Dans ce monde politique dissous, retissons le lien démocratique.

La dissolution de l'Assemblée nationale nous a plongés dans une terrifiante tempête. La poussière retombera bientôt et nous aurons devant nous de nouvelles opportunités inestimables. C'est à nous, citoyens, militants, associations, syndicats et conseils municipaux, de les saisir et de les transformer en leviers de changement

Tissage (Image par Ai de Pixabay)

Le 7 juillet, l’extrême droite a vu sa victoire annoncée aux législatives lui glisser entre les doigts. Le Nouveau Front Populaire, cette réaction pavlovienne de la gauche au péril de l’extrême droite, a même obtenu le plus grand nombre de sièges, contre toute attente. A Paris, les commentateurs glosent avec gourmandise sur les conséquences d’une Assemblée Nationale sans majorité pour au moins un an. En effet, le chef de l’État devra attendre qu’un délai de 12 mois soit écoulé pour dissoudre à nouveau l’assemblée, si le désir lui en reprend. Après avoir senti passer le vent du boulet, il n’a fallu que quelques jours aux partis de gauche pour reprendre leurs chamailleries et laisser s’échapper le bénéfice de cette victoire tactique. Le camp présidentiel quant à lui a multiplié les artifices pour se maintenir au pouvoir malgré sa défaite. Face à ces deux spectacles désolants, le Rassemblement National se présente comme le vainqueur spolié. Davantage d’électeurs ont voté pour ses candidats que pour ceux d’aucun autre parti. Se présenter comme une victime lui a toujours réussi. Le soutien, ou à défaut la complaisance, des principaux médias de masse lui promettent un triomphe prochain.

Ici, où nous avons été défaits

Ici, comme dans 142 autres circonscriptions, le barrage est déjà rompu. Les intrigues entre appareils de partis exaspèrent.

Ici, le bastion électoral de Léon Blum en personne, chef du Front Populaire en 1936, est tombé. En 2022, nous pouvions nous trouver des excuses. Nous pouvions fustiger la dissidence d’une certaine gauche ou attribuer la défaite au député du camp présidentiel sortant qui n’avait eu de cesse de se ridiculiser, vaincu au second tour avec 47,5 % des voix. En 2024, l’échec est le nôtre. Nous avons été défaits en ne recueillant que 41,8 % des suffrages. Un score historiquement bas. Les proclamations de victoire de chefs à plumes locaux, le relativisme ou la recherche de coupables des autres et leurs joutes à peine voilées, semblent complètement hors sol. Mais le Nouveau Front Populaire ce n’est pas qu’eux. Le nouveau Front Populaire est un élan qui a émergé de la base.

Le soir du 7 juillet, j’ai vu Christine en larmes d’avoir eu si peur. J’ai vu Mohamed heureux comme si la France avait gagné la Coupe du monde. Et j’ai vu Dominique se tourner gravement vers l’avenir. Ils se sont levés. Et avec eux des millions de Françaises et de Français ont dit non.

Non au rouleau compresseur médiatique.

Non aux calculs sordides de puissants dans leur tour d’ivoire.

Non au rejet de ce qui fait la France : Liberté, Égalité, Fraternité.

Il s’agissait d’éviter le pire vers lequel nous nous sommes nonchalamment laissés diriger. Le sentiment de soulagement était légitime. Nous n’avons gagné qu’un répit qu’il convient de mettre à profit. Nos institutions nous laissent au mieux 3 ans pour agir avant la prochaine élection présidentielle. Localement nous n’avons que 2 ans jusqu’aux élections municipales pour lesquelles le Rassemblement National ne cache pas ses ambitions. Et si le président de la République le veut, nous avons peut-être même moins d’un an avant les prochaines élections législatives.
Le nouveau Front Populaire est une foule d’anonymes qui se demandent que faire maintenant pour changer d’avenir.

Des espaces qui se repolitisent

Avec la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, de nouveaux espaces de discussion politique se sont ouverts. Auparavant, le monde syndical, associatif et même de nombreux conseils municipaux rejetaient les discussions perçues comme politiques. Mais en se positionnant clairement contre l’extrême droite, bon nombre de ces entités ont ouvert la possibilité de discuter de sujets jusque-là tabous.

Une véritable renaissance du débat public pourrait s’opérer. Les syndicats, la Confédération Générale du Travail (CGT) en tête, réticents à s’impliquer ouvertement dans des discussions politiques depuis l’adoption de la charte d’Amiens en 1906 ont endossé le rôle de boussole du Nouveau Front Populaire. De nombreuses associations,n à l’image de la fédération des Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) ont fait une entorse à leur neutralité politique statutaire, prenant acte du fait que la lutte contre l’extrême droite est au cœur de leur mission d’éducation populaire. Peut-être organiseront-elles des forums, des débats et des rencontres où les enjeux politiques seront discutés ouvertement et sans tabous. La politique retrouverait alors ses lettres de noblesses en revenant au cœur de la cité.

Ce mouvement est cependant à nuancer. De nombreux maires ont soigneusement évité de se prononcer pour ne pas froisser leur électorat. La fiction d’une déconnexion entre les enjeux locaux et nationaux leur permet d’espérer une réélection.

Néanmoins, il y aura un après. Le vaste mouvement de dépolitisation de la vie locale qui affadit notre démocratie a manifestement trouvé une limite. En se mobilisant contre l’extrême droite, en rouvrant un champ de discussions longtemps clos, ces structures redonnent fondamentalement la parole aux citoyens. Chaque acteur associatif ou syndical peut ainsi aider à retisser le lien entre les citoyens et le monde politique. Lorsque des discussions s’ouvrent, les idées circulent, et une nouvelle dynamique se met en place. Les citoyens, en se réappropriant la discussion politique, se sentent davantage concernés par les décisions qui les touchent. Ils ne sont plus de simples spectateurs, mais deviennent des acteurs à part entière de la vie politique.

Il est maintenant crucial de maintenir cet élan. La période de répit obtenue doit être mise à profit pour renforcer ces espaces de discussion, pour consolider les liens entre les citoyens et pour préparer l’avenir. Chaque action, chaque discussion, chaque débat compte. Le Nouveau Front Populaire doit continuer à incarner cette dynamique, à fédérer et à mobiliser.

La dissolution de l’Assemblée nationale nous a plongés dans une terrifiante tempête. La poussière retombera bientôt et nous aurons devant nous de nouvelles opportunités inestimables. C’est à nous, citoyens, militants, associations, syndicats et conseils municipaux, de les saisir et de les transformer en leviers de changement. Nous avons entre nos mains la possibilité de façonner un avenir différent, plus démocratique et plus inclusif. Ne laissons pas cette chance nous échapper.

A mes amis élus locaux

Aujourd’hui, je m’adresse à ceux de mes amis qui sont élus locaux. Avec vos autres électeurs, je vous regarde agir depuis des années. Vous faites de votre mieux avec sincérité. Moi, je le sais. Mais j’écoute aussi certains d’entre vous penser à vos stratégies électorales et à la constitution de vos clientèles. J’en ai vu, il y a un mois à peine, ignorer par calcul des enfants jetés à la rue. J’en vois commander d’immenses projets sans même lire les études. Évidemment, la structure du pouvoir est tellement diluée qu’il y a toujours un autre élu qui en est plus responsable que vous. Moi, je sais que résumer votre action à cela est injuste. D’autres ne le savent pas.

Vous n’êtes pas responsables du chaos politique à l’échelle nationale. Mais la réélection de trois députés d’extrême droite dans l’Aude est indissociable de votre bilan. Pendant un mois, vous avez été des militants, avec nous. Bientôt, vous retournerez siéger dans vos instances. Vous nous rappellerez pour afficher, tracter, défendre votre bilan à la prochaine élection. Ou, à défaut, nous élever à nouveau contre l’extrême droite. C’est ce que supposent nos institutions. Nos institutions craquent. Notre démocratie est menacée. Vous détenez une partie des clés qui nous éviteront le pire. Vous devez apprendre à vous en servir.

Certains pourraient être tentés de regarder ces quelques lignes avec mépris. Je ne suis pas élu. Je ne peux pas mettre en pratique ce que je recommande. Je ne peux qu’observer ceux qui réussissent et ceux qui échouent et peut-être vous apporter un peu de ce recul, si difficile à conserver au cœur de l’action. Et je gage que certains ne trouveront dans mes propos qu’une validation de leur travail. 

En tant qu’élus locaux, votre rôle est crucial dans cette période de turbulences. Vous êtes le relais incontournable des citoyens, de leurs préoccupations et de leurs espoirs. Vous avez la capacité unique de transformer les aspirations populaires en actions concrètes. Vous avez également le pouvoir disproportionné d’ignorer des pans entiers de la société. Chacun de vos choix, même inconscient, compte. C’est à vous de montrer que la politique peut être autre chose qu’une série de calculs électoraux et de manœuvres stratégiques.

Il est éprouvant de courir d’inauguration de chrysanthèmes en vernissages et il est tentant de confondre un compliment de courtoisie avec une validation de votre point de vue. Vos électeurs, tous vos électeurs, n’ont aucun autre relais pour faire valoir ce qui compte pour eux. Souvent, vous n’entendrez leur détresse que lors des élections, sous la forme d’un hurlement confus. Mais vous pouvez aussi gratter la surface.

Il est temps de renouer avec les principes fondamentaux de la démocratie locale. Écoutez vos électeurs, non seulement lors des campagnes électorales, non seulement ceux qui savent se mettre en avant, mais chaque jour et chacun. Soyez présents sur le terrain, dans les quartiers, auprès des associations et des syndicats. Engagez-vous dans des projets qui répondent aux besoins réels des habitants, et non à vos propres centres d’intérêt.

Vous avez également un rôle de facilitateur à jouer. Ouvrez des espaces de discussion, encouragez le débat public, et donnez la parole à ceux qui se sentent marginalisés. Les conseils municipaux, les réunions de quartier, les forums citoyens sont autant d’occasions de créer du lien et de renforcer la participation démocratique. Utilisez ces plateformes pour éduquer, pour informer, et pour mobiliser.

Chaque décision que vous prenez a un impact. Ne laissez pas les dynamiques nationales détourner votre attention des réalités locales. Le succès de l’extrême droite dans certaines circonscriptions est un avertissement. Il est le reflet de frustrations et de désenchantement. En vous engageant sincèrement et en profondeur, vous pouvez contribuer à reconstruire la confiance des citoyens en leurs représentants. Montrez que la politique peut être au service du bien commun, et non des intérêts particuliers.

Nous serons là pour vous aider, Christine, Mohamed, Dominique, moi et tous les autres qui ensemble formons le Nouveau Front Populaire. Nous continuerons à nous battre pour nos valeurs, à organiser des actions, à mobiliser les citoyens. Mais nous avons besoin de vous, élus locaux, pour transformer cet élan en changements concrets et durables.

C’est ensemble, en joignant nos forces et nos convictions, que nous pourrons éviter le pire et bâtir une société plus juste et plus démocratique. Vous avez un rôle déterminant à jouer, et nous serons là. Ne laissons pas passer cette chance de faire la différence.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 22/07/2024

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