Russie – 2h26 – 2021
Un film de Kirill Serebrennikov avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuliya Peresild. (adaptation du roman d’Alexeï Salnikov)
Portrait d’une Russie malade
Dans un bus bondé, Petrov le père rentre chez lui, il tousse, il est malade et il a de la fièvre.
Ainsi commence le film vertigineux de Serebrennikov, ce sera durant deux heures et demie la déambulation d’une famille, les Petrov, le père, la mère et le fils dans les méandres d’une imagination débordante et débordée par la grippe. C’est une chevauchée fantastique dans un milieu ésotérique qui traverse les années de jeunesse du père aux années de jeunesse du fils. Tout est scandaleusement outrancier mais réel, des fantasmes de violence et de sexe de la mère aux souvenirs malmenés d’une fête de Noël du père lorsqu’il était enfant.
La mort et la vie se rencontrent dans un corbillard, l’alcool coule à flots dans ce bar improvisé. Et c’est une déambulation provocatrice, hargneuse avec toutefois un clin d’œil amusé, Serebrennikov nous enchante. Mais attention, il faut accepter de poser là à l’entrée de la salle, ses convictions, ses idées reçues, ses stéréotypes pour suivre sans réserve “Kirill” dans cette sarabande.
Il y aurait quelque chose de dantesque dans ce portrait d’une Russie qui ne sait plus bien où elle en est, qui divague, qui délire sous l’emprise de la température, il y aurait aussi quelque chose d’étourdissant dans ces rencontres improbables, dans cette violence mise à nu et démonstrative.
Serebrennikov, comme un magicien, utilise toutes les ficelles cinématographiques, le noir et blanc, la couleur, le dessin animé. Lui-même en transe, dans un état second puisqu’il a tourné ce film la nuit et qu’il assistait à son procès le jour ! et ce pendant deux mois !.
Il faut savoir que Serebrennikov n’avait déjà pas pu se rendre à Cannes pour présenter son film “Leto ” puisqu’il était assigné à résidence en Russie. Il était reconnu et admiré pour sa créativité et sa modernité sous la présidence de Medvedev. Mais les temps ont changé et il est devenu menaçant pour le régime de Poutine qui n’apprécie pas son attitude provocatrice. Il s’est retrouvé persécuté pour sa liberté artistique.
Et c’est dans ce contexte qu’il a tourné ce film qui aurait bien mérité la Palme d’Or à Cannes.
Un grand chef d’œuvre !
Patricia Renaud pour le Clairon de l’Atax le 10/01/2022