La « fatigue républicaine » des élus locaux

Nos municipalités sont des œuvres communes auxquelles nous devons tous apporter davantage que nos impôts.

Mairies de Toronto (image par Scott Webb de Pixabay) et du Roussillon (Image par Hans de Pixabay)

« Communes attaquées, République menacée »: le thème du 105e congrès de l’Association des maires de France (AMF) tenu à Paris en novembre 2023 se veut être un signal d’alarme.

Une enquête Cevipof auprès de 8000 maires, publiée concomitamment, pose des mots aussi forts : « fatigue républicaine », sentiment d’« empêchement » et d’« impuissance » des élus.

Au delà des mots, les chiffres sont vertigineux. Selon les données du ministère de l’intérieur les actes de violence envers les élus ont augmenté de plus de 50 % en deux ans alors que les démissions d’élus depuis 2020 excèdent de 30 % celles du mandat précédent.

Il faut y voir, bien sûr, l’effet de la conjoncture, entre impact à moyen terme de la pandémie et crise énergétique, les émeutes de l’été 2023 ont produit de douloureux débordements. Mais quelque chose de beaucoup plus profond est à l’œuvre. Les citoyens se comportent en consommateurs vis à vis des services publics et l’État réduit inlassablement les marges de manœuvres des collectivités locales. A l’interface, les élus locaux s’épuisent.

Être à portée d’engueulade

Les élus locaux constituent la principale interface entre les français et leurs institutions. Leur malaise est le signe d’une relation qui se dégrade.

Selon la formule consacrée, les élus locaux sont « à portée d’engueulade » de leurs administrés. D’autres pays privilégient des modalités de démocratie participative moins éruptives. En France, ce mécanisme de régulation a les faveurs du législateur.  La constitution garantit à chaque français le droit inaliénable de râler. Et les lois permettent à chaque décideur public de ne pas en tenir compte. Mais, ancré dans son territoire, son art consiste à savoir quand il doit assouplir sa position ou revenir en arrière pour garantir la paix sociale.

Le mécanisme se grippe lorsque l’élu essuie le mécontentement sans avoir de prise sur la décision contestée.

Un conseiller municipal ou un adjoint, pris a parti pour une décision unilatérale du maire, s’interroge légitimement sur son rôle. Certains mettent en regard ce désagrément avec l’indemnité qu’ils perçoivent et s’accommodent d’un rôle de tampon. D’autres ont foi dans celui qu’ils ont porté au pouvoir. Les autres finissent par démissionner.

La commune de Cuxac d’Aude, environ 4000 habitants, est un cas d’école dans ce sens. Les cuxanais sont appelés aux urnes pour la troisième fois depuis 2020 suite aux démissions massives de conseillers municipaux. Les deux équipes municipales opposées qui se sont succédé ont implosé en moins de deux ans. Parmi les décisions qui ont mis en porte à faux les élus, peut être cité l’abattage surprise d’arbres qui, en 2023, n’a pas manqué de provoquer l’indignation des habitants. Mais pour que deux maires, opposants l’un de l’autre, tombent dans les mêmes travers, il faut soit un hasard malheureux soit une circonstance commune.

Ce schéma se répète à l’échelle du maire qui, comme agent de l’État, devient la cible de citoyens mécontents du gouvernement alors qu’il n’a pas non plus voix au chapitre. Des agressions intolérables se multiplient alors.

Entre les deux réside une zone grise où le maire se sent contraint par des impératifs techniques tout en se voyant attribuer la responsabilité de la décision. Et cette zone grandit. Certains maires naviguent avec succès dans ce maelstrom. D’autres se noient.

Savoir s’entourer

Les maires se plaignent d’une surabondance de normes qui complexifie l’action locale. Ils dénoncent une recentralisation rampante de la part de l’État.
Les différentes lois de décentralisation et de réforme de l’État ont profondément déstabilisé l’organisation de l’État. Les compétences sont transférées et les budgets ne suivent pas. Chaque service ressentant la nécessité de justifier son existence devient une nouvelle source de normes qui vient s’ajouter à l’inflation législative venue des assemblées.

De cette complexité naissent parfois des injonctions contradictoires. Par exemple, le 7 novembre à Narbonne dans le cadre du Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine (NPNRU), l’État a participé à la présentation d’un projet de reconstruction de faible densité. Au même moment l’État demandait, pour la même zone, des règles de densification dans le cadre de la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU). Ces types de situations sont fréquents et laissent les élus et leurs équipes dans le désarroi.

Car les élus ne sont pas des spécialistes du droit public ou de l’administration des collectivités, ce sont des citoyens qui s’appuient sur des fonctionnaires territoriaux. Et la qualité de l’équipe est déterminante pour les préserver. Là réside le levier dont disposent les élus pour affronter cette période trouble.

Dans la vaste majorité des communes, les services se limitent à un secrétaire de mairie, souvent à temps partiel, qui gère héroïquement tous les aspects. Ce minimalisme génère une insécurité face à des normes toujours plus complexes qui nécessiteraient le conseil de spécialistes. Heureusement, ces communes sont en général peu dynamiques et ces situations sont assez rares.

A l’opposé, les villes les plus importantes disposent de services étoffés et spécialisés.

Les petites villes, quant à elles, ne peuvent pas se permettre de se tromper lors d’un recrutement. Elles regroupent notamment les communes périurbaines les plus dynamiques, où se concentre l’essentiel de la croissance démographique du pays. L’éventail des problèmes à gérer y est très important. 

Or, il s’agit aussi de la tranche de communes où les recrutements népotiques et les promotions internes sont à la fois les plus fréquents et les plus problématiques. Cela se traduit la plupart du temps par une sous-qualification des agents et une réserve de compétences insuffisantes pour faire face aux fantaisies de l’État. Le resserrement des dotations financières ne laisse alors aucune marge d’adaptation. Le maire est alors mal conseillé et ses décisions créent le tumulte. 

Préférer la démocratie

Trop d’élus locaux croient que la démocratie se confond avec leur propre élection. Et l’État les y encourage. Le dialogue entre citoyens et élus revêt alors les attributs des doléances de l’ancien temps. Le citoyen demande et, parfois, l’élu magnanimement octroie. Le citoyen n’agit plus, ne prend plus d’initiatives et traite les services rendus par la commune comme il traiterait n’importe quel service marchand. Il exige ce qu’il estime lui revenir de droit.

A ce moment là, la démocratie s’éteint complètement et naissent les violences. Alors, au congrès des maires de France, des élus appelant démocratie leur légitimité républicaine réclament de la fermeté contre leurs propres concitoyens. Le cercle vicieux est en marche.

Lorsque le président de la République fait ce choix de gouvernance  il est protégé par des cohortes en armes. L’élu local, lui, est en première ligne.
Au contraire, lorsque le maire consulte et que le citoyen propose et s’investit, le terme même de commune retrouve son sens. Nos municipalités sont des œuvres communes auxquelles nous devons tous apporter davantage que nos impôts. Le contribuable redevient alors un citoyen. Et notre République, en faisant participer en toute transparence chacun aux délibérations publiques, mérite le titre de démocratie.

Cette conception n’a rien d’irréaliste. Elle est le quotidien de milliers de petites communes.

La transparence et la concertation ne règlent évidement pas tous les problèmes d’incivilité. L’individualisme s’est tellement enraciné dans nos cultures périurbaines, que beaucoup d’élus jugent l’effort vain et s’enfoncent dans l’inconfort de leurs habitudes. Leur monde se meurt. 

La démocratie est un combat contre la facilité et contre la fatalité.

Le malaise exprimé par les maires de France est un fait de société. Il est lié aux évolutions de leurs rapports avec les citoyens et aux relations difficiles avec l’État. Les élus ne sont pourtant pas tout à fait impuissants. Ils peuvent par leur attitude initier le processus lent, menant à changer la culture citoyenne dans leur commune. Et ils peuvent en s’entourant mieux, surnager face aux évolutions de l’État. En réponse aux élus, le gouvernement s’est lancé dans un énième exercice de pédagogie pour prouver que ses politiques sont les bonnes. Il est donc illusoire d’espérer que le gouvernement ait entendu et que les pratiques de l’État changent. 

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 22/11/2023

 

Note : Dans cet article, les mots maire, élu et secrétaire sont conjugués au masculin. Il fait ici office de neutre grammatical. Mais il ne saurait être ignoré que la fonction de maire est majoritairement masculine alors que celle de secrétaire de mairie est féminine. La parité est encore loin. Il faut encourager les petites filles à rêver de devenir maire.

 

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