Chez l’artiste (Image Loïc Trévelot)
Dessinateur, peintre, sculpteur, c’est la figure sacrée du démiurge, selon la pensée grecque antique, que semble tracer au fil de ses réalisations, Loïc Trévelot. En grec ancien, ce mot signifiait à l’origine « ouvrier habile », plus tard « créateur », « producteur ». Dans le Timée de Platon, le terme prit le sens de créateur du monde visible, et, chez les auteurs grecs chrétiens, Dieu le Créateur de toutes choses.
Sans mystifier la démarche, le masque mythique du démiurge convient, à mes yeux, au visage de l’œuvre de Loïc Trévelot, entre artisanat, art et création, puisqu’elle relie toute une tradition esthétique du créateur comme intermédiaire entre le visible et l’invisible qu’il fait sortir, venir, advenir au monde et toute une révolution conceptuelle du statut même de l’artiste selon la théorie de l’Art Brut que peut en formuler Jean Dubuffet dans L’homme du commun à l’ouvrage. Tel un simple ouvrier moderne, mais également tel l’Artisan des artisans antique, le dieu Héphaïstos, c’est l’activité créative qui guide le regard et la main de Loïc Trévelot : il trace, il colore, il forge, il fabrique, il fait, et comme l’exprime le dicton de sagesse latine, fabricando fit faber, « c’est en forgeant que l’on devient forgeron »…
Dès lors, il y a au fil des travaux, des dessins, des sérigraphies, des monotypes, des chaises, des fauteuils, des volumes, des sculptures, et des toiles, tout un alphabet personnel propre au langage singulier qui prend vie, partant de l’informe d’un Chaos d’énergies débridées pour mieux trouver la forme d’une Image, une esquisse élaborée, d’où peut se partager une véritable expérience sensorielle pour les sensations de tous et de chacun, l’esthétique étant essentiellement, pour reprendre le concept de Jacques Rancière, « partage du sensible », faisant tant appel aux cinq sens qu’aux sens en tant que directions, sensations, orientations, cette signification précisément à trouver à la fréquentation des œuvres qui ne résiderait ni dans une norme imposée, ni dans un idéal de beauté.
Et pourtant des objets du design aux premiers croquis en série, des monotypes dépouillés aux huiles sur toile solaires, nous retrouvons enfin une respiration, une composition de l’espace qui fait surgir le souffle, la chaleur, la profondeur, pour ne pas dire la splendeur des images ainsi forgées, et c’est bien vers une épure que semble tendre toute la quête picturale de Loïc Trévelot qui d’un néant d’où émergent forces, mouvements et vies, jaillissent, après le tamis du travail sur la forme, silhouettes, paysages et visions. C’est bien donc, à travers le faire, le poïeïn, selon le verbe grec ancien, qui dessine un même plan d’accomplissement pour tout le champ de ces activités, toute une poétique à l’œuvre qui apparait alors où l’intime et le monde se rejoignent, sans que l’on puisse clairement distinguer le visible et l’invisible, l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors, mais où, bien au contraire, nous devinons l’indiscernable d’un rapport poétique à l’univers, dans lequel chacun devient un minuscule fétu de paille au cœur de l’immense sublime, tendu vers cet appel incessant vers l’ouverture, quelles que soient les strates de recul ou d’avancée, les limites tracées ou effacées, les rayons ou les radiations mêmes des paysages des couleurs, vers une ligne en pointillés toujours là sous les yeux, et jamais atteinte ici aux regards : vers la ligne d’horizon…
Rémy Soual pour le Clairon de l’Atax le 14//2024
Ce travail me rappelle le Bauhaus. Merci pour l’article qui donne envie de découvrir ses oeuvres.