Le Narbonne ARENA versus Palais des Sports, des Arts et du Travail

La confrontation entre la Narbonne Arena et le Palais du Travail dépasse la simple comparaison architecturale ou économique...

Habiter c’est aussi vivre dans un espace peuplé de symboles, vestiges d’un passé plus ou moins lointain, mais  aussi discours contemporain qui s’inscrit dans le cadre bâti et les espaces qui l’entourent.

La rédaction du Clairon

 

Narbonne offre un miroir saisissant des choix politiques et urbanistiques contemporains à travers deux de ses équipements majeurs : la Narbonne Arena, inaugurée en 2021, et le vénérable, dont la construction débuta en 1938. Ces deux édifices, que tout semble opposer en termes d’architecture, de genèse et de symbolique, incarnent des visions distinctes de l’espace public, de l’investissement collectif et de la mémoire citoyenne. L’analyse comparée de leur histoire, de leur gestion et de leur perception révèle non seulement des paris économiques contrastés, mais aussi des conceptions divergentes de la gouvernance et du lien entre une ville et ses habitants.

Le modernisme autoritaire de l’Arena

Le Narbonne Arena (photo LF)

La Narbonne Arena est une salle multimodale inaugurée en 2021. Située en entrée de ville dans une zone d’équipements structurants, à proximité du Parc des Expositions et du Parc des Sports. Elle a été pensée pour accueillir des événements culturels et sportifs de grande ampleur. Porté par la municipalité, ce projet a vu le jour sans le soutien de l’agglomération du Grand Narbonne, pourtant compétente, qui a ensuite refusé sa rétrocession, marquant sa défiance envers une initiative non concertée.

Dès sa conception, l’Arena a divisé. Levier d’attractivité pour les uns, équipement surdimensionné, coûteux et mal planifié pour d’autres. Le collectif citoyen « Touche pas à mon parc des sports » s’est ainsi opposé à ce qu’il jugeait être un projet de prestige déconnecté des besoins locaux, notamment car son emplacement a amputé un parc important pour la vie locale.

Sur le plan administratif, le projet a connu des turbulences importantes. En 2019, le tribunal administratif de Montpellier a jugé illégal le marché de construction de la salle, mettant en évidence des irrégularités dans la procédure.  Pourtant, les travaux ont continué, nourrissant un sentiment d’impunité et d’opacité. La société S-PASS, choisie pour l’exploitation de l’équipement, a conclu avec la ville une convention dont les détails ont longtemps échappé au débat public. Ce manque de transparence donne encore aujourd’hui lieu à des rumeurs. Ainsi, certains soutiennent que la convention comporterait une clause interdisant l’organisation de manifestations politiques que la fragilité économique de l’équipement rendrait inapplicable. Si elle existe, elle n’a pas été opposée à Jean-Luc Mélenchon, qui y a tenu un meeting holographique durant la campagne présidentielle de 2022, ni à Marine le Pen et Jordan Bardella, qui y ont organisé leur rassemblement le 1er mai 2025.

Cette rumeur, en relation avec ce dernier événement met en lumière la préoccupation que cet équipement soulève pour la bonne gestion des deniers publics. D’après plusieurs témoignages, une somme importante, que l’exploitant se serait empressé d’encaisser, aurait été versée par le RN pour privatiser la salle. Cette opération a un aspect positif pour les finances publiques car elle allège le déficit de l’équipement que la municipalité devra compenser. Mais d’un autre côté, l’agglomération du Grand Narbonne a été contrainte de reporter la Foire de Printemps, événement commercial majeur, initialement prévu au Parc des Expositions voisin. La ville a également fermé le Parc des Sports. En outre, un imposant dispositif de sécurité a été mis en place, mobilisant les services municipaux dans des proportions inhabituelles. Enfin, les parkings et espaces publics autour du bâtiment ont été rendus plein de déchets et de graffitis Les coûts indirects engendrés par cette opération pèsent, de fait, sur les finances locales. L’Arena privatise les bénéfices et socialise les coûts.

Sur le plan sportif, la viabilité économique de l’Arena a également posé question. La facturation au Narbonne Volley d’une location d’environ 100 000 €/saison jugée insoutenable par la fédération nationale a contribué à sa menace de rétrogradation administrative en 2022. Celui-ci a toutefois été maintenu en Ligue A, après avoir renégocié à la baisse le tarif d’occupation. Cet épisode illustre les tensions permanentes entre les ambitions affichées de la salle et la réalité financière de ses usagers réguliers.

Le coût de construction de l’Arena est passé de 15 à plus de 28 millions d’euros. Cela représente un effort considérable pour une commune de la taille de Narbonne, équivalent à plusieurs centaines d’euros par contribuable. Structurellement déficitaire, l’équipement ne semble pas devoir être un jour en mesure de se rentabiliser.

Chaque événement s’inscrit ainsi dans une économie de la perte, la collectivité comblant le déficit. Loin d’une fonction d’intérêt général partagée, la salle sert surtout à de grands rassemblements ponctuels, souvent déconnectés du quotidien des habitants.

L’architecture même de l’Arena illustre cette logique. Avec sa forme massive et refermée, elle s’apparente davantage à un vaisseau technologique posé sur un socle de béton qu’à un bâtiment intégré dans le tissu urbain. La façade vitrée en pied d’édifice cherche à évoquer la transparence mais contraste avec la lourdeur des structures supérieures en tôle, ce qui renforce l’idée d’une opacité dominante. Le parvis, vaste et minéral, sans végétation ni mobilier urbain accueillant, accentue l’isolement physique de l’édifice. Cet espace n’est pas pensé pour la rencontre mais pour la circulation contrôlée des foules lors d’événements spécifiques. Il en résulte un sentiment de distance, d’inaccessibilité, qui symbolise parfaitement le décalage entre les finalités initiales affichées du projet et son usage réel.

À ces éléments s’ajoutent des décisions symboliques qui participent d’un récit personnel plus que collectif. L’avenue qui borde l’Arena a été rebaptisée du nom du père du maire en exercice, et une statue à sa mémoire y a été installée. Ce geste, au cœur d’un projet déjà controversé, conforte l’idée d’une appropriation politique et affective de l’espace public, au détriment d’une gouvernance fondée sur la concertation, la neutralité et l’intérêt général.

Ainsi, au fil des faits, l’Arena se présente moins comme un outil au service de la population que comme une vitrine coûteuse et politiquement instrumentalisée. Elle est le fruit d’un choix unilatéral, conduit avec une forme de suffisance procédurale et de déni démocratique. Chaque événement qu’elle accueille, quelles que soient sa nature ou sa portée, repose sur une contribution forcée des contribuables narbonnais. Non seulement ils n’ont pas choisi cet équipement, mais ils continuent d’en assumer le poids, y compris lorsqu’il est utilisé à des fins qui ne rencontrent ni leur adhésion, ni leur bénéfice direct.

Au terme de cette analyse, il apparaît que la Narbonne Arena ne relève pas seulement d’un pari économique manqué. Elle incarne un mode de gouvernance vertical, opaque et dispendieux, dont les traces sont inscrites dans le béton, dans les comptes publics, et désormais dans la mémoire collective.

Un palais pour les sports, les arts et le travail

Le palais des sports et du travail de Narbonne (photo L.F.)

En bordure du centre-ville, encerclé de voies où les automobilistes vont souvent trop vite, perché sur le remblai des anciens remparts, le Palais des Sports et du Travail de Narbonne déploie sa silhouette hiératique. Initié en 1938 par le maire socialiste Achille Lacroix, avec le soutien décisif de Léon Blum alors député de Narbonne, sa construction portait l’ambition forte de matérialiser la solidarité républicaine par un lieu fonctionnel et digne, dédié aux sports, à la culture populaire et au mouvement ouvrier.

L’architecture néoclassique du Palais frappe immédiatement. Les hautes colonnades, les lignes massives et les volumes équilibrés expriment une esthétique résolument tournée vers la pérennité et le collectif.  Contrairement à l’éphémère Arena, le Palais du Travail s’ancre dans la durée, la mémoire et la transmission.

Si ce style néoclassique monumental fut choisi pour incarner la dignité et la pérennité des idéaux républicains et populaires, il n’est pas sans évoquer, pour un regard contemporain, d’autres usages. Au cours du XXème siècle, une telle monumentalité fut parfois l’apanage de pouvoirs plus soucieux d’impressionner que d’émanciper, ce qui peut teinter la perception de ces formes d’une certaine froideur. Toutefois, à Narbonne, le contexte du Front Populaire l’ancre résolument dans un projet d’élévation collective.

Ce lien à la mémoire se manifeste aussi dans les noms des salles et des monuments environnants. La Bourse du Travail, qui occupe une aile du bâtiment, abrite aujourd’hui encore la plupart des syndicats et reste un espace de réunion fréquenté. Deux salles principales portent les noms d’Elie Sermet et d’Achille Lacroix, figures de la résistance au fascisme et de l’engagement populaire.

Achille Lacroix, maire socialiste de Narbonne fut un artisan du progrès social. Sa politique municipale, tournée vers les classes populaires, modernisa les équipements publics et valorisa l’éducation, la culture et le sport. Sous son impulsion fut lancé l’ambitieux Palais des Sports, des Arts et du Travail, symbole de la promesse républicaine du Front populaire : accès universel à la culture, au sport et à l’organisation collective. Son destin fut tragiquement lié à celui de la République. Démis de ses fonctions de maire par Pétain, résistant, il fut arrêté et mourut en déportation.

Elie Sermet, militant syndical et figure centrale de la Résistance audoise, fut secrétaire de l’Union départementale CGT. Promoteur de l’unité d’action à gauche, il participa à la création du comité départemental du Front populaire et soutint activement les républicains espagnols, organisant l’accueil d’enfants réfugiés à Narbonne. Sous Vichy, il utilisa ses fonctions syndicales pour organiser la Résistance. Arrêté et torturé, il mourut en déportation.

Dans les jardins, une stèle en hommage à Léon Blum, érigée en 1954 alors que la municipalité était encore socialiste, rappelle l’enracinement profond du socialisme démocratique dans l’histoire locale. Blum incarne cette vision d’un État au service des plus humbles, promouvant la culture, la santé et la participation citoyenne.

Une autre figure tutélaire est celle d’Ernest Ferroul. Sa statue, érigée en 1933 trône désormais dans les jardins du palais du Travail depuis que la municipalité de droite l’y a déplacée en 1997, provoquant un vif émoi parmi ceux qui chérissent sa mémoire. Médecin des pauvres, maire socialiste de Narbonne et député, il fut le meneur charismatique de la grande révolte des vignerons du Midi en 1907. Face à la crise viticole qui ruinait la région, Ferroul incarna la résistance populaire et la défense de la dignité des travailleurs, défiant le pouvoir central. Sa statue est le symbole d’une fierté populaire profondément ancrée dans l’identité narbonnaise.

Ce lieu, pourtant riche d’histoire et toujours vivant, souffre aujourd’hui d’un évident déclassement. Le bâtiment accuse son âge. De nombreuses parties du béton laissent apparaître des fers à nu, malgré des tentatives de traitement. L’acoustique des salles est médiocre, leur accessibilité très inégale, notamment pour les personnes à mobilité réduite. Quant au grand amphithéâtre situé à l’étage supérieur, il n’a jamais été achevé. La plupart des Narbonnais ignorent même son existence.

Et pourtant, la vitalité est là. La piscine est fréquentée quotidiennement par les scolaires et les clubs. Le gymnase reste le cœur battant du Narbonne Volley, qui n’abandonne les lieux que pour les grandes affiches à l’Arena. La salle des fêtes accueille des dizaines d’événements associatifs chaque année. Le Palais continue de servir, de manière moins ostentatoire que l’Arena mais essentielle.

Mais dans les choix d’investissement récents, il ne fait guère illusion. La municipalité de droite a privilégié des projets d’apparat comme le Théâtre ou l’Arena, laissant ce bâtiment historique en marge de ses ambitions. Pourtant, dans une ville où le mot République s’écrit partout en lettres capitales, le Palais du Travail rappelle que les pierres aussi peuvent porter des valeurs. Il incarne une mémoire de lutte, d’éducation populaire, de résistance et de dignité. À défaut d’être restauré, il reste debout. Comme un témoin gênant, oublié à dessein.

Ce sont toutes ces mémoires et ces symboles que la gauche a convoquées en organisant des concerts et des débats de sa riposte sociale et antifasciste le 1er mai 2025 dans et autour du Palais du Travail.

La confrontation entre la Narbonne Arena et le Palais du Travail dépasse la simple comparaison architecturale ou économique. Elle met en lumière une fracture idéologique sur la manière de concevoir et de vivre la cité. D’un côté, l’Arena, symbole d’un modernisme coûteux, opaque et souvent déconnecté des aspirations citoyennes, incarne une gouvernance verticale qui privilégie l’événementiel et l’image, quitte à instrumentaliser l’espace public et à alourdir la charge collective. De l’autre, le Palais du Travail, malgré son déclin matériel et le manque d’investissement, demeure le dépositaire d’une mémoire de luttes sociales, d’engagement républicain et d’une vision d’élévation collective. Son délaissement relatif au profit de projets d’apparat souligne une potentielle rupture avec cet héritage. La mobilisation citoyenne et politique qui continue d’animer ses abords, comme en témoigne la riposte sociale et antifasciste du 1er mai, révèle que ce lieu conserve une force symbolique et une capacité à fédérer. Il nous revient de choisir déterminer ce que notre ville choisit de porter et de transmettre.

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2025

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