DEFINIR LA DEMOCRATIE

En ces temps troublés de la V ème République, les mots "républicain" et "démocratie" sont agités en tous sens sans toutefois que leur signification soit acquise et partagée par ceux qui s'y réfèrent. Qui peut vraiment expliquer au delà des éléments de langage ce qu'est un "arc républicain" ? Il en est de même pour le mot démocratie que l'on qualifie de toutes sortes s'adjecifs. Voici un remarquable travail qui éclaire le lecteur sur ce qui se pense sous le mot "démocratie"...

Démocratie (Image par Gerd Altmann de Pixabay)

 

« –Allons, nous sommes en démocratie ! » me dit une amie, par ailleurs élue.
« –Bien sûr que non. » lui répondis-je distraitement.
Elle fit la moue.
Elle n’a jamais trouvé le temps pour m’écouter expliquer ce qu’était la démocratie selon Aristote ou Jürgen Habermas.

   La langue évolue constamment. Le sens des mots populaires peut changer rapidement. Différents groupes adoptent ces mots, créant parfois des malentendus souvent anodins à cause des différentes significations ou colorations qu’ils leur attribuent. Dans le cas du mot démocratie, ces divergences sont de nature politique. Les appropriations ne sont pas toujours loyales, dans le sens où elles visent souvent à s’approprier l’aura positive du mot plutôt que les idées qu’il convoie.

   Le mot démocratie porte un idéal d’égalité civique. Mais ce n’est pas toujours ce que défendent ceux qui le brandissent.

L’expérience athénienne

   Vraisemblablement, l’Athènes des VIème et Vème siècle avant notre ère ne fut qu’une expérience démocratique parmi d’innombrables autres. Elle échappa à l’oubli grâce au formidable prestige acquis par les philosophes de l’antiquité grecque qui la décrivirent.

   L’étymologie grecque du mot démocratie associe peuple (δῆμος) et gouvernement (κράτος). Dans une démocratie le peuple est souverain. Mais la volonté du peuple est un objet difficile à saisir. Tel est du moins la leçon que les expériences grecques nous ont léguée. Un système démocratique doit être capable de reconnaître la volonté du peuple éclairé et de rejeter les passions éphémères de la foule. Inventer la mécanique permettant ce subtil acte d’alchimie est une quête que nous poursuivons encore aujourd’hui.

   Ainsi, certaines réflexions des philosophes antiques n’ont rien perdu de leur actualité (1). Ce n’est pas le cas de toutes. La définition du peuple a évolué. Dans la démocratie athénienne la citoyenneté était masculine et était réservée à une fraction réduite de la population.

   D’autres réflexions, sur les limites du vote majoritaire ou sur la sélection de représentants, continuent à pointer des problèmes que nous n’avons pas résolus.
Dès lors la démocratie ne peut être qu’un idéal. Aujourd’hui nous prétendons l’approcher par l’élection de représentants qui porteraient la volonté populaire. Cette aspiration est vaine selon Aristote (2). Pour lui, les élections introduisent un élément de choix délibéré et sont adaptées à la sélection des meilleurs. Tel n’est pas le but d’une démocratie où le peuple entier gouverne. Confier un mandat au meilleur est selon lui de nature aristocratique. Le grand penseur ne connaissait pas le sens que la langue française donnerait aujourd’hui au mot aristocratie. Son étymologie grecque associe meilleurs (ἄριστοι) et gouvernement (κράτος). L’Ancien Régime s’est approprié ce terme pour justifier les privilèges de la noblesse. Néanmoins, dans le sens originel et sans vouloir empourprer de fervents républicains, les élus sont des aristocrates. Ou tout du moins voudrions-nous qu’ils le soient. Aristote met en garde contre la tendance naturelle d’un tel système à dériver. En effet, comme le montre Max Weber[ (3), l’élection valorise des qualités émotionnelles et personnelles plutôt que la compétence technique. Il n’existe pas de meilleur individu en toute matière qui pourrait être sélectionné par un quelconque procédé. En outre, d’autres biais sont introduits par les procédures de candidature et les campagnes. Chacune de ces étapes favorise une fraction de la population, toujours la même. Ceux qui détiennent le pouvoir ne son plus, par construction, les meilleurs. Il se forme alors une oligarchie, car seuls quelques-uns (ὀλίγος), commandent (ἄρχω).

   A Athènes, aux VIème et Vème siècle avant notre ère, la volonté populaire s’exprimait par le vote direct des citoyens ou par le biais de représentants tirés au sort. Pour les anciens, la condition première de la démocratie était l’égalité civique. Le représentant n’est légitime démocratiquement que parce qu’il est fondamentalement l’égal de ceux qu’il administre. Ce n’est pas le cas des élus. Ils accèdent de fait à une classe dominante.
   Chez les Grecs, la représentation avait un sens que nous avons perdu. Le magistrat représentant la cité ne détenait pas tous les pouvoirs pour une certaine période de temps. Une telle délégation exista dans d’autres systèmes qui ne se revendiquaient pas démocratiques. Ainsi la République romaine appelait une telle délégation dictature. Dans une démocratie antique, le représentant incarnait la cité seulement à certains égards et pour certaines fonctions. L’assemblée du peuple détenait tout pouvoir pour le révoquer à tout moment entre autres principes de limitation.
   Ainsi, la version athénienne de la démocratie était un référentiel commun pour tous les lettrés depuis la Renaissance. Ils en connaissaient la critique de Platon (4), marquée par le vote de la mort de Socrate, par une foule qu’il ne parvint pas à à raisonner et par la défaite contre Sparte. Ils avaient également lu Aristote.

La démocratie directe

   Les écrits des philosophes antiques eurent une influence considérable sur la pensée des philosophes des Lumières au XVIIIème siècle. Ceux-ci retinrent la crainte du règne des passions, l’aveuglement populaire et le péril que constituent les démagogues et les flatteurs pour entraîner des foules ignorantes. Ils retinrent également la primauté du droit et la recherche de l’intérêt général, promus par Aristote comme pistes d’amélioration.
   La démocratie directe a toujours été un mode commun d’administration dans des petites structures et encore aujourd’hui, elle apparaît comme un modèle naturel d’auto-organisation. A l’échelle d’un grand état, sa mise en place semble plus complexe.
Pour Jean-Jacques Rousseau (5), la souveraineté populaire est inaliénable et indivisible. Pour lui, la démocratie doit être directe. Toute délégation de pouvoir est une trahison du pacte social. La « volonté générale » ne peut être représentée, elle est seulement exécutée par l’ensemble des citoyens réunis. Toute la difficulté d’un système de démocratie directe moderne est de distinguer les élans profonds constitutifs de cette volonté souveraine, des passions fugaces qui peuvent emporter une foule.

   La pensée de Rousseau inspira le marquis de Condorcet[ (6), principal rédacteur de la Constitution de l’an I, adoptée en 1793. Pour satisfaire l’impératif fixé par Rousseau, tout en surmontant les difficultés pratiques dues à des communications peu efficaces, il inscrit dans son projet le référendum constitutionnel obligatoire à des fins de contrôle, mais aussi le droit d’initiative des citoyens. Le droit d’initiative populaire permet à tout citoyen d’élaborer une proposition de loi et de la soumettre aux suffrages, soit du Parlement, soit de la population, si elle réunit auparavant un nombre suffisant de souscriptions.
   Ces idées ne seront jamais appliquées en France. Mais elles trouveront un terrain fertile en Suisse dès le milieu du XIXème siècle, devenant un des piliers d’un régime souvent cité en exemple. Le système suisse a beaucoup évolué depuis, donnant une place toujours plus grande à l’expression directe de la volonté populaire. La relative accessibilité des conditions permettant de déclencher un vote de tous les citoyens induit une culture du consensus dans la classe politique. Essayer de faire passer une mesure contraire à la volonté populaire mènerait inévitablement à ce qu’un vote soit organisé. Ainsi lorsqu’une loi n’est pas contestée, elle peut prétendre en émaner. Lorsque le suffrage universel est fréquent, les gouvernants cherchent à être les interprètes de la volonté populaire plutôt que de pousser leur propre agenda politique. De Suisse, ces modalités de démocratie directe s’exporteront vers des dizaines de pays et de nombreux états américains.

   L’expression directe des électeurs par le vote souleva cependant son lot de craintes. Ainsi, le risque, dans les systèmes démocratiques, de voir une majorité imposer sa volonté sans égard pour les droits des minorités est une objection courante à ce type de proposition. Cette tyrannie de la majorité décrite par Alexis de Tocqueville (7) mènerait la démocratie à prendre la forme d’un despotisme. Le tyran ne serait plus un individu mais un groupe important de citoyens qui, en s’appuyant sur leur supériorité numérique, marginaliserait les individus ou groupes minoritaires. Par exemple, un référendum sur l’immigration, en ciblant spécifiquement une minorité, est l’archétype de cette forme de dérive.
   Cette idée a été reprise et approfondie par John Stuart Mill (8) qui alerte sur le danger de la conformité sociale. En effet, lorsque les opinions majoritaires deviennent des normes coercitives, elles peuvent étouffer l’indépendance d’esprit et la diversité des idées. Ces auteurs soulignent que, sans protections institutionnelles pour les minorités, telles que des contre-pouvoirs ou des droits inaliénables, la démocratie peut se transformer en un système oppressif, où l’uniformité triomphe aux dépens de la liberté et de la pluralité.

   Un autre écueil de la démocratie directe réside dans son inefficacité à distinguer les passions momentanées de la foule de ce qui est la volonté générale. Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne en 2016 en est un exemple. La majorité des électeurs britanniques ont donc voté pour quitter l’Union Européenne. Ce résultat était inattendu. Très vite se développa dans le pays entier une vague de regret, au point qu’il semble aujourd’hui que le principal obstacle pour le retour du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne soit une affaire de fierté. Ce jour de 2016, ce qui s’est exprimé n’était de toute évidence pas la volonté générale au sens de Rousseau. Cet exemple illustre une critique récurrente contre la démocratie directe. Dans une société où la conscience politique se forge seule dans son salon en recevant des images et informations soigneusement manufacturées pour orienter nos pensées. La volonté générale semble être un concept inaccessible.

   En 2019, le mouvement des gilets jaunes aboutit à une revendication unique, l’instauration du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) en France. Cette demande fut balayée et le mouvement fut étouffé avec violence par le pouvoir en place.

La Représentation

   Sous l’Ancien Régime, des représentants de contribuables étaient convoqués lorsque les souverains souhaitaient lever de nouvelles taxes. Ces assemblées, telles que les États généraux en France, symbolisaient une forme précoce de représentation, bien que limitée et orientée par le pouvoir monarchique. Les représentants n’étaient que des délégués temporaires, convoqués pour exprimer le consentement des classes privilégiées face aux besoins fiscaux du souverain. Ces instances permirent à la bourgeoisie de convertir son pouvoir économique grandissant en pouvoir politique. La république des sept Provinces-Unies des Pays-Bas naquit de cette évolution des rapports de force dès le XVIème siècle. En 1689, une révolution de palais en Angleterre mena à l’adoption de la Charte des droits (9). Celle-ci institue le Parlement comme représentant du peuple sans le consentement duquel le roi ne peut gouverner. La classe bourgeoise s’érigeait comme porte-parole des masses laborieuses et paysannes. Les termes de cette identification entre peuple et parlement feront l’objet d’une littérature abondante.
   Le premier argument est donné, entre autres, par Montesquieu (10). S’interrogeant sur les modalités d’expression politique du peuple, il affirme que la démocratie directe, où le peuple gouverne directement sans intermédiaire, est impraticable dans des sociétés vastes et complexes.
   Le deuxième argument est notamment porté par Alexander Hamilton et James Madison (11) aux États-Unis. Ils craignent que le tirage au sort, la méthode jugée démocratique par Aristote, puisse conduire à la désignation de représentants médiocres ou mal intentionnés, incapables de résister aux passions populaires et aux factions. Madison, en particulier, souligne que la République doit filtrer les volontés populaires à travers un corps de représentants éclairés qui, par leur connaissance et leur sagesse, sont en mesure de tempérer les excès de la démocratie directe. L’élection devient ainsi un mécanisme de filtrage des passions, en assurant que ceux qui sont choisis pour gouverner ont démontré, par leur parcours et leurs qualités, une capacité à juger au-delà de l’immédiateté des désirs populaires. Hamilton, quant à lui, insiste sur l’importance de la compétence et de l’intégrité. Pour lui, l’élection est indispensable pour s’assurer que seuls ceux qui ont le savoir nécessaire pour gouverner et un attachement sincère à la nation puissent accéder aux responsabilités publiques. Le tirage au sort, ne reposant que sur le hasard, ne pourrait pas garantir ces qualités indispensables. 

   En France, l’évolution politique fut brutale. L’abbé Sieyès (12) théorisa cette mutation en 1789 en affirmant la primauté de la volonté nationale, qui s’exprime dans l’assemblée des députés du Tiers-État. La révolution américaine qui venait de se clore avait conduit à l’instauration d’un régime de monarchie constitutionnelle élective qui s’inspirait fortement du régime de la Rome républicaine. Comme au temps de la Rome antique, la nouvelle république se méfiait des rois et choisit de qualifier son monarque de président et ne se contentant plus de coutumes, elle choisit de brider drastiquement ses pouvoirs par une constitution.  La France, quant à elle, mit en place un régime pleinement représentatif. Ce régime politique ne se qualifiera lui-même de « démocratique » que beaucoup plus tard, dans le sens où il met en œuvre la souveraineté populaire.

   La Troisième République française, en stabilisant un modèle républicain, devint un parangon de cette démocratie représentative voulue par Sieyès. En s’exportant à travers l’Europe et le monde, souvent sous l’impulsion des élites bourgeoises et intellectuelles, ce modèle apporta l’idée que la représentation n’est plus seulement un compromis, mais l’essence même de la démocratie moderne. La représentation serait de la même substance que la nation et pourrait plus efficacement révéler la volonté populaire. En effet en étant seulement composée d’hommes éduqués, elle serait purgée des opinions extrêmes ou frivoles. Si aujourd’hui les femmes sont éligibles, la logique structurante reste fondée sur la domination de certains profils de citoyens sur la société entière.
   Le prestige de la Troisième République après la Première Guerre mondiale a contribué à universaliser ce modèle, malgré ses contradictions internes et les critiques persistantes de ceux qui continuaient à dénoncer la représentation comme une fausse démocratie. Pourtant, c’est ce compromis, entre la souveraineté nationale et l’exigence pratique de la représentation, qui a modelé la démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Le majoritarisme et les tyrans

   En 1828, Andrew Jackson fut le premier président américain élu au suffrage universel direct dans de nombreux États. Il s’agissait alors d’un universalisme très sélectif, puisqu’il ne concernait ni les femmes, ni les amérindiens, ni les afro-américains. Mais la voix des plus pauvres parmi les hommes blancs comptait désormais autant que celle des plus riches. Le parti démocrate venait de naître. Alexis de Tocqueville (13) dresse de Jackson un portrait au vitriol. Il décrit sa tendance à flatter les idées majoritaires de son époque, et à se servir de l’incroyable force conférée par ce soutien populaire pour mépriser les institutions et le droit. Ce cas concret le mène à décrire l’essence d’une tyrannie de la majorité, qu’elle soit directe ou par le biais d’un représentant. Le majoritarisme est un principe politique où la volonté de la majorité prévaut sur celle de la minorité, sans nécessairement prendre en compte les intérêts de cette dernière. Sa dérive en tyrannie de la majorité survient lorsque cette domination numérique est utilisée pour ignorer les droits d’une minorité. La restriction des libertés individuelles et l’oppression des minorités transforme la démocratie en un régime despotique où la force du nombre écrase les principes fondamentaux.

   Les écrits de Tocqueville résonnent aujourd’hui comme une mise en garde contre une certaine forme de populisme. Le populisme est une forme de discours politique qui oppose le peuple aux élites, qu’elles soient administratives, politiques ou financières. Le danger du populisme se matérialise quand, à travers ces élites, ces discours visent les contre-pouvoirs qu’ils incarnent et contestent par ricochet les principes qui les justifient. Ainsi tel discours de la part d’un tenant du pouvoir exécutif qui attaque les juges, met en péril la séparation des pouvoirs et l’État de Droit. Pourtant le populisme doit être regardé avec nuance. Toute élite constituée développe un intérêt de classe. Et cet intérêt est par nature différent de l’intérêt général. Le populisme est donc nécessaire lorsqu’il défend l’intérêt général contre les puissants, il est dangereux quand il est utilisé par un gouvernant pour disqualifier des contre-pouvoirs.

   Dès son retour en grâce à l’ère moderne, le terme démocratie portait en lui une ambiguïté sur l’héritage de la pensée des Lumières et sur des notions comme les libertés fondamentales, ou la primauté de la constitution. Andrew Jackson a inauguré une longue tradition assimilant la démocratie à l’élection, idéalement au suffrage universel. Cette définition reste très ancrée parmi les élites médiatiques et politiques malgré son insuffisance. Elle porte avec elle un glissement du sens de l’expression « démocratie représentative » qui se focalise désormais sur le mode de sélection des représentants, plutôt que sur leur expression en assemblée pour mettre en œuvre la notion de représentation. Elle alimente notamment des critiques du fonctionnement de l’Union Européenne.

   Pour Joseph Schumpeter (14) la démocratie n’est fonctionnellement rien d’autre qu’une méthode, par laquelle le peuple délègue sa volonté. Le peuple conservant le privilège de pouvoir changer de maître régulièrement. Certains trouvent même cette définition incomplète de la démocratie trop restrictive. Pour se prétendre démocratiques, certains gouvernants se contentent du lien le plus ténu avec la volonté populaire. Ainsi une grande variété de régimes a adopté ce qualificatif depuis le XXème siècle. Nombre d’entre eux se contentent du formalisme de l’élection pour revendiquer le terme, et ne s’embarrassent pas toujours de proposer à l’électeur une alternative réelle. Ils revendiquent une logique plébiscitaire, l’absence d’alternative réelle au pouvoir en place ne disqualifie pas pour eux la légitimité démocratique de l’élection.
   Le mot démocratie n’est alors qu’un élément de la mythologie d’un pouvoir autoritaire. En d’autres temps, les autocrates revendiquaient une validation divine. Aujourd’hui l’onction des urnes remplit le même office.
Ainsi, des régimes se revendiquant du marxisme-léninisme ont adopté l’appellation de démocratie populaire notamment en Europe de l’est. Le régime chinois se décrit comme une dictature démocratique du peuple. Ces régimes ne retenant parfois de Karl Marx (15) qu’une justification de leurs excès au nom de la dictature du prolétariat.

   Une définition plus restrictive du mot démocratie s’est progressivement imposée dans les pays occidentaux. Les régimes, souvent classés à l’extrême-droite, se revendiquant de la démocratie mais échouant à garantir les libertés fondamentales ou à mettre en œuvre des contre-pouvoirs reçoivent le qualificatif de démocratie illibérale. Cette ligne de démarcation entre des démocraties vertueuses et des démocraties incomplètes est un sujet majeur de politique étrangère pour les pays occidentaux. Et outre des critères objectifs, le rapport de puissance entre États joue un rôle tout aussi décisif.
   La France par exemple se promeut comme vertueuse, quoi qu’elle fasse. L’État français menace pourtant de rétorsions les organisations non gouvernementales qui critiquent ses méthodes de maintien de l’ordre par exemple. La vertu démocratique est devenue un honneur dont certains États se décorent eux-mêmes, d’autorité. 

   Pourtant, lorsque Bruno Retailleau, Ministre de l’Intérieur déclare en octobre 2024 que l’État de Droit n’était pas sacré, il se plaçait sans ambiguïté, lui et le Premier Ministre (qui ne le démit pas immédiatement), dans le camp illibéral.

Le cadre libéral

   Pour ceux qui ont vécu ailleurs, l’usage du mot « libéral » en France est une incessante source d’étonnement. Le mot libéral s’oppose au mot autoritaire. Le libéralisme est le cadre qui nous protège des abus de pouvoir et des spoliations. Les systèmes politiques d’Europe occidentale et de plusieurs autres parties du monde sont volontiers qualifiés de démocraties libérales. Si le terme démocratie est sémantiquement incorrect, puisque la volonté générale est réduite à celle de représentants élus, le terme libéral touche à l’essence de nos sociétés. La liberté individuelle est un pilier de notre manière de vivre ensemble. Chacun peut mener sa vie comme il l’entend et toute atteinte à ce principe doit être proportionnée et strictement nécessaire à l’intérêt général. Tel est l’héritage toujours vivant des philosophes des Lumières. Et depuis, ce legs ne cesse d’être un moteur puissant de progrès, face aux forces conservatrices, ainsi qu’un bouclier face aux régressions autoritaires.
     Pourtant, en France, le mot libéral a perdu son sens émancipateur.
   Il est souvent associé à un capitalisme débridé, où le plus faible est insuffisamment protégé du plus fort. Il s’agit d’une confusion terminologique qui nuit au débat. Comme toute grande école de pensée, le libéralisme est pluriel. Et son acception, se décline, même en politique économique, en plusieurs courants parfois opposés. L’idée fondatrice est que l’initiative individuelle apportera des réponses plus agiles et efficaces qu’une structure pesante, où les privilèges côtoient l’arbitraire. L’action économique de l’État doit donc se limiter à ce que nécessite l’intérêt général et être encadrée. Cette base est devenue la colonne vertébrale de nos systèmes économiques.
L’école classique, longtemps dominante, théorise qu’un marché, où l’État n’intervient pas ou peu, s’autorégulera de manière dynamique, laissant libre cours aux entreprises capitalistes. La crise de 1929 lui apportera une réfutation fracassante. Cette théorie marginalisée ne subsiste qu’à l’état résiduel dans sa variante libertarienne, venue des États-Unis. Elle suppose que l’État n’intervienne, ni dans les rapports économiques, ni dans les rapports sociaux. Cette vision est qualifiée par ses détracteurs d’ultralibéralisme et est accusée, non sans fondement, de faire le jeu des puissants. Aucun dirigeant européen ne se revendique aujourd’hui de cette doctrine. Mais ses contempteurs la décèlent dans les excès quotidiens de la finance ou du commerce international. Le libéralisme, dans son sens premier, ne se limite pas à cette caricature.

   A l’occasion des élections nationales françaises, il est aisé de constater que le libéralisme constitue l’armature de la pensée économique de tous les grands courants politiques. Ceci inclut ceux qui le conspuent. La France Insoumise, par exemple, propose une approche économique fondée sur la relance keynésienne. Si cette doctrine s’oppose au « laissez-faire » dominant à l’époque de son élaboration, elle s’inscrit dans la filiation du nouveau libéralisme de John Stuart Mill. L’intervention de l’État dans l’économie, pour domestiquer les excès du capitalisme et du marché, est considérée nécessaire à l’intérêt général par ce courant et ses successeurs.

   Aujourd’hui, le débat économique de fond porte sur ce qu’est un excès du capitalisme et du marché et sur ce qu’est l’intérêt général. Embrasser une proposition économique libérale, tout en s’en défendant, est source de confusion et une cause probable de la mauvaise santé de la gauche française. Seules quelques propositions, anecdotiques, d’économie planifiée sortent du cadre économique libéral. Car le cadre économique libéral ne se limite pas aux entreprises à but lucratif et à leurs excès, loin s’en faut. Il englobe également tout l’univers de l’économie sociale et solidaire et est la source des mutuelles, des coopératives ou du monde associatif. Nous devons, par exemple, la loi de 1901 sur la liberté d’association à Pierre Waldeck-Rousseau, un libéral. Le problème est que ce glissement sémantique mène certains à ressentir une fausse proximité avec des régimes dont l’antilibéralisme économique n’est qu’une facette d’un autoritarisme généralisé.
Ce glissement vient de la confusion entre le cadre libéral et les politiques menées par les partis se qualifiant de libéraux. Nous baignons dans le cadre libéral. L’État de droit, les libertés publiques, les contre-pouvoirs, le libre consentement aux contrats ou la protection de la propriété, sont profondément ancrées dans nos cultures et nos usages. Les partis libéraux, héritiers du « Laissez-faire » du libéralisme classique, mettent l’accent sur l’atomisation des rapports sociaux et la responsabilité individuelle. Cette idéologie, réputée favorable aux entreprises, a pour effet de maintenir un déséquilibre en faveur des dirigeants et des détenteurs du capital. Cette version du libéralisme, longtemps dominante, a créé son propre ordre social. Et paradoxalement, les partis conservateurs se revendiquent aujourd’hui du libéralisme économique. Les partis progressistes, se sont fait déposséder du mot, mais pas du fond. La déconfiture de la gauche française n’est pas étrangère à ce grand écart entre une rhétorique vilipendant le libéralisme économique et des propositions la contredisant.

   Le quinquennat de François Hollande s’est révélé particulièrement destructeur sur ce plan. Au lieu d’une politique de redistribution des richesses, afin de répondre à l’accroissement des inégalités, son gouvernement a adopté une politique économique de l’offre. Cette politique d’inspiration néoclassique met en œuvre de nombreux marqueurs classés à droite, comme la réduction des impôts et la dérégulation du marché du travail, qui ont semé le trouble. Son objectif consiste à faire le ménage parmi les régulations et les coûts superflus qui pèsent sur l’activité économique. Ainsi, les notaires et les greffiers des tribunaux de commerces ont longtemps été menacés de voir leurs privilèges nationalisés. Ce combat, certes perdu, a laissé imaginer l’émergence d’un libéralisme assumé de gauche, incarné par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Il s’agissait d’un malentendu. Utiliser le terme libéralisme en France mène dans un aiguillage mental qui polarise la pensée. Et ce biais cognitif est particulièrement marqué chez ceux qui nous gouvernent, en raison de leur formation identique. Les nuances, notamment historiques, sont éclipsées. Dans le camp des « pros », les recettes néoclassiques sont appliquées, alors que dans le camp des « antis », on fustige l’Union Européenne et certains regardent avec indulgence des régimes autoritaires. Nous devons nous en extraire si nous voulons construire une alternative aux propositions classiques qui soit émancipatrice pour l’individu.

   Un cadre libéral se fonde sur l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Le peuple souverain détient le pouvoir législatif et statue sur les questions générales. Une administration indépendante de la justice statue sur les questions particulières. Le ou les pouvoirs exécutifs sont soumis aux pouvoirs législatifs et judiciaires, assurent la sécurité et mettent en œuvre les lois et les décisions de justice. Le fondement du libéralisme est de limiter le pouvoir des puissants, y compris l’État, et de protéger chaque citoyen.

   En matière économique, les puissants sont les agents économiques qui détiennent des monopoles ou des oligopoles sur des marchés. Le libéralisme vise à brider le pouvoir de tous ceux qui, dans un rapport asymétrique, dictent leurs règles. Il existe deux manières de limiter ce pouvoir : le réglementer ou le fragmenter. Réglementer fait peser une charge administrative supplémentaire sur des structures lourdes, déjà engoncées dans des procédures hiérarchiques pesantes, au mépris de l’humain. Fragmenter expose chacun aux aléas de la concurrence, aux réussites fulgurantes et aux échecs dévastateurs. L’un n’exclut pas l’autre. Si les acteurs sont fragmentés, le marché doit être régulé. Si un secteur est réglementé et sorti du marché, le pouvoir décisionnel doit être fragmenté. Et c’est dans ce subtil dosage, dans le choix des périmètres idoines, dans la recherche de l’optimum que réside l’essentiel du débat économique que nous devons avoir.

   Dans le champ politique, un cadre libéral assure le pluralisme sans lequel, comme l’a noté Alexis de Tocqueville (16), la démocratie ne peut prospérer. Il permet une diversité de voix et une compétition saine entre différentes idéologies.
   La France de la cinquième République est sur-administrée. Cette caractéristique crée de la complexité, de la lourdeur, de l’inefficacité et même de la souffrance humaine. Nous votons depuis longtemps déjà pour des promesses faites par des administrateurs de l’État de s’attaquer à ce problème. Quand la situation n’empire pas, elle prend une autre forme en substituant à la sur-administration par l’État, des superstructures économiques, administrées par ces mêmes individus, au bénéfice d’intérêts privés, très loin de l’idéal émancipateur des Lumières. D’autres acteurs économiques que l’État, peuvent endosser l’intérêt général. Les collectivités publiques bien sûr, mais aussi des associations comme les Restos du Cœur sont, dans leurs domaines, bien plus efficaces pour s’attaquer aux problèmes concrets. Dans la France de la cinquième République, la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif n’existe plus au profit de l’exécutif national. Et un discours se qualifiant d’antilibéral, en pensant s’attaquer aux puissants, fausse le débat et renforce ces derniers.
   L’adhésion de fond à un cadre libéral est sans doute l’un de ces triomphes discrets dont l’Union Européenne est coutumière. Le rejet du mot est l’enfant de l’inculture de certains éditorialistes économiques et du fiel que déversent des démagogues rêvant d’autocratie. L’Union Européenne est aujourd’hui à la fois la gardienne de nos libertés et de la séparation des pouvoirs. En se constituant comme un consensus entre États jaloux de leurs prérogatives, l’Union Européenne est une organisation sans pouvoir exécutif. Le paradoxe est que si elle est, à juste titre, considérée comme l’apôtre du libéralisme, c’est en France pour de mauvaises raisons. L’Europe est libérale, non pas parce qu’elle contraint les dépenses publiques, il s’agit d’un choix politique. L’Europe est libérale parce qu’elle encadre et limite le pouvoir des plus gros acteurs politiques et économiques, qu’ils soient des États ou des grandes entreprises étrangères comme Google ou Amazon. Comme l’Europe n’est elle-même pas un acteur économique, nous Français, lui devons la meilleure implémentation sur notre sol de l’idée de Montesquieu (17) : la séparation des pouvoirs.
   La république constitutionnelle incarne une démocratie moderne par son engagement envers la primauté de la loi, la séparation des pouvoirs, la souveraineté populaire, la protection des droits individuels, et le pluralisme. Ce modèle, en ancrant la légitimité du gouvernement dans le consentement des gouvernés, tout en limitant le pouvoir étatique, réalise un équilibre délicat mais indispensable pour la préservation de la liberté et de l’égalité dans une société complexe.
   Le terme de démocratie dans les pays occidentaux englobe tous ces éléments jugés nécessaires. Ainsi menacer un seul de ces fondements s’entend comme menacer la démocratie.
   Par construction, la démocratie libérale se définit, essentiellement, par les limites qu’elle fixe aux pouvoirs des représentants du peuple. De tous les citoyens, les élus et les gouvernants sont donc les plus susceptibles de la menacer car ils sont les plus contraints par elle.

Réapprendre à Délibérer

   Dans les années 1960-1970, des mouvements sociaux réclamèrent davantage de transparence, d’inclusion et de contrôle citoyen sur les décisions publiques. Les évènements de mai 1968 en France mirent en lumière un décalage entre les attentes des citoyens et les décisions prises par leurs représentants.
   Certains pays y répondirent en introduisant des éléments de démocratie directe dans leur régime politique. D’autres adoptèrent une approche plus frileuse comme la France. Les modèles hybrides qui en émergèrent, ceux où les citoyens sont activement impliqués dans le processus de prise de décision, au-delà de l’acte de voter, furent collectivement qualifiés de démocratie participative.
   Ce nouveau moment démocratique constitua une opportunité pour approfondir les réflexions de Rousseau sur la formation de la volonté générale. Ce qui a mené d’autres penseurs à s’interroger sur les modalités permettant à un citoyen de se forger un avis éclairé. Ainsi, John Rawls (18), pour formuler des principes de justice, s’attelle à définir une manière d’exprimer la volonté générale. Pour lui, les principes de justice doivent être ceux auxquels tous les citoyens peuvent souscrire à l’issue d’une délibération publique dans des conditions équitables.
   Jürgen Habermas (19) développe l’idée que la légitimité politique doit être fondée sur des processus de communication rationnelle, où les participants à la délibération sont libres d’exprimer leurs points de vue, sans coercition, et où les meilleures argumentations, plutôt que les intérêts particuliers, guident les décisions collectives. Dans cette conception de la démocratie, la rationalité et la recherche de l’intérêt général jouent le rôle essentiel de filtre entre ce qui peut être discuté et ce qui est exclu du débat.
   Le modèle de démocratie délibérative qui en découle apporte une conséquence majeure. Le vote, direct ou par le truchement de représentants, ne suffit pas à rendre une décision démocratique. Une décision politique est démocratiquement légitime seulement lorsqu’elle procède de la délibération publique de citoyens égaux. Par rapport à la démocratie directe, elle met l’accent sur l’exigence de débats argumentés entre les citoyens. Les citoyens sont alors amenés à recevoir des éclairages nouveaux et à s’extraire des pensées préformatées dispensées par exemple dans leur bulle médiatique.
   Cette définition de la démocratie est encore aujourd’hui émergente. Elle a fait l’objet d’expérimentations concluantes comme la Convention Citoyenne Pour le Climat en 2020. A cette occasion, des citoyens, tirés au sort, ont délibéré et fait des propositions particulièrement pertinentes, comme la réduction de la niche fiscale sur le secteur aérien pour favoriser le train, la création d’un organisme indépendant pour évaluer les politiques publiques environnementales ou le fait de favoriser des véhicules plus légers et donc plus économes.

   Les modèles issus de la démocratie délibérative sont regardés avec méfiance par de nombreux élus et gouvernants. Il s’agit évidemment d’un enjeu de pouvoir. Mais cet argument étant inaudible, ils invoquent la complexité, réelle ou supposée, de leur mise en œuvre. Et en effet, les dynamiques de groupe comme les mécaniques de domination qui traversent notre société, complexifient la réalisation de l’idéal d’égalité civique porté par ce modèle. En outre, la confrontation d’arguments peut être perçue comme un conflit. Certains courants féministes, notamment ceux issus de l’écoféminisme le perçoivent comme une manifestation d’une culture patriarcale fondée sur la domination et la compétition. Ceux-ci privilégient des modes de communication plus coopératifs et plus empathiques, favorisant l’écoute, la compréhension et la recherche de consensus. Si l’ambition de dépasser la confrontation agressive  est louable, rejeter la confrontation d’arguments, revient à nier la pluralité des opinions et la possibilité d’un enrichissement mutuel par la critique constructive. La recherche du consensus, si elle n’est pas précédée d’une confrontation ouverte et sincère des points de vue divergents, conduit fatalement à des solutions  superficielles, ne répondant pas aux enjeux de fond et laissant de côté les aspirations des minorités. La démocratie délibérative, pour être réellement inclusive et efficace, doit garantir un espace de dialogue où toutes les voix peuvent s’exprimer librement, même si elles s’opposent.

   En France, l’enquête publique met en œuvre certains principes de la démocratie délibérative. Elle offre un cadre transparent et inclusif, où l’accès à l’information est garanti et où les autorités doivent répondre aux arguments des citoyens, favorisant ainsi un échange rationnel. Lorsque le preneur de décision prend en compte loyalement les contributions citoyennes, l’enquête publique améliore les décisions et renforce leur légitimité, tout en réduisant les asymétries de pouvoir entre les acteurs. Elle mériterait que les citoyens s’en saisissent davantage.

   La démocratie délibérative est sans doute aujourd’hui la modalité qui réalise le mieux l’idéal démocratique. Pourtant, elle est en général, au mieux incomprise, et plus communément détournée ou ignorée par les politiciens.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 19 octobre 2024

 

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Notes
  1. Benjamin Constant De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes 1819 (Analyse de la pertinence des concepts de la démocratie antique pour le monde moderne)[]
  2. Aristote, La Politique (Πολιτικά) IVème siècle avant notre ère[]
  3. Max Weber, Le savant et le politique (Wissenschaft als Beruf, Politik als Beruf) 1917-1919[]
  4. Platon, La République (Περὶ πολιτείας) IVème siècle avant notre ère[]
  5. Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social 1762[]
  6. Nicolas de Condorcet et al. Constitution de l’an I 1793[]
  7. Alexis de Tocqueville De la démocratie en Amérique 1835[]
  8. John Stuart Mill1 On Liberty 1859[]
  9. Bill of Rights 1689[]
  10. Montesquieu, De l’esprit des lois 1748[]
  11. Alexander Hamilton et James Madison Federalist Papers 1787-1788[]
  12. Emmanuel-Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État? 1789[]
  13. Alexis de Tocqueville De la Démocratie en Amérique 1835 1840[]
  14. Joseph Schumpeter Capitalisme, Socialisme et Démocratie 1942[]
  15. Karl Marx Les luttes de classes en France 1850[]
  16. Alexis de Tocqueville De la Démocratie en Amérique 1835 1840[]
  17. Montesquieu De l’esprit des lois 1748[]
  18.   John Rawls La justice comme équité (Justice as Fairness) 2001[]
  19. Jürgen Habermas Théorie de l’agir communicationnel (Theorie des kommunikativen Handelns) 1981[]
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