De la fabrication des élus

Il nous faut des élus dont la légitimité ne peut être contestée, cela suppose qu’en l’état actuel des partis, le choix d’un candidat à une responsabilité politique ne peut être du seul ressort de l’état-major ou du chef d’un parti

Alaska fonte des glaces (image par David Mark de Pixabay)

Ce qui est actuellement présenté sous le terme réducteur de « changement climatique »,  relève d’une crise environnementale bien plus vaste, qui va profondément modifier nos pratiques, nos habitudes, nos représentations. Il s’agira de changer rapidement et massivement certains de nos comportements. Pour ce faire, nous devrons être capables d’accepter et mettre en œuvre collectivement des mesures et conduites édictées par ceux qui nous gouvernent. Mais lorsque l’on considère les réactions actuelles du public à certaines décisions prises par nos gouvernants, comme le port obligatoire du masque, la vaccination de certaines catégories de population ou la réduction de la vitesse automobile, etc., qui sont vécues comme une atteinte insupportable aux libertés, on peut se demander comment seront accueillies des mesures plus radicales, indispensables pour freiner et limiter la dégradation des conditions de vie sur notre planète et par conséquent quel sera le niveau des contraintes nécessaires à l’efficacité de ces mesures et comment ces contraintes pourront être acceptées.
D’un autre côté, il ne faudrait pas qu’au prétexte de l’urgence climatique et environnementale, notre système politique glisse vers des fonctionnements de plus en plus autocratiques, où l’intérêt général sera sacrifié au profit d’intérêts particuliers.

Une des questions cruciales qui se pose en France, comme dans d’autres pays censés fonctionner sur des principes démocratiques, est de savoir comment dans un contexte de survie de nos sociétés, on pourra disposer d’une classe politique, à  la légitimité reconnue par le plus grand nombre, capable de prendre les mesures drastiques indispensables et de les faire appliquer dans le plus grand consensus possible.
Cela pose d’emblée la question de la qualité des élus qui nous représentent et nous gouvernent à tous les niveaux institutionnels de notre République : de la commune à l’État. D’où viennent ces élus, comment sont-ils choisis, comment sont-ils formés à exercer leurs responsabilités politiques ?

Les partis politiques, nés dans les années 1870 en même temps que la 3ème République, ont joué et jouent encore un rôle important dans la fabrication des élus. C’est en leur sein que s’élaborent les programmes politiques qui alimenteront les discours et débats des campagnes électorales et pour l’essentiel, c’est encore à eux de choisir et présenter des candidatures d’élus aux suffrages des électeurs. Mais ce rôle tend à s’affaiblir en raison du désenchantement des citoyens envers la politique. Ce désenchantement se concrétise au sein des partis par une diminution du nombre de leurs adhérents et de leurs militants, ce qui pénalise à la fois leur relation au terrain et le nécessaire débat interne permettant à la fois de définir une ligne politique et de distinguer les candidats potentiellement capables de la porter, de la défendre et de la négocier.

Cet affaiblissement des partis qui deviennent objet de méfiance, voire de rejet du public, encourage des candidatures « hors parti » qui reposent sur des campagnes de marketing politique abondamment financées et soutenues par l’oligarchie financière, comme celle d’E. Macron en 2017, ou paradoxalement, et surtout au niveau local, sur des candidatures issues de la société civile qui bénéficient auprès de l’électorat local d’une réputation acquise en fonction d’engagements particuliers, certes liés à des difficultés rencontrées par leurs électeurs, mais qui restent une expérience insuffisante pour construire une action et un programme politique.
Mais dans les 2 cas de figure :  il est difficile à ces élus d’acquérir une légitimité suffisante pour mettre en place les mesures radicales nécessitées par la crise environnementale majeure en cours et pour entraîner le consentement actif des citoyens.

Actuellement, les partis  politiques sont souvent réduits au niveau local à quelques poignées de militants de terrain, tandis que leurs états-majors fonctionnent au niveau central avec des politiciens “professionnels” (1) qui vivent ou ambitionnent de vivre “de” la politique et non “pour” la politique (2) assistés de personnels salariés plus ou moins nombreux en fonction des ressources du parti.
Dans les conditions actuelles, l’accès aux responsabilités politiques est de moins en moins le résultat d’un parcours partisan où le militant se forme à la fois à l’idéologie du parti et à la négociation de son programme. Mais la nomination d’un candidat résulte souvent de tractations opaques au sein de l’état major du parti, lorsqu’elle n’est pas simplement imposés par le “chef” ou par son entourage proche.
C’est ainsi que les citoyens voient advenir à des responsabilités politiques de tout niveau, d’ “illustres inconnus” dont certains ne sont jamais passés par le verdict des urnes ni même par un engagement  partisan. Même si la « com » qui tente de les faire accepter par l’opinion, vante telles ou telles compétences, celles-ci, en l’absence de tout antécédent partisan, ne disent rien aux citoyens sur les capacités d’écoute et d’empathie et sur leur détermination de ces candidats à représenter les intérêts des électeurs.

Ainsi la réforme du processus de fabrication des élus apparait comme une condition nécessaire à la remise en état de nos institutions démocratiques. Plus que toute autre forme de gouvernement, la démocratie est la mieux armée pour faire face à la crise que nous subissons, car il n’y aura pas de solution sans le consentement et l’investissement actif de tous dans de nouveaux modes de fonctionnement de nos sociétés et cela aucun décret arbitraire ne peut le réaliser.

Il nous faut des élus dont la légitimité ne peut être contestée, cela suppose qu’en l’état actuel des partis, le choix d’un candidat à une responsabilité politique ne peut être du seul ressort de l’état-major ou du chef d’un parti. Il doit obtenir aussi l’adhésion des citoyens. Certains partis politiques, de droite comme de gauche, ont essayé de traiter ce problème dans le cas des élections présidentielles, en mettant en place des élections primaires ouvertes à tous et destinées à départager leurs différents candidats. Le principe d’ouvrir à tous la possibilité de choisir le candidat d’un parti convient bien à des institutions démocratiques, la question du nombre de votants dépend de la nature de l’élection, sans qu’il soit forcément nécessaire de fixer un seuil de validité…

Il s’agit à présent de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour permettre ce choix qui associe partis et citoyens au choix des candidats aux élections. Ce sera un premier pas pour rétablir la confiance des citoyens dans la classe politique et cela passe par la légitimation de leurs élus.

Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 18/10/2022

 

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Notes
  1. Alors qu’en 1978 les députés avaient passé en moyenne un peu plus de 10 ans dans la vie politique, ceux de 2012 y ont passé près de 20 ans[]
  2. cf. conférence en 1919 de Max Weber sur « le métier et la vocation d’homme politique »[]
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