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Agora d’Athènes (image Pixabay)
Si l’on considère, que la démocratie pourrait fonctionner autrement qu’avec un personnel politique de métier qui aurait à lui seul la capacité de représenter le peuple, il est nécessaire de savoir : d’une part d’où les politiciens tirent cette légitimité à détenir le monopole de la représentation de leurs concitoyens, d’autre part si les citoyens ont la capacité de décider ce qui convient au « vivre ensemble » et ce que doit être un avenir commun.
Élus = élite ?
Une incursion dans l’histoire de la langue française permet de constater qu’à l’origine le mot élite signifie choix (1), sans qu’il ne soit question de qualité. Le mot résulte de la transformation en substantif d’eslit, ancien participe passé d’élire. Ce n’est que vers la fin du 14ème siècle que s’introduit la notion de qualité et que le mot élite se met à désigner ce qu’il y a de meilleur chez les choses et les personnes. Et c’est à partir du 17ème siècle que le mot élite se limite à l’humain et désigne les « meilleurs » d’un groupe, d’une communauté.
Mais que recouvre le qualitatif « meilleurs » qui signifierait l’élite ? Selon quels critères serait-il obtenu ? La richesse, la puissance physique, les diplômes, la vertu ? Ou, si l’on en croit Aristote, on serait le meilleur parce que sélectionné lors d’élections par ses concitoyens ? Mais la richesse, les diplômes, la vertu, ne sont pas l’apanage de la seule classe politique, ils existent tout autant dans la société civile, qui élit en son sein des responsables associatifs, syndicaux, etc. qui, pour autant, ne sont pas réputés faire partie de l’élite.
La qualité d’élite, souvent revendiquée par nos gouvernants, fonctionne mal pour asseoir leur légitimité, d’une part parce que sa définition ne peut qu’être imprécise, d’autre part parce que l’ensemble des qualités qui pourraient la définir ne se limite pas à la seule classe politique, mais se trouve abondamment représenté dans l’ensemble de la société.
L’équation Élus = élite est donc fausse et ne permet pas de fonder une quelconque légitimité politique.
Tout le monde peut-il gouverner en démocratie ?
Le terme démocratie, à l’origine, ne tranche pas entre démocratie directe et démocratie représentative. Qu’est ce qui fait que l’on passe de la démocratie directe organisée par Clysthène au 6ème siècle avant notre ère, à un système représentatif, généralisé de nos jours en multiples variantes, jusqu’au fin fond de la plus sinistre autocratie ? La taille de la collectivité qui passe de la Cité à l’État-nation ? L’impossibilité de cantonner le débat politique dans un rapport à l’autre négocié, excluant la violence ? Sur quoi se fondent les élites qui surgissent et accaparent le pouvoir de décider ?
La distance qui se crée entre ceux qui conquièrent et détiennent le pouvoir et ceux qui le subissent se fonde sur la qualité des informations dont ils disposent pour décider et sur leurs capacités à comprendre et utiliser ces informations.
Le plein exercice démocratique implique une information accessible à tous, exhaustive et transparente, ainsi que la formation nécessaire à chaque citoyen pour la comprendre et la traiter. Lorsque de telles conditions sont réunies, n’importe quel individu, doué de raison, est capable de choisir, de prendre des décisions, de faire de la politique.
Mais de telles circonstances sont actuellement de plus en plus rares : une grande partie de l’information nécessaire à l’expression d’un choix citoyen a été confisquée, manipulée par et au service d’intérêts particuliers, tandis que la fonction éducative, initialement articulée autour de la recherche du sens qui contribuait à l’édification du citoyen (2), tend à se transformer en formation à l’exécution de gestes professionnels.
Si l’information manipulée par et au bénéfice de réseaux particuliers tend à priver le citoyen de base de comprendre et participer, en toute connaissance et lucidité, aux décisions qui traitent des grands enjeux régionaux, nationaux et internationaux, cette manipulation est beaucoup plus difficile à l’échelle du local, où les citoyens sont directement confrontés, dans leur vie quotidienne, à des faits qui ne sont pas interprétés.
Les possibilités de manipulation de l’information locale sont bien plus réduites : tout au plus peuvent-elles être dissimulées un certain temps par tel petit autocrate ou clan local, mais elles finissent toujours par surgir et diffuser dans le public. Et souvent la taille des communautés de quartier, de village, de territoire, tend à réguler les fausses nouvelles, du moins lorsqu’elles concernent des faits de proximité.
C’est actuellement dans le milieu local, à l’échelle du village, du bourg, du territoire urbain que la démocratie directe dispose des conditions les plus favorables à son exercice.
Sans préjuger du mode d’organisation communal ou territorial le plus adapté à l’exercice démocratique direct, il est possible d’évoquer ce que cela implique : construction et partage de l’information nécessaire aux décisions par l’ensemble des citoyens / habitants, participation en permanence ou alternance à la définition des projets à court moyen ou long terme, participation à la prise de décision, à l’évaluation de la gestion, des projets en cours ou réalisés, aux décisions correctives ou modificatives…
L’histoire montre que les décisions prises en démocratie directe sont mieux respectées par les citoyens qui y participent et que la vie politique est plus animée et plus partagée au sein de la commune, du quartier ou du territoire concerné.
Mais ce qui fait la fragilité de ce mode démocratique et ce qui a souvent contribué à sa fin, c’est que le processus décisionnel est plus long, la décision parfois trop différée ou pas prise pour éviter des conflits issus de positions non négociables.
Face à la rapidité et la complexité d’évènements externes qui l’impactent, la collectivité qui fonctionne en démocratie directe n’a pas toujours le temps et les moyens nécessaires à la défense de ses intérêts. Il est donc nécessaire d’associer aux collectivités qui fonctionnent en démocratie directe, des institutions capables de garantir la continuité de leur fonctionnement. A quelle échelle se situent ces institutions : l’agglomération, le département, la région ?
Comment la démocratie directe peut elle pleinement et durablement fonctionner dans un État de type jacobin, où le poids de la pyramide écrase la base ?
A suivre et pourquoi pas à enrichir par vos contributions
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 21/12/2021
- du 12ème au 14ème siècle
- cf. lettre de Jean Jaurès aux instituteurs : https://hattemer-academy.com/wp-content/uploads/2020/11/La-lettre-de-Jean-Jaure%CC%80s-aux-instituteurs.pdf