Malaise étudiant : lettre ouverte à E.Macron


Palais universitaire de Strasbourg, construit à une époque où on respectait les étudiants (Photo S. Masini)

Aujourd’hui, le 20 janvier 2020 à 13h, j’ai décidé de ne pas assister à mon cours, derrière mon ordinateur, pour me rendre à une manifestation étudiante, afin de réclamer la réouverture des facultés, fermées depuis de nombreuses semaines. Quels ne furent pas et mon étonnement et ma déception de constater que nous étions très peu nombreux. Très peu d’étudiants, quelques professeurs de l’université, des membres de la CGT et sûrement aussi quelques parents d’élèves révoltés. Mais finalement trop peu pour que notre voix soit entendue comme il se doit.

La vérité est que nous sommes comme éteints, empreints d’une lassitude qui nous colle à la peau. La même déception et le même pincement au cœur, ressentis par Heidi Soupault, étudiante Strasbourgeoise en deuxième année à Sciences-Po, lorsqu’elle prit connaissance de la réponse d’Emmanuel Macron à sa lettre, ce dernier lui rappelant les diverses mesures gouvernementales prises pour accompagner les jeunes, et lui demandant aussi « encore un effort ». Des efforts, nous en avons fait, et nous en ferons encore, comme tout le monde, car nous n’avons pas le choix. Mais exprimer notre angoisse, notre désarroi, notre sentiment d’être « laissés de coté » est un besoin que nous ressentons à juste titre.

Il y a un an, nous avons accepté le confinement par réflexe de vie, pour sauver des vies. Mais que reste-il de cette pulsion de vie, quand certain étudiants souffrent de dépression, d’exclusion sociale, de manque de ressources, de sentiment d’égarement et parfois en viennent au suicide ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 30% des 18-25 ans sont en dépression. Nos revendications ne sont ni égoïstes, ni irresponsables. Elles reflètent l’inquiétude qui nous anime. Nous ne sommes pas des irresponsables de l’apéro ou des «teufs», comme certains veulent bien le faire croire. Nous voulons seulement retrouver une vie à peu près normale. Si on a le droit de faire les soldes, pourquoi n’aurait-on pas le droit d’étudier ?

Le numérique n’est pas la solution à tous les problèmes : le contact humain, (dans la limite des gestes barrières que nous nous sommes efforcés d’appliquer) est essentiel pour la santé mentale de tout le monde, y compris des jeunes. Mais cela, on l’a oublié…

Lena Waag, étudiante, pour le Clairon de l’Atax, le 20/01/2021

Lettre de Heidi Soupault, étudiante en 2ème année de Sciences-Po, adressée à Emmanuel Macron

Monsieur le président,

A dix-neuf ans, j’ai l’impression d’être morte.

Pourtant, il neige sur Strasbourg aujourd’hui. De jolis flocons virevoltent dans le ciel. Je les observe au chaud dans mon appartement, mais ça ne me fait rien. La neige émerveille quand elle vient habiller les cheveux bruns, atterrir sur les langues des enfants, ou s’écraser sur le manteau d’un passant imprudent. Je souris, nostalgique, mais je n’ai aucune raison de sortir. Je dois travailler. Je n’ai que ça à faire non ? C’est tout ce que l’on me demande, la seule activité qu’on m’autorise.

J’ai dix-neuf ans et mon bureau c’est ma chambre. C’est aussi mon lieu de repos, d’appel, de film, et même parfois de cuisine. Tout se confond dans mon esprit. Rentrer chez moi après une journée d’amphithéâtre n’est plus satisfaisant, les cours c’est ma chambre, ma chambre c’est les cours. La réalité, Monsieur le Président, c’est que je n’ai plus de rêves. Tous mes projets s’écroulent les uns après les autres, au même rythme que mon moral décline.

Au début c’était drôle, au début c’était nouveau. Ça ne devait pas être long, nous étions prêts à faire preuve de solidarité malgré notre deuxième semestre qui s’écroulait et nos amitiés qui s’effritaient. Mais là, stop. Il n’y a plus rien d’amusant. Relativiser ça va un temps. Nous ne sommes pas des machines, vous ne pouvez pas nous demander de travailler et de la fermer. J’adore mes études mais je stagne, la productivité est à des années lumières de moi, j’essaye de me reprendre mais c’est pire chaque jour. Parfois, je pleure devant mon ordinateur. Ma vie n’a aucun sens et mon avenir est bouché. Je ne me projette pas trop loin, pour me protéger, pour tuer l’espoir avant qu’une autre de vos mesures ne viennent le faire à ma place. Si on n’a ni espoir, ni perspective d’avenir à 19 ans, il nous reste quoi ? Pour ma part, un trou noir de « peut être », et des nœuds dans la tête que les aspirines ne démêlent pas. Je sais que je ne suis pas la seule et je sais que je fais partie de ceux qui vont bien. Beaucoup sont en décrochage scolaire, en perte d’estime de soi, en souffrance. Ces jeunes qui vont mal, c’est l’avenir du pays, Monsieur le Président, et vous le fragilisez, vous le fêlez, vous le négligez.

Un étudiant s’est jeté du quatrième étage à Lyon, il y a quelques jours. Une information qui passe, simple dommage collatéral d’une pandémie mondiale. Mais si nous, les étudiants, ne sommes pas mentionnés à la prochaine allocution, si des alternatives ne sont pas trouvées, si personne n’a la décence de nous faire retourner au moins en travaux dirigés, ce sont des centaines d’étudiants que vous retrouverez écrasés sur le bitume.

On existe bordel, faut-il qu’on meure pour que vous vous en rendiez compte ? Le paradoxe serait amusant s’il n’était pas meurtrier. La majorité ne sautera pas rassurez-vous, mais la morosité nous aura rongés jusqu’à l’os. Je suis consciente que la récession creuse son sillon, mais les indicateurs économiques ne sont pas les seuls à devoir être soutenus. Nous ne demandons pas la réouverture des bars et des boîtes de nuit, mais simplement d’aller en cours. Les centres commerciaux sont bondés, les gens se marchent dessus, et on ose nous dire qu’on ne peut pas se rendre en cours, ne serait-ce qu’en demi-groupe dans le respect des mesures barrières ? Ce n’est tout simplement pas entendable, pas acceptable.

Si tout ce que je viens de dire ne vous secoue pas, n’oubliez jamais que c’est aussi un pan entier de l’électorat que vous ignorez. Je comprends la difficulté du travail qui est le vôtre, Monsieur le président. Mais pour une fois je pense à moi, à nous, et je dis merde à la solidarité. On a fait notre part. Maintenant, rendez nous un bout de vie.

Bien à vous,

Heïdi Soupault – Une morte-vivante

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