Projet de relance du nucléaire : où se trouve la raison ?

Peut-on dans un domaine aussi sensible que le nucléaire, appliquer ce qui semble être la philosophie de base du macronisme : c’est « en marche » que l’on résoudra tous les problèmes qu’on n’a pas anticipés ?

Chronique d’une catastrophe annoncée (suite)

Comment peut-on vouloir accélérer la relance du nucléaire, alors que jour après jour des dysfonctionnements s’ajoutent les uns aux autres, à la surprise des gestionnaires des centrales en activité et de l’EPR en cours de construction ? Depuis de nombreuses années Le Clairon de l’Atax, dans son dossier intitulé Nucléaire : chronique d’un désastre annoncé”, décrit la longue série d’incidents, pannes, malfaçons et tromperies qui accompagnent le fonctionnement de cette filière. Manifestement il n’a pas été actuellement remédié à la perte de savoir faire diagnostiquée depuis une dizaine d’années, puisque les mauvaises surprises se succèdent. Dans ces conditions on peut s’interroger sur le niveau de connaissance de l’état réel de la filière qu’ont nos gouvernants et certains élus qui portent ce projet de relance.
Ou alors s’agit-il d’un parti-pris optimiste : les zélateurs du nucléaire parieraient que la science et la technique sauront toujours résoudre les problèmes lorsqu’ils se poseront ?
Peut-on dans un domaine aussi sensible que le nucléaire, appliquer ce qui semble être la philosophie de base du macronisme : c’est « en marche » que l’on résoudra tous les problèmes qu’on n’a pas anticipés ?
Que vaut cette décision politique d’E. Macron qui se passe manifestement d’une réflexion technique et scientifique approfondies ainsi qu’un réel débat public ?

Malgré les assertions d’E. Macron et des partisans du nucléaire il est difficile de discerner sur quelles considérations logiques se fonde ce projet de relance qui semble relever d’un pari plus déraisonnable qu’osé.

Tuyauterie (Image par F. Muhammad de Pixabay)

Le pari de la prolongation du parc nucléaire existant
Conçu pour durer 30 ans, il s’agit de le prolonger jusqu’à 60 ans. Mais que sait-on réellement de son état actuel pour décider ainsi d’augmenter sa durée de vie ?
La récente découverte de nouvelles fissures sur des sections de tuyauteries, considérées comme non sensibles à la corrosion sous contrainte (CSC), confirme la pertinence de cette question.

Des fissures profondes inattendues
Le 8 mars 2023 une fissure importante est découverte sur le circuit d’injection de sécurité du réacteur N° 1 de 1 300 mégawatts (MW) à la centrale de Penly  Le 10 mars une 2ème fissure est découverte sur le même type de circuit mais sur le réacteur N° 2 de cette même centrale. Ce circuit (1) est d’une importance cruciale : en cas d’accident grave il permet de refroidir le cœur du réacteur.
La fissure du réacteur N°1 qui concerne une partie linéaire de la tuyauterie, s’étend sur 155 mm, soit sur ¼ de la circonférence de la tuyauterie ; sa profondeur est de 23 mm pour une épaisseur de 27 mm. Une telle profondeur n’avait jamais été observée auparavant selon l’IRSN :  « Les défauts découverts jusqu’à présent étaient plutôt de l’ordre de 2 à 6 mm »
Ce phénomène de « corrosion sous contrainte » (CSC), imprévu sur des réacteurs récents, avait été découvert fin 2021. Mais il semblait concerner uniquement les soudures au niveau des coudes de la tuyauterie des réacteurs les plus récents. C’est pourquoi les experts EDF avaient considéré qu’ils ne pouvaient pas concerner les parties droites.
Ces découvertes de nouvelles fissures ont contraint EDF à réviser son programme de contrôle en ajoutant 320 nouvelles vérifications de soudures sur des endroits qui étaient jusqu’à présent considérés comme non exposées à la CSC.
“Dans le même temps” 2 nouvelles fissures ont été découvertes sur des portions du Réseau d’Injection de Sécurité (RIS) du réacteur 2 de Penly et du réacteur 3 de Cattenom (Moselle). Il s’agit cette fois de « fissures de fatigue thermique » assez importantes, qui posent un nouveau problème selon l’ASN : « La découverte d’un défaut de fatigue thermique (…), sur une soudure pour laquelle ce mode de dégradation n’était pas attendu, nécessite des analyses complémentaires ».

Alors que ces fissures interrogent sur le niveau de connaissance qu’ont les acteurs du nucléaire sur l’état réel du parc nucléaire et de la capacité de ses réacteurs à voir leur vie  prolongée de 30 à 60 ans, E. Macron et son gouvernement font des pieds et des mains pour éviter ce qui leur parait constituer un frein à leur projet de relance. Il s’agit d’une part de réduire le temps de consultation du public et d’autre part de modifier le dispositif de sécurité constitué de l’ASN et de L’IRSN, pourtant considérés comme efficaces par les spécialistes du nucléaire et par la Cour des Comptes.

débat public (Image par AsiaCultureCenter de Pixabay)

Le débat public, un obstacle aux projets nucléaires de Macron ?
Le 27 octobre 2022 s’est ouvert un débat public sur les nouveaux réacteurs nucléaires projetés par E. Macron. Ce débat animé par la CNDP est une obligation légale en application de la loi et de la Constitution de la République : la charte de l’environnement de 2004 stipule que : « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

Le débat devait durer 4 mois et prendre fin le 27 février 2023. Selon le gouvernement et EDF toutes les options étaient ouvertes jusqu’à le remise en question de « l’opportunité du programme et du projet proposés ».
C’était compter sans la duplicité d’E. Macron et de ses complices qui avaient déjà fait leurs preuves avec le “Grand débat” en 2019 et la “Convention citoyenne pour le climat” en 2021 en traitant avec désinvolture les demandes et recommandations issues des débats. Une fois de plus il s’est agi avec le débat sur le nucléaire d’un simulacre de consultation. Celle-ci a été rapidement mise en échec par les manœuvres du gouvernement.
Alors que débutait le débat public, le gouvernement a présenté un projet de loi sur l’accélération du nucléaire, censé anticiper et réduire les formalités au cas où son projet de construction était validé. Alors que ce projet de loi était en discussion au Sénat (2), un amendement qui supprimait l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire était voté. Ainsi disparaissait un obstacle légal à la mise en œuvre du plan de relance d’E. Macron, tandis que le débat public en cours sur l’avenir du nucléaire perdait tout sens.
Cette manœuvre a été vivement dénoncée par les opposants au nucléaire comme par les responsable de la CNDP : « Une telle mesure anticipe de quelques mois un débat relevant du projet de loi de programmation énergétique, attendu au plus tôt cet été, […] elle revient à considérer comme sans intérêt pour définir la stratégie énergétique les interrogations, les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours […] cela revient à considérer sans intérêt le débat public ». Exit le débat public sur la pertinence de construire de nouveaux EPR. Pour marquer leur désaccord, Chantal Jouanno, présidente de la CNDP et Michel Badré, président du débat public en cours, ont transformé la dernière séance du 27 février 2023 en séminaire sur « la participation du public dans la gouvernance nucléaire » !!! Une fois de plus et au mépris de la loi la démocratie était bafouée !

De la simplification / rationalisation du système de sécurité nucléaire.
Alors que le système de sécurité nucléaire qui associe l’ASN et l’IRSN est reconnu comme efficace en France comme à l’étranger, un communiqué de presse publié le 8 février 2023 par la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher annonçait l’intention du gouvernement de réorganiser ces deux organismes. Il s’agissait : d’une part d’élargir le champ des missions de l’ASN pour y intégrer certaines des missions actuellement exercées par l’IRSN, comme l’expertise et la recherche en sûreté nucléaire, d’autre part de transférer à l’ASN les agents de l’IRSN qui exercent actuellement ces missions. Les autres activités de recherche de l’IRSN  étant intégrées au CEA et au DSND (3) Cette manœuvre qui visait à la « fluidification des processus de décision » c’est-à-dire à faciliter l’exécution des décisions gouvernementales, avait pour effet si elle réussissait, de renforcer le contrôle du gouvernement sur des organismes statutairement indépendants. Elle a soulevé une vague de protestations au sein de l’IRSN dont les 1700 salariés ont rejetté le projet de fusion, mais aussi de la part de nombreux acteurs du nucléaire. Ainsi Claude Birraux, ancien président de l’Opesct (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) et membre du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), a insisté sur le fait que le système de sécurité actuel avait conquis la confiance du public, d’abord sceptique quand à son objectivité et son indépendance face au pouvoir et à EDF.
Malgré cette contestation, ce projet de réorganisation a fait l’objet d’un amendement au projet de loi sur l’accélération du nucléaire lors de l’examen du texte en commission à l’Assemblée. Adopté le 6 mars en commission, il a été rejeté à la surprise générale en séance plénière de l’Assemblée par un autre amendement, émanant du député Saint-Huile et de ses collègues du groupe Liot, contre l’avis du Gouvernement et de la rapporteure. Ce nouvel amendement conforte l’organisation duale de la sûreté nucléaire reposant sur l’ASN et sur l’IRSN et stipule que :  « Cette organisation garantit l’indépendance entre, d’une part, les activités de contrôle de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et des activités nucléaires (…) et, d’autre part, les missions d’expertise et de recherche dans le domaine de la sécurité nucléaire (…). Les missions d’expertise et de recherche sont indissociables »,

Mais le vote de cet amendement qui maintient l’organisation actuelle ASN / IRSN ne constitue  qu’un répit : comme l’a indiqué la ministre Pannier-Runacher le gouvernement peut encore recourir à une deuxième délibération, d’ici la fin des débats. C’est qu’il faut à n’importe quel prix déblayer la voie aux projets d’E. Macron et du lobby nucléaire.

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 19/03/2023

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Notes
  1. il y en a 4 par réacteur[]
  2. globalement favorable à la relance du nucléaire[]
  3. voir article du Clairon : https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2023/02/23/relance-du-nucleaire-le-gouvernement-macroniste-veut-reduire-les-risques-de-contestation/[]
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1 commentaire

Catherine Schmitt

Merci pour cet article éclairant !

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