A la télé un lundi soir : “Poutine est-il un dictateur ?”

"En somme par les gains et les faveurs que l’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait. "

Lundi 14 mars, dans une émission de TF1, sept des candidats principaux à la présidence de la République étaient confrontés aux questions de 2 journalistes, devant un public de 300 personnes. C’est ainsi que A. Hidalgo, M. Le Pen, V. Pécresse, E. Macron, Jl. Mélenchon, F. Roussel, Y. Jadot, E. Zemmour, eurent à répondre à la question « Poutine est-il un dictateur ? », posée par les deux journalistes A-C. Coudray et G. Bouleau, animateurs de la soirée. Cette question scinda les candidats en 2 groupes : ceux qui évitèrent de qualifier Poutine de dictateur et ceux qui n’hésitèrent pas à le traiter comme tel. On peut d’étonner que des candidates et candidats à la présidence de la République fassent preuve d’un tel manque de discernement, qu’ils ne semblent pas comprendre que lorsqu’on est en négociations avec un adversaire (qui n’est pas un ennemi puisque la guerre n’est pas déclarée), on évite des mots et des qualificatifs qui peuvent compromettre ces négociations.

Saddam Hussein, Kim jong-un, Kadafi :  brochette de dictateurs ? Image de wikilimages et Tibury de Pixabay

Mais quel était le sens de cette question ? Etait-ce une question piège pour provoquer chez les 8 candidats des réactions qui auraient titillé les affects de l’opinion ? Mais si le but de cette émission avait été de solliciter la réflexion du public, n’aurait’ il pas été judicieux de définir au préalable ce qu’on entend par « dictature », ou du moins de confronter les divers sens que les candidats donnaient à ce mot?
Mais voilà,  réfléchir « ça fait pas le buzz coco » !
Pourtant ce que nous entendons aujourd’hui par tyran, dictateur, autocrate, implique toute une série de nuances, même si ces termes renvoient à une situation où il s’agit toujours d’une personne qui monopolise le pouvoir (pour ne pas citer toujours les mêmes : Franco, Ceausescu, Amin Dada, Nazarbaïef, Loukachenko, Kim Jong-il, etc.). Les nuances se situent :
– dans les moyens d’accès au pouvoir : élections ou coup de force 
– dans les modalités d’exercice : utilisation et détournement des institutions existantes ou fabrication d’institutions sur mesure ;
– dans le niveau de brutalité accompagnant l’exercice du pouvoir.

Tout cela n’est qu’une question de curseur qui se déplace sur une ligne tracée entre abrutissement du peuple et soudoiement des élites…Certains systèmes politiques qui instituent des régimes présidentiels sont plus propices à l’émergence d’autocrates, voire de dictateurs ; mais en définitive c’est le consentement des peuples qui donne son pouvoir au dictateur.

Le dictateur est-il seul ? A-t-il des soutiens, des complices, avec quel moyens règne-t-il ?
Voici un texte qui l’explique de façon lumineuse : il est extrait du « Discours de la servitude volontaire » publié en 1576, l’auteur en est Étienne de la Boétie.

“J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les tyrans se tromperait fort. Ils s’en servent, je crois par forme et pour épouvantail, plus qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent l’entrée des palais aux malhabiles qui n’ont aucun moyen de nuire, non aux audacieux bien armés. on voit aisément que, parmi les empereurs romains, moins nombreux sont ceux qui échappèrent au danger grâce au secours de leurs archers, qu’il n’y en eut de tués par ces archers mêmes. ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés  et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté, mais encore des leurs. Ces six ont sous eux six cent, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu la tyran. Ces six cent tiennent sous leur dépendance six mille qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers  afin de les tenir par leur avidité ou leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal q’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaine ininterrompue qui les soude et les attache à lui {…}. En somme par les gains et les faveurs que l’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait. »

Ne devrait-on pas apprendre ce texte dans les écoles et le lire lors des émissions de télévision ?

La rédaction du Clairon de l’Atax le 15/03/2022

 

Démagogue (image de Johnhain de Pixabay)

 

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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

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