Violences

Classiquement, tous ceux qui pensent connaître le réel et la "vérité" considèrent qu’il leur appartient de les faire partager aux autres. Ceux qui dénient le réel au nom de ce qu’ils présentent comme leur réalité, menacent l’ordre des choses : il s’agit donc les combattre avec des moyens proportionnés à leur résistance. C’est ici que débute la légitimation de la violence d’État !

(Image parElla_87 de Pixabay)

La longue histoire de la croissance à n’importe quel prix s’est faite avec les yeux des acteurs économiques fixés sur des indicateurs comptables et financiers. Hausse ou baisse des salaires, hausse ou baisse des profits : toutes les politiques semblaient dépendre de ce cadre étroit de quelques chiffres qui étaient censés rendre compte du bien être humain.
Depuis quelques temps, l’irruption d’une formidable crise climatique menace notre avenir et remet en question ce cadre étroit : elle nous oblige à prendre en considération tout un environnement que nous avions négligé : le vivant, la biosphère. Nous ne sommes pas des êtres à part, nous appartenons à ce vivant, à cette biosphère et son destin est le nôtre. La rationalité comptable et financière qui semblait justifier nos décisions et nos actions, semble à présent singulièrement dérisoire. Que n’avons-nous porté d’attention suffisamment tôt à ce qui nous fait exister : ce vivant dont les droits sont tout aussi respectables que les nôtres. En tout cas cette crise inévitable qui nous menace, tous sans exception, nous amène à repenser les rapports sociaux et les distances qui nous relient et nous séparent à la fois.

Dénégations

Malgré ce cataclysme qui ronge notre planète et qui fait disparaitre des pans entiers de la biodiversité, les puissants qui nous gouvernent, ou ceux qui aspirent à prendre leur succession sans rien trop changer, les oligarques qui entendent bien continuer à s’enrichir  et à dominer le monde, poursuivent leurs activités comme si de rien n’était ou presque, minimisent ou nient la crise climatique et gardent les yeux fixés sur la croissance du PIB.
Les autres, les gens, ceux qui mesurent ou subissent déjà la réalité du péril qui les touche ce changement climatique confirmé par la quasi-totalité du monde scientifique (1), ressentent de plus en plus mal cette inertie des puissants, leur dénégation de la réalité et la vivent de plus en plus comme une violence qui leur est faite.

Mais cette dénégation de la réalité climatique se démultiplie et touche d’autres aspects du fonctionnement de notre société ; les objections sont aussitôt balayées : “le système de santé va mal par manque de crédits par : la réduction des crédits n’y est pour rien c’est un problème d’organisation ; il est difficile de trouver du travail par : c’est faux, il suffit de traverser la rue ; la politique de l’Etat Macron fait augmenter les inégalités par : c’est inexact vous ne l’avez pas bien comprise, etc.“. Une position critique n’est plus prise en compte comme telle et donc contre-argumentée : elle est tout simplement disqualifiée par nos gouvernants.
Cette dénégation permanente de la parole de celui qui est considéré comme un adversaire, alimente chez ceux qui la subissent au quotidien une montée permanente de la violence. Deux violences se font alors face : la violence des puissants -les oppresseurs- et la violence des “gens” -les opprimés-. Dans l’impossibilité de tout débat équitable, le seul exutoire possible devient physique : mano à mano, manifestants contre forces de l’ordre…

Face à la montée d’une contestation de plus en plus désespérée, nos gouvernants n’hésitent plus : ils ne disqualifient plus seulement la parole qui les gène, ils la détournent et la maquillent. L’étudiant grenoblois qui s’est immolé par le feu le 8 novembre dernier en laissant un texte explicite «J’accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l’UE de m’avoir tué, en créant des incertitudes sur l’avenir de tous·tes. », voit la communication gouvernementale douter habilement du caractère politique de son geste. Le secrétaire d’Etat Atal et la porte parole du gouvernement N’Diaye allant jusqu’à insinuer que ce geste relevait d’une fragilité psychologique. Que dire du suicide de cette directrice d’école de Pantin qualifié de disparition tragique par le ministre de l’éducation nationale, sans qu’il soit question de la lettre où elle mettait en cause les conditions de son travail…

Comment nos gouvernants considèrent-t’ils les gouvernés pour en être arrivés là ? Le peuple serait-il l’ennemi ?  Ce qui apparait dans les écrits et les déclarations d’ E. Macron et des politiques qui le servent, c’est leur détermination à imposer à tout prix l’ordre économique néolibéral. Le rôle de l’État dans l’idéologie néolibérale est d’être très présent et actif, contrairement aux canons des libéraux du siècle dernier qui le voulaient  discret et « laissant faire » le marché.
L’ordre néolibéral implique au contraire que l’État se mette au service du marché et emploie tout ses pouvoirs dans le but primordial de faire croître le profit.
L’État Macron à choisi son camp : ce n’est pas celui du peuple « les gens qui ne sont rien », « les fainéants », « les Gaulois réfractaires », etc. Ce peuple qui refuse le réel, ce réel dont, par contre, les “puissants” ont hautement conscience. Et ce réel, leur réel c’est tout simplement qu’on ne peut pas changer l’ordre des choses. Comme l’écrivait E. Macron dans son livre programme publie en 2016 et paradoxalement intitulé “Révolution” : « Peut-on remplacer le monde tel qu’il va ? Je ne le crois pas… »

De la dénégation à la coercition

Classiquement, tous ceux qui pensent  connaître le réel et la “vérité” considèrent qu’il leur appartient de les faire partager aux autres…Pour les néolibéraux il s’agit donc que le peuple devienne “réaliste” et qu’il accepte l’ordre du monde tel qu’il est, c’est-à-dire l’ordre d’un monde capitaliste, un monde où les inégalités s’expliquent tout naturellement par les différences d’aptitude et de volonté.
Ceux qui dénient le réel au nom de ce qu’ils présentent comme leur réalité à eux, menacent l’ordre des choses : il s’agit donc les combattre avec des moyens proportionnés à leur résistance. C’est ici que débute la légitimation de la violence d’État !

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 22/11/2019

 

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Notes
  1. cf. le GIEC[]
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1 commentaire

“Il y a trois sortes de violence.

La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Don Helder Camara (7 février 1909 – 27 août 1999)

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