« Les Français parlent aux Français »

les prétentions de la caste qui entoure et soutient le président Macron et qui se revendique comme une élite disposant des capacités nécessaires au gouvernement de la France, ne sont pas confirmées par ses performances politiques

Monument De Gaulle / Churchill à Calais (Image par VIVIANE MONCONDUIT de Pixabay)

Qui ne connait cet appel “Les Français parlent aux Français“, qui introduisait quotidiennement, du 6 septembre 1940 au 31 août 1944, l’émission de radio de la France Libre. Celle-ci, diffusée depuis Londres pendant la 2ème guerre mondiale, donnait des nouvelles du front, passait des messages à la résistance intérieure française et visait à soutenir le moral des Français…
Sémantiquement ce titre était clair : il annonçait que des gens qui se revendiquaient comme Français, parlaient à d’autres gens qu’ils considéraient comme tout aussi français qu’eux.
Dans son allocution aux Français du 16 mars 2020, Emmanuel Macron  président légal de la France, a proclamé à plusieurs reprises que nous étions en guerre (1) ouvrant ainsi la possibilité de mesures exceptionnelles qu’il est parfois nécessaire de prendre en ce genre de circonstances.
Notre propos n’est pas ici de critiquer cette assertion présidentielle qui a déjà fait couler beaucoup d’encre sur le thème : la pandémie du Covid-19 est certes mondiale, mais peut-on la comparer à une guerre ? D’aucun pensent qu’il existe effectivement quelques similitudes mais pas dans le sens souhaité par E. Macron : ainsi Oncle Jeff, dans une de ses chroniques précédentes, compare les cafouillages de nos gouvernants actuels avec ceux de leurs homologues  de 1939…
Mais ce qui nous a surpris, à la suite à cette déclaration fracassante d’état de guerre et d’État en guerre, c’est que lorsqu’on écoute la multiplicité des adresses gouvernementales faites au bon peuple français, pour expliquer / faire passer des mesures restreignant les libertés, on en arrive à se poser la  question : qui parle à qui ?

D’une question de sémantique à une question de politique

Les présidents de la République sont censés incarner leur pays. En France la constitution de la 5ème  République en a fait le chef réel et légal de l’État et personne ne s’étonnait lorsque, de De Gaulle à Chirac, le Président de la République s’adressait aux Françaises et aux Français en disant  je ” : le lien entre lui et le peuple semblait manifeste, ressenti comme tel par le plus grand nombre. Les choses évoluent dès l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy, où ce lien semble se distendre. Au sein de l’opinion l’image se répand d’un président représentant les intérêts d’une classe sociale particulière, d’un président séparé du « peuple » et les  je qu’il prononce dans ses allocutions sont de moins en moins ressentis comme engageant aussi l’ensemble des Françaises et des Français. De même, après les espoirs soulevés par les anaphores flamboyantes du candidat Hollande,  le lien avec son électorat se délite et  son mandat présidentiel s’achève dans une impopularité et une défiance telles, qu’il renonce à se représenter. La dissolution du lien président / peuple s’aggrave encore avec l’élection en 2017 d’Emmanuel Macron : ses “je” en arrivent à être ressentis, en dehors de son camp, comme l’expression d’un individu, d’un autocrate « hors sol », parfois ridicule et manifestement insincère dans son interprétation du rôle de “Président de tous les Français” (2) ; un président avec lequel tout un chacun sent n’avoir rien en commun. Le fossé s’aggrave encore lorsque les membres du gouvernement macroniste et les caciques politiques qui se sont ralliés à eux s’adressent aux Français. Dans leurs messages, exhortations et recommandations à la population, les “Français” qu’ils interpellent semblent, faire partie d’une espèce de bipèdes distincte de la leur, destinée à être encadrée, guidée, éduquée, informée par des contenus qu’on lui aurait rendus accessibles (3).

Mais au-delà des discours censés confirmer tout ce petit monde dans une légitimité que le système électoral ne leur confère plus, les prétentions de la caste qui entoure et soutient le président Macron et qui se revendique comme une élite disposant des capacités nécessaires au gouvernement de la France, ne sont pas confirmées par ses performances politiques. La mise en œuvre du projet macroniste néolibéral peine et se heurte à un tumulte social difficile à maîtriser. Pire, la crise du Covid-19 à définitivement mis en lumière l’incurie de la gouvernance actuelle et les capacités de la société civile à se substituer à elle et à parer au plus pressé
Jamais, depuis le début de la 5ème république, un président de la république, son gouvernement et leurs soutiens n’ont fait l’objet d’une telle détestation de la part d’un aussi grand nombre de Français. Jamais la question de la légitimité des gouvernants n’a été posée avec autant de force ! Les institutions de la 5ème République semblent bien être arrivées à leur terme, échéance que la caste qui les a détournées ne veut pas voir, pensant s’en tirer avec quelques réformettes.

L’obsolescence de la 5ème république et la technocratie

Les ultra-riches et la grande bourgeoisie ont besoin d’un État résiduel pour assurer leur sécurité économique et financière et réguler en dernier ressort les crises graves de l’économie. Pour fonctionner, un tel État doit disposer d’un personnel politique et administratif acquis à la cause, c’est à dire convaincu du bien fondé des principes néolibéraux qui inspirent les gouvernants au pouvoir, mais aussi instruit des divers “process” de management pratiqués dans le monde de l’entreprise et peu à peu transmis à un secteur public en cours de réduction.

Les « vieux de la vielle » disposant d’une expérience et d’une ouverture au monde, sont progressivement remplacés dans les cabinets ministériels, comme dans ceux des grandes collectivités territoriales, par des jeunes loups pseudo-dynamiques aux dents longues et aux œillères formatées par quelques “gimmicks” technologiques qu’ils pensent nécessaires et universels !  Carrière, carrière ! Les vieux politicards à bout d’inspiration et de souffle, leur ouvrent largement les portes des allées du pouvoir !
C’est ainsi qu’un personnel jeune, frais émoulu des “grandes écoles”, accède de plus en plus rapidement à des responsabilités importantes. La trajectoire du jeune « Rastignac amiénois » Macron est à ce titre exemplaire : sans avoir l’expérience d’un quelconque mandat politique, il devient ministre de l’économie par la grâce du président Hollande, puis se fabrique / est fabriqué président de la république, sans avoir eu à passer par les arcanes d’un quelconque parti politique et / ou d’un mandat électif. Il en est ensuite de même pour les nombreux technocrates, ralliés opportunément à sa cause, qui seront appelés à prendre des fonctions gouvernementales ou des emplois de cabinet.
Le manque d’expérience politique de ce nouveau personnel qui accède aux plus hautes responsabilités provoque trois inconvénients majeurs :

  • Une connaissance du terrain faible, voire nulle, qui contribue à créer des méprises voire des chimères sur ce que pensent et veulent les Français
  • Une certaine inaptitude à gérer les dissensus internes au  gouvernement, ainsi que  ceux qui émergent de la société civile
  • Une difficulté à relativiser la pertinence et l’efficacité des “process de management” appris dans les grandes écoles et ressassés dans l’entre-soi de ce que E. Todd définit comme – l’élite des éduqués supérieurs arrogants – .

La pandémie comme crash test de la technocratie macroniste

Soumis très rapidement à une forte contestation, le pouvoir macroniste a réussi pendant près de 2 ans à tenir tant bien que mal sa « stratégie de choc » et poursuivre le démontage de l’État-providence, en jouant de la carotte des subventions exceptionnelles et du bâton de la répression. Mais l’irruption de la pandémie du Covid-19  a définitivement mis en lumière l’incurie de cette gouvernance technocratique.
Les péripéties de la gestion de cette crise ont été déjà largement décrites : mensonges, incohérences, contradictions,  etc., mais ce qui ressort le plus cruellement c’est l’incapacité de nos gouvernants à choisir entre diverses incertitudes, alors que c’est justement là une condition fondamentale de l’exercice politique !
Le malaise est grand lorsque, dans une situation paroxystique comme cette pandémie, les politiques font appel à la science pour savoir quelles décisions prendre et les justifier : les réponses de la science sont par définition relatives, circonstanciées, donc frustrantes pour le décideur qui ne peut se défausser sur elles pour garantir la validité de ses décisions !
Lorsque l’on observe les tergiversations de Macron et de son gouvernement face à la crise du Covid-19, l’hypothèse semble se confirmer que des technocrates, sans expérience politique, issus de ces grandes écoles où le cursus de formation fait plus de place aux techniques et procédures (technè), qu’à une réflexion sur leur sens (logos), seront particulièrement déroutés lorsqu’il s’agira pour eux de faire des choix.
La formation d’un conseil scientifique, censé éclairer nos gouvernants sur les choix à faire est sur ce point édifiante : alors que le système de santé est déjà doté : d’une Agence de la Biomédecine, d’une Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), d’une Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), d’un Haut Conseil de la santé publique (HCSP), de la Haute Autorité de santé (HAS), de l’Agence nationale de santé publique, sans compter l’Institut Pasteur, le CNRS, etc., il a semblé nécessaire à nos décideurs de se doter d’un conseil supplémentaire ! Notons au passage que le recrutement des membres de ce conseil scientifique s’est fait dans des conditions discutables sur le plan scientifique.
C’est très probablement cette inexpérience politique à choisir entre des solutions à l’efficacité incertaine, qui a provoqué les choix aberrants et les errements de nos gouvernants technocrates.

Pauvre “élite” ainsi démasquée par des circonstances exceptionnelles où volent en éclats les sordides réajustements comptables qui rongent l’Hôpital public ! Ne  disposant plus de la confiance des Français, il ne lui reste plus, pour survivre et poursuivre la mission que lui ont confiée ses commanditaires oligarques, qu’à passer en force en restreignant les libertés et renforçant son action répressive.
Alors que » faire dans de telles circonstances ?
Débarrassons-nous vite de ces gens qui nous gouvernent, tant qu’il reste des moyens démocratiques pour le faire et construisons ensemble des institutions plus à même de nous assurer un avenir fraternel et solidaire sur une planète tellement mise à mal.
De nombreuses réflexions, en cours dans la société civile, tendent vers cet objectif : puissent-elles se rencontrer se fédérer, se concrétiser…

Et pour finir, s’il fallait pour adapter le titre de l’émission de Radio Londres au contexte actuel de ces allocutions et interpellations que l’élite gouvernementale déverse sur nous, cela pourrait être : 

« Des imbéciles parlent à ceux qu’ils prennent pour des cons »

Hubert  Reys pour le Clairon de l’Atax le 16/05/2020

 

Merci aux quelques haut-fonctionnaires ou managers, en activité ou à la retraite, qui ont eu la gentillesse de répondre à mes questions.

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Notes
  1. https://youtu.be/5wYyJckGrdc[]
  2. cf. : « sachons nous réinventer, moi le premier… » Allocution du lundi 13 avril 2020 https://twitter.com/i/status/1249768438047875072 []
  3. cf. : « notre 2ème  erreur c’est le fait d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques… » Gilles le Gendre, président du groupe LREM à l’Assemblée, décembre 2018[]
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1 commentaire

Cher tous et en particulier, Hubert
Cette crise, à propos de la Kaste a révélé un autre aspect : leur manque abyssal de culture scientifique. Il est vrai que de l’économie, ils ne connaissent que la doxa néolibérale…
Il ya quelques années, j’en disais autant des juges de la cour d’appel de Montpellier. Devant se pencher sur le recours d’un ancien salarié de la Comhurex (depuis Orano), ils ont affirmé que M. L. « n’avait pu être irradié puisque dans cette usine on ne traitait que de l’uranium naturel » de quoi réécrire tous les traités de physique nucléaire et découvrir un nouveau champ pour la recherche fondamentale !
Albert CORMARY

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