de ce savoir faire, concrétisée par une restructuration d’AREVA en ORANO et FRAMATOME, tandis que des projets non aboutis de restructuration d’EDF devaient redresser le géant défaillant. A l’examen du fonctionnement de la filière nucléaire au cours de l’année 2021, il n’y a rien qui permette de penser qu’on se rapproche d’un savoir faire retrouvé. Mais « dans le même temps » on est passé d’une réflexion mesurée sur la part du nucléaire dans le mix énergétique, à l’affirmation par les autorités, Président de la République en tête, de la nécessité de construire 6 nouveaux EPR flanqués d’une multitude de petits réacteurs appelés SMR (en anglais Small Modular Reactor) (1).
Comment peut-on faire de tels projets alors que les manques constatés dans le fonctionnement de notre filière nucléaire ne semblent pas résolus. Devant la réalité des faits, on peut se demander s’il ne s’agit pas avant tout d’un discours incantatoire de la part de nos responsables politiques…

 

crayons de combustible nucléaire (Image par 2427999 de Pixabay)

Défaillances et incidents

Du coté des EPR

L’EPR d’Olkiluoto en Finlande a démarré tôt ce matin, 12 ans après la mise en service initialement prévue. Ce démarrage se fait au moment où le réacteur N°1 du premier EPR, mis en service en juin 2018 à Taishan en Chine et arrêté en juillet 2021, rencontre des difficultés majeures. Une rupture d’une partie des gaines contenant les “crayons” de combustible nucléaire a entrainé la diffusion d’une quantité anormale de gaz rares dans le circuit primaire du réacteur. Selon des informations obtenues par la CRIIRAD : « les ruptures des gaines de combustible radioactif proviendraient (…) d’un défaut de conception de la cuve de l’EPR ». Ce défaut du fond de cuve provoquerait d’importantes vibrations qui ont entrainé une usure anormale des gaines de combustible et des grilles qui les maintiennent, ce qui a dispersé des débris radioactifs dans le cœur du réacteur…
Des études sont en cours pour confirmer cette explication qui remet en cause la conception du fond de cuve des EPR. L’ASN, le gendarme du nucléaire français, s’est saisie du problème et déclare « examiner dans quelle mesure le retour d’expérience de la situation d’exploitation actuelle à Taishan peut être pris en compte dans le cadre de l’instruction en cours de la demande de mise en service de l’EPR de Flamanville [Manche] ».

Si l’hypothèse d’un défaut de fond de cuve est confirmée, toute la filière des EPR serait impliquée et selon la CRIIRAD, les réparations entraineraient des travaux lourds, compliqués et onéreux et il n’est même pas sûr que ces réparations soient réalisables compte tenu de leur localisation.

Du côté des centrales en fonctionnement

Les défaillances et incidents ont été nombreux en 2021. Quelques exemples non exhaustifs :

  • Centrale du Tricastin : un cadre EDF de la centrale dénonce la dissimulation par EDF d’incidents et d’écarts en matière de sécurité
  • Centrale de Paluel : un manque de pièces de rechange entraine un retard significatif dans la réparation d’un circuit de refroidissement défectueux
  • Centrale du Bugey : fuites de liquides de refroidissement et de gaz à effet de serre
  • Centrale de Golfech : arrêt d’urgence automatique de sécurité du réacteur N°2, le problème n’est actuellement pas identifié par EDF
  • Centrale de Dampierre : une vanne mal fixée ne s’ouvre pas sur le circuit de refroidissement du réacteur N° 3 remis en route après des opérations de maintenance et de changement du combustible
  • Centrale de Chinon : arrêt d’urgence du réacteur nucléaire N°3 suite à un problème de vanne sur le générateur de vapeur, le système de refroidissement de secours ne s’est pas mis en marche
  • Centrale de Dampierre : réacteur N°4, après la réparation d’une vanne sur le générateur de vapeur et la remise en service du réacteur celui-ci s’arrête automatiquement en urgence, puis est remis en route 3 jours plus tard sans explication d’EDF sur la nature de l’incident
  • Centrale de Chooz : suite à un manque d’entretien, des réservoirs et locaux de rétention des produits dangereux ont des problèmes d’étanchéité qui risquent d’entrainer une pollution du sous sol. Le problème est récurent depuis 2019

Pour plus de détails on peut consulter l’excellente recension du réseau Sortir du Nucléaire ;
https://www.sortirdunucleaire.org/Nucleaire-des-accidents-partout

En imaginant que tous ces incidents, qui mettent en cause à la fois le facteur humain et le facteur matériel, puissent être dépassés dans un avenir plus ou moins proche, la filière nucléaire se trouve confrontée à d’autres problèmes qui sont loin d’être résolus, comme la question du démontage des réacteurs arrêtés et celle du stockage des déchets nucléaires.

Ainsi la centrale de Brennilis, mise en service en 1962 et arrêtée en 1985 : son propriétaire EDF estime qu’elle sera totalement démantelée, réacteur compris en 2032, soit 47 ans après sa fermeture, pour un coût estimé à 850 millions € ! Il y a actuellement 56 réacteurs en activité qui seront progressivement arrêtés…
(2)

Pour le stockage des déchets nucléaires de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) existants et à venir, la solution d’enfouissement en profondeur, mise en route à Bure par le projet Cigéo, relève du pari et d’une fuite en avant particulièrement aveugle. A l’heure actuelle aucune solution d’enfouissement en profondeur n’a été éprouvée et aucun projet n’est opérationnel. (3)

Enfin, la question de la ressource en eau est primordiale dans le fonctionnement des centrales nucléaires. Le changement climatique implique que cette ressource va évoluer, il est donc nécessaire de savoir comment cette évolution impactera la filière nucléaire.
La direction de l’eau et de la biodiversité a lancé en 2010 le Projet Explore 2070 : il s’agit d’une étude qui avait pour objectif « d’élaborer des stratégies d’adaptation au changement climatique à l’horizon 2070 et de les évaluer ». La conclusion est formelle : « aucune des 3 stratégies d’adaptation ne parvient à rétablir un équilibre besoin/ressource proche de la situation actuelle » (4)

Mais l’eau qui manque ici est trop abondante ailleurs : le changement climatique provoque aussi la montée des eaux : selon l’IRSN une vingtaine de réacteurs sur 56 sont exposés à un risque d’inondation.

Comment peut-on dans de telles circonstances envisager de développer la filière nucléaire ? Pourtant dans le débat provoqué actuellement par les élections présidentielles et législatives de 2022, l’avenir de la filière nucléaire semble bénéficier d’un retour de faveur chez plusieurs candidats : promesses sans lendemain, aveuglement nourri par le lobby nucléaire, ou fuite en avant face à un problème qu’on ne sait pas maîtriser ?

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/12/2021

 

 

 

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Notes
  1. voir l’article du Clairon https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2021/10/23/nucleaire-et-le-prestidigitateur-tira-de-son-chapeau-des-smr/[]
  2. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/tchernobyl/centrale-nucleaire-de-brennilis-un-cadavre-encombrant_1422147.html et https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/centrale-de-brennilis-le-sensible-demantelement-du-reacteur-nucleaire-en-consultation-897893.html []
  3. cf. les explications de Greenpeace  https://www.greenpeace.fr/dechets-nucleaires-projet-cigeo-a-bure-etre-stoppe/[]
  4. https://www.gesteau.fr/document/bilan-du-projet-explore-2070-eau-et-changement-climatique[]
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