Effondrements écologiques : agir et prendre conscience

Dans ce deuxième volet de la série sur les effondrements écologiques, nous sont présentés les trois effondrements qui menacent la vie et l'humanité: le dérèglement climatique, l'effondrement du vivant, perceptible au travers de la diminution croissante de la biodiversité et l'effondrement de l'humain, caractérisé par un repli grandissant sur soi-même et la satisfaction de ses propres désirs, quel qu'en soit le coût pour l'environnement et les sociétés humaines. L'auteur nous en précise les causes, ainsi que les impacts prévisibles, dans un futur qui se rapproche de façon inquiétante.

2ème partie
Les trois effondrements

Image par Patricia Alexandre fournie par Pixabay

Le dérèglement climatique 

Le réchauffement climatique dû à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est d’ores et déjà patent. Nous en sommes à 1,2° d’augmentation, soit deux fois plus que les prévisions des scientifiques en 1998. Notre trajectoire actuelle nous amène plutôt vers 4° voire 7° en 2100 si des phénomènes cumulatifs, non totalement évalués à ce jour, adviennent, ce qui est assez probable, car les projections des scientifiques (basées sur des phénomènes prouvés et déjà à l’œuvre aujourd’hui) sont extrêmement prudentes.
Les scénarios internes des pétroliers Shell et BP prévoient une augmentation de 5° vers 2050.

Il faut savoir que ce phénomène d’emballement probable au-delà de 5° par effet cumulatif s’est déjà produit, beaucoup plus lentement qu’aujourd’hui, il y a 252 millions d’années. L’augmentation du taux de carbone a réchauffé l’atmosphère jusqu’à 5° environ, puis le permafrost arctique a relâché son méthane et cela a conduit à la disparition de 97 % de la vie sur terre.
Aujourd’hui près de 2000 milliards de tonnes de carbone sont stockées dans le permafrost de l’Arctique et de la Sibérie soit plus du double du carbone aujourd’hui présent dans l’atmosphère. Et le permafrost a déjà commencé à fondre en Sibérie…
Le réchauffement climatique aura des effets en cascade que les scientifiques évaluent progressivement les uns après les autres.

Son effet primaire est l’augmentation des températures.  D’ores et déjà il y a des pointes fréquentes de 55° en Algérie. En France les tunnels de canicule seront de plus en plus longs, de plus en plus chauds et de plus en plus fréquents : très largement au-delà de la canicule que nous avons connue durant l’été 2003 et qui a fait plus de 70 000 morts.

Mais ses effets secondaires en cascade seront encore bien plus dangereux :

  • multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes : ouragans, inondations, sécheresses sans fin,
  • baisse drastique de la production agricole, les végétaux n’arrivant plus à subir la surchauffe et les conditions météo erratiques qui en découleront,
  • destruction pure et simple du cadre de vie de plusieurs centaines de millions d’habitants de la planète sous l’effet conjugué et simultané :
    • de la désertification de régions entières,
    • de l’inondation, par augmentation certaine du niveau des mers et des océans, de zones côtières nombreuses et très peuplées,
    • des troubles sociaux et des guerres qui seront inévitablement induits par cette situation  de risque généralisé.
  • migration massive des populations, chassées par la destruction de leur cadre de vie. Nous parlons ici de centaines de millions de réfugiés climatiques. Il y en a 65 millions aujourd’hui et ni la France ni  l’Europe, ni les Etats Unis ne prennent les moyens d’accueillir les quelques centaines de milliers de réfugiés qui frappent à leur porte,
  • généralisation de la famine, qui devrait toucher plus de 50% de la population mondiale. Comment en effet nourrir l’augmentation tendancielle de la population estimée aujourd’hui à +50 % à l’horizon 2100 avec un rendement agricole global qui sera en chute libre (-50% estimés à ce jour) ?
  • situation sanitaire extrêmement dégradée sous l’effet combiné :
    • de  la généralisation de maladies connues comme la dengue ou le paludisme,
    • de la dégradation de la qualité de l’air. Aujourd’hui, 7,3 millions de personnes meurent chaque année à cause de l’air qu’ils ont respiré. Le réchauffement climatique entraînera une modification de la composition de l’atmosphère, avec un impact direct sur la santé humaine : nos facultés cognitives diminueront avec l’augmentation du taux de CO2, le nombre de cas d’autisme pourrait exploser avec (entre autres) l’augmentation du taux d’ozone. Et l’on n’a pas encore évalué l’impact sanitaire de la chute du taux d’oxygène dans l’atmosphère dû à la désertification et à la déforestation,
    • de la difficulté à organiser l’accès aux soins dans les gigantesques camps de réfugiés qui apparaîtront aux quatre coins de la planète.

L’effondrement du vivant

En avance sur les effets du réchauffement climatique, l’effondrement et l’extinction massive de la biodiversité animale et végétale est en cours.
Et les chiffres sont absolument affolants : la moitié de la population des vertébrés a disparu de la planète durant les 40 dernières années, de même pour 80% des insectes volants d’Europe durant les trois dernières décennies.
La ronde de l’urbanisation galopante, de la déforestation et de la désertification conduit à  la destruction systématique des espaces de vie de la faune sauvage.
Cette éradication du vivant, systématique, organisée, programmée est criminelle.
Il est urgent de la penser et de la nommer car elle est du domaine de l’impensable, de l’innommable. 

La voracité de notre consommation, les montagnes de déchets toxiques et inutilisables qu’elle engendre entraînent aussi une pollution irrémédiable, irréversible de toutes les ressources vitales du vivant : l’air, les sols, les nappes phréatiques, les mers et les océans.
La liste est longue : utilisation incontrôlée des pesticides et des engrais, pollution chimique de l’air par l’ozone, le benzène, les métaux lourds, la dioxine,  les HAP, les particules fines…, montagnes de micro et macro déchets plastiques envahissant les océans.
Cette pollution pénètre au plus intime des organismes vivants les dégrade et les tue.
Et les humains ne sont en rien préservés : développement inquiétant des allergies et affections respiratoires, des cancers, des cas d’autisme, de maladie de Parkinson, perturbations génétiques, baisse significative de la fertilité masculine…

Alors oui, le constat est amer. Regardons nous en face et ne nous racontons pas d’histoires : aujourd’hui, notre rapport à la nature s’inscrit massivement  dans le cycle infernal :

Je consomme, je jette, je tue

L’effondrement de l’humain

Dans cette histoire d’effondrement auquel nous sommes confrontés, il est un ennemi souterrain, peut-être le plus insidieux de tous : c’est la dégradation de ce que, pendant des millénaires, nous avons appelé l’humain.

Depuis des décennies, maintenant nous le savons, la société de consommation ne nous rend pas heureux, elle nous gave et nous isole :

  • elle réduit notre envie de créer, notre capacité d’échange et d’initiative. Elle réduit notre dimension spirituelle et, pour combler le manque, notre consommation d’anxiolytiques progresse inexorablement,
  • elle nuit à notre santé : le nombre des pathologies liées à la mal-consommation alimentaire  (diabète, maladies cardio-vasculaires…) et à la dégradation de l’environnement (allergies, maladies respiratoires, cancers, troubles génétiques et hormonaux…) s’envole,
  • elle induit de plus  en plus d’addictions (épidémie d’addiction à la cocaïne pour les  travailleurs, épidémie d’addiction aux opioïdes aux USA, addictions aux jeux vidéo, au sexe sur internet…),
  • elle nous affaiblit : en nous vendant la facilité, le confort, elle réduit considérablement notre capacité d’effort. Alors que l’effort et le travail sont toujours à la base des grandes réalisations humaines.

Mais regardons un peu plus loin, dans notre monde occidental et nanti, cette dégradation de l’humain s’aggrave. Où allons-nous ?
Notre environnement moderne de vie est en train de créer un humain artificiel, assisté et repu. Un être qui ne vit plus que pour la satisfaction immédiate et sans limite de ses impératifs pulsionnels. Un être dont la fonction du désir est profondément altérée.
Un être qui jouit d’une affluence nourricière sans limite, son obésité est une pandémie. Ses moindres efforts, ses moindres gestes sont assistés : déplacements motorisés, outillage électrique, jouets électriques, robotisation des productions, accès par écran interposé à la connaissance et à l’information.

Les média modernes confrontent les jeunes à une offre sexuelle accessible sans limite, sans filtre, sans capacité critique et surtout sans présence d’un partenaire réel avec lequel il importe d’être bien, de séduire, de convaincre, de jouer, de négocier, de communiquer.
On peut craindre que bientôt, l’humain ne sache plus penser du tout, ayant remplacé sa pensée personnelle et autonome (qui nécessite un effort et une éducation) par des pensées toutes faites accessibles sur Google en quelques clics et trois copier/coller.
On peut craindre aussi que bientôt il ne sache plus communiquer du tout, préférant se réfugier dans un univers d’écrans et de jeux vidéo pré-formatés pour satisfaire ses pulsions les plus élémentaires, sans effort aucun, sans contradiction et sans limites.

Il faut vraiment écouter les signaux d’alarme très récents des éducateurs et des professeurs en crèche, en primaire et en secondaire. Ils témoignent de cas d’enfants de plus en plus nombreux atteints de symptômes psychiques graves : d’hyper activité, de quasi autisme et d’incapacité à une socialisation basique dans le cadre éducatif.
Que vont devenir ces enfants ?

Cette dégradation de l’humain sévit aussi sur le front du savoir et du savoir-faire.
Nos savoirs sont soumis à leur propre obsolescence programmée, et il est très probable que nous ne saurons plus demain maîtriser, réparer et maintenir les installations technologiques complexes et dangereuses que nous installons aujourd’hui.
L’industrie nucléaire est, sur ce point (et ce n’est pas le seul), une option extrêmement dangereuse. Confrontée à la non-maîtrise de ses coûts, elle développe déjà des politiques de sous-traitance mal maîtrisées et ses compétences techniques  internes se fragilisent.
Par exemple, la centrale de Flamanville devait être installée en 2012 pour un coût de 3,3 Milliards € ; elle le sera (peut-être ?) en 2020, et pour un coût dépassant 11 Milliards € !
Alors, comment, durant les décennies de durée de vie de ses centrales, l’industrie nucléaire recrutera-t-elle les ingénieurs de haut niveau dont elle aura besoin pour leur pilotage et leur maintenance?
Comment croire une seconde que la sécurité des centaines de centrales nucléaires réparties à la surface du globe sera encore assurée ?

Pourquoi cette simultanéité ?

On peut légitimement s’interroger sur l’incroyable simultanéité de ces trois effondrements qui, au premier regard, peuvent sembler bien distincts et largement multifactoriels. Leur simultanéité ne peut s’expliquer que dans des causes convergentes.
Et ces trois effondrements partagent effectivement des racines  communes. Elles plongent et se nourrissent de l’accouplement mortifère de notre société de surconsommation avec les réactions inchangées de notre cerveau le plus ancien, celui qui gérait notre survie, il y a déjà des milliers d’années.
Notre cerveau le plus ancien, dit aussi cerveau reptilien, correspond, au plan anatomique, à une zone profonde du cerveau, non spécifique à l’espèce humaine, appelée « striatum ». C’est le striatum qui, par ses messages de dopamine,  décide de nos choix. C’était vrai il y a des centaines de milliers d’années, et ça l’est toujours aujourd’hui (voir à ce sujet le livre récent du neuroscientifique Sébastien Bolher : le bug humain).
Notre cerveau reptilien, notre striatum, décide selon des priorités pulsionnelles inchangées : la satisfaction de nos besoins de nourriture et de nos besoins sexuels, l’accès à la reconnaissance sociale et au pouvoir, et enfin la loi du moindre effort pour y parvenir.
L’humanité ayant vécu durant des centaines de milliers d’années dans une économie de rareté, notre striatum est resté programmé pour être insatiable…

En parallèle, durant ces centaines de milliers d’années, l’être humain a considérablement développé la partie périphérique de son cerveau, la plus élaborée : le cortex.
C’est grâce à son cortex qu’il a pu concevoir les machines, les procédés et les organisations sociales qui ont conféré à l’humanité sa toute-puissance  sur l’univers planétaire.
Ce sont ces moyens extraordinaires et cette toute-puissance qui ont produit notre organisation socio-économique actuelle basée sur l’économie libérale de marché qui, comme un reflet de notre cerveau reptilien, ne connaît pas de limites. Son but est de produire toujours plus, de vendre toujours plus, d’exploiter toujours plus les ressources disponibles, d’augmenter toujours plus les échanges, de maximiser et de concentrer toujours plus les profits.
C’est pour satisfaire aux besoins de reconnaissance sociale de notre striatum que l’économie libérale de marché s’est dotée d’extraordinaires moyens de propagande, sous forme de publicité et d’outils de marketing très sophistiqués.
C’est ce mariage improbable entre  la partie la plus ancienne de notre cerveau et la part la plus élaborée de notre société de consommation qui nous précipite aveuglément, à vitesse exponentielle, dans la fournaise climatique, l‘écroulement du vivant et la mise en danger vital de l’humanité.

Alors les dés sont-ils joués ?

Non, ils ne le sont pas, et nous le verrons de manière plus approfondie dans les deux prochains articles.

Bertrand Claverie, pour le Clairon de l’Atax le 05/11/2019

Article précédent : Effondrement écologiques – Quand les citoyens s’en mêlent

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