Brûler des pneus, est-ce bas carbone ?

Gardons nous de certains réflexes, de certaines idées “toutes faites” : des pneus qui brûlent c’est l’horreur, la pollution, c’est sale, mauvais pour la santé, etc. Alors faire brûler des pneus dans une cimenterie c’est forcément polluant ! Pas si simple !

La rédaction

Four industriel (Image par Boris Bukovský de Pixabay)

La cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air dans les Bouches du Rhône a été envahie et saccagée le 10 décembre dernier par des militants dénonçant la pollution atmosphérique qu’elle génère. Dans un communiqué le cimentier s’en défend et assure qu’il s’agit d’un « site industriel bas carbone ». Il n’en faut pas davantage pour que certains commentateurs en déduisent que les activistes se sont trompés de cible. Faisons le point.

L’usine faisait partie, en 2021, des 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre de France, selon le système européen d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne. Le procédé industriel consiste à chauffer à une température d’environ 1450°C un mélange composé d’argile et de calcaire (carbonate de calcium). Celui-ci relâche alors du gaz carbonique (CO2) en grande quantité. Le produit de la cuisson, appelé clinker, est ensuite broyé. Le broyage et la cuisson consomment une grande quantité d’énergie générant encore d’autres émissions de CO2. En tout, avant que les industriels ne s’engagent dans une démarche volontariste de réduction des émissions, près d’une tonne de CO2 était émise pour chaque tonne de ciment de classe I produite.
Les militants dénonçaient en particulier l’utilisation de pneus comme combustible. La haute température de fonctionnement des cimenteries assure la destruction de nombreux polluants. Leur immense appétit énergétique en fait des lieux privilégiés pour l’incinération de divers types de déchets. Les feux de pneus sont connus pour l’épaisse fumée noire qu’ils génèrent. Elle contient du noir de carbone constitué d’une très grande quantité de particules fines et ultra fines très polluantes. Ce n’est pas le cas dans une cimenterie. La très haute température et le temps de combustion y garantissent la calcination complète du pneu. Elle libère néanmoins du dioxyde de soufre et des particules fines. Avant les pneus, l’usine brûlait du charbon et provoquait le même type de rejets.

La cimenterie émet toujours massivement du CO2 ainsi que divers polluants atmosphériques. Mais elle en émet de moins en moins pour chaque tonne de ciment produite. Des efforts d’efficacité énergétique ont été entrepris. Pour l’avenir, le directeur général de Lafarge -Holcim fixe pour objectif de ne plus générer que 503 kg de CO2 par tonne de ciment en 2030 et 133 kg en 2050. Il ajoute que ce CO2 résiduel pourra être séquestré par des technologies de captage. Il s’agit de la limite théorique obtenue en décarbonant totalement les sources d’énergie et en modifiant la composition du ciment. Le ciment d’usage courant est un mélange de clinker broyé et d’autres matériaux cimentaires comme des laitiers de haut fourneau, des pouzzolanes ou du calcaire. Moins le ciment comprend de clinker moins son empreinte carbone est importante. Le ciment de classe I est du clinker presque pur. Le ciment de classe VI, récemment normalisé peut contenir moins de 35 % de clinker ce qui limite d’autant les émissions de CO2.

Comme souvent dans ce genre de polémiques, les activistes et les industriels ne parlent pas de la même chose. Et comme souvent, les industriels utilisent la confusion qui règne dans l’esprit du public entre pollution et émissions de CO2. Brûler des pneus, même à très haute température émet du dioxyde de soufre et des particules fines, donc les activistes pointent un vrai problème. Ils ne se sont pas trompés de cible. Du point de vue du cycle du carbone, le caoutchouc qui compose les pneus est 40 % naturel, et 60 % d’origine fossile. Ces 60 % demeurent donc problématiques puisqu’il s’agit de carbone séquestré depuis des millions d’années qui est libéré dans l’atmosphère et contribuera au changement climatique. Le bilan carbone est plus bas qu’avec du charbon, certes, mais l’appellation commerciale « bas carbone » donne le sentiment erroné que l’industriel est allé au bout de la démarche. Ce n’est pas le cas. Le chemin est encore long.
Si le débat s’est focalisé sur la question des pneus, la dénonciation des activistes était plus large. La bétonisation est perçue dans les milieux écologistes comme un des grands maux de notre civilisation. Le bilan carbone désastreux des constructions en béton n’est qu’un argument supplémentaire qui alimente leur opposition. Le béton est un mélange de ciment et de granulats généralement mis en œuvre armé de barres de fer. Il a été le matériau phare de la reconstruction d’après-guerre et de l’étalement urbain. D’autres modes de mise en œuvre se répandent aujourd’hui. Des fibres de cellulose sont ajoutées pour prévenir la fissuration. Des armatures en bambous sont utilisées ou des copeaux de bois remplacent les granulats. Ces modes de mise en œuvre du béton peuvent aller jusqu’à en faire un puits de carbone. Les matériaux végétaux qui le composent auront alors capté plus de CO2 pour leur croissance que le clinker n’en aura relâché au cours de sa cuisson. Il s’agit d’un puit de carbone à très long terme contrairement au bois.

Le défaut du béton est qu’il dure. Faisons-en un atout pour séquestrer du carbone. Alors le ciment ne nous trompera pas en se disant « bas carbone ».

 

Laurent Fabas pour le Clairon de l’Atax le 12/12/2022

 

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