Les Fables Coursanaises (suite)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Voici la deuxième édition des « Fables Coursanaises ». L’aventure continue et s’enrichit de nouveaux textes et de nouveaux auteurs.trices, selon le pari fait par Bruno Selenet et Fernand Soual les initiateurs de cette expérience : « Cette expérience est la rencontre avec la créativité de chacune, chacun grâce à l’écriture d’un récit ou la réalisation d’un dessin. La démarche repose sur des valeurs humanistes « pas de racisme et d’agressions personnelles » et sur le désir du partage. La forme peut être la fable, le récit -fiction ou la petite histoire recueillie, accompagnée d’illustration(s) et signée par les auteurs. L’expérience se nourrit dans le temps et son déploiement se fait grâce à la participation de toutes et tous. »

Bonne Lecture à tous , la rédaction du Clairon

 

FUTURS TROPIQUES   ( SUITE)

 

(image BS)

    Tout avait com mencé par un cimetière mal entretenu. Puis, progressivement, une jungle tropicale appelée par les scientifiques « futurs tropiques » s’était installée…

     Les « futurs tropiques » débordaient maintenant dangereusement.
     La jungle progressait bien au-delà du cimetière. On commençait à pointer du doigt le village de Coursan et sa gestion catastrophique.    
     Les services municipaux déjà fragilisés par des moyens humains et matériels insuffisants, furent vite dépassés au cours d’un automne chaud et pluvieux dont la durée sans fin favorisait la catastrophe. Les maisons disparaissaient sous la jungle. Les habitants livrés à eux-mêmes quittaient le village en emportant ce qu’ils pouvaient. Les médias nationaux commençaient à présenter les Coursanais comme « les migrants de l’intérieur».
     Le maire, qui était dans les premiers à quitter le village, fut accueilli à bras ouverts par le premier magistrat de la commune de Sigean. Quant aux autres Coursanais, jetés contre leur gré sur les routes de France, personne n’en voulait. Beaucoup d’élus réclamaient à grands cris au gouvernement l’instauration de frontières aux portes de leurs villes et villages : il fallait lutter contre la migration intérieure. Les habitants avaient peur. Les médias mettaient de l’huile sur le feu. Tout le monde se barricadait.
     Six mille personnes sur les chemins, ça faisait un peu désordre. Rejetés par leurs compatriotes, on les trouvait sur le bord des routes principales et sur les aires de repos : ils tentaient de rejoindre les frontières européennes. Les Allemands considéraient les Français comme des perturbateurs, les Suisses tenaient à préserver leur neutralité et les Belges n’avaient jamais apprécié notre humour : ils fermèrent en cœur leurs frontières. Quelques migrants franchirent avec succès les Pyrénées pour gagner l’Espagne et peut être le Maroc. D’autres se dirigèrent vers l’Italie, où ils croisèrent à la frontière ceux qui arrivaient de Lampedusa. Certains, plus déterminés, se pressaient sur les plages de Sète pour tenter la traversée vers le Maghreb et l’Afrique. 
     Les migrants de l’intérieur n’avaient même plus d’origine, puisque le préfet de l’Aude venait de rayer Coursan de la carte : le lieu n’était plus classé comme village mais comme zone tropicale. Le préfet fît ériger une enceinte grillagée de plusieurs mètres de haut autour de la zone
     L’ancien maire coursanais vit dans ce nouvel espace une opportunité de marché à exploiter. Il promit une affaire en or au directeur de la réserve africaine de Sigean : il lui proposa d’installer la partie tropicale de la réserve sur son ancien village devenu jungle protégée.
    Hélas entretemps une ZAD s’était installée dans la jungle coursanaise. Des familles entières y vivaient. Les zadistes désenclavèrent la mairie au terme d’une lutte éprouvante contre les plantes tentaculaires. Depuis, le bâtiment servait de lieu de débats, de réunions, de création de projets collectifs : un authentique lieu de pratique démocratique. Les familles construisirent des habitations dans les arbres. Les zadistes ainsi perchés avaient une vue imprenable sur la plaine qui entourait la jungle.
     Les migrants commençaient à rebrousser chemin pour rejoindre l’aventure. On parlait tous les jours de ce coin de France sur les chaînes d’informations en continu, sur les radios et dans les journaux. On n’avait jamais autant parlé de Coursan, même si la commune n’existait plus officiellement. Des associations de défense de la ruralité organisèrent des pétitions qu’elles remirent au préfet, pour réhabiliter le village. Les occitans exigeaient, drapeaux en tête, qu’il porte le nom de « Coursa lo nòu » (le nouveau Coursan)
     Le ministre de l’intérieur mit une cellule en place afin de préparer une évacuation de la ZAD. Mais le préfet lui rappela que sous ses ordres, il avait fait grillager les lieux et creuser tout autour de la zone un fossé d’une largeur surdimensionnée. Quant à l’accès par  les  airs,  la densité de la végétation ne permettait pas aux hélicoptères de se poser. Les services de renseignement révélèrent que les Corses, les Catalans français et espagnols, les Basques et les Bretons avaient préparé des hordes de combattants armés et déterminés à venir défendre « Coursa lo nau ». Cette convergence des luttes commençait à toucher tout le pays. On ne savait pas si la motivation était guidée par une solidarité des identités régionales, une conscience écologique, un soutien inconditionnel aux zadistes, ou encore, pour faciliter un retour des migrants au village afin de ne pas avoir à les accueillir chez soi.
     Le ministre décida à contre cœur de suspendre l’opération. Il donna une version officielle qui affirmait que l’évolution des événements était due en grande partie à une volonté de l’État de donner toutes les chances à la création d’un nouveau type de localité, imposé par un nouveau milieu naturel.
     Personne ne crut un seul mot de ce discours. Les trois quart des migrants revinrent habiter les lieux. Les habitants de « Coursa lo nòu » furent baptisés « les gaulois malins » en référence aux gaulois les plus célèbres : ceux du village d’Astérix

     Nous finirons cette histoire sur une rumeur tenace qui circule depuis quelques temps : on parle de l’éclosion de « futurs tropiques » dans plusieurs villages et villes de France. Les zadistes sont dans les starting-blocks.

     Un dernier point : il n’y a plus de maire à « Coursa lo nòu ».

 

                                                                                                                                                                Bruno Sellenet

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LES ENVAHISSEURS

            En cet automne doux dans notre commune de Coursan, une nouvelle déconcertante nous effraye. Autrefois bercé par l’envoûtant chant de quelques oiseaux, l’inimaginable se produit aujourd’hui !
          De grands volatiles noirs aux becs longs et rouges de sang sont présents en grand nombre dans notre ville. Le jour, ils inondent d’excréments et de plumes les rues. La nuit, ils sèment la terreur. C’est vers minuit qu’il ne faut plus sortir !
             Plusieurs disparitions inquiétantes laissent à penser que ces rapaces ont le pouvoir de nous capturer !!! Alors, c’est le nez collé à la vitre que nous surveillons les faits et gestes de ces prédateurs.
            Jeannot, le plus vieil habitant de Coursan, pense qu’il s’agit d’un sort jeté sur le village !!! D’après lui, la période d’Halloween serait la plus favorable à la démence de ces oiseaux monstrueux… Et si c’était vrai, si la fête d’Halloween y était pour quelque chose ?
            Dès lors, les autorités font le nécessaire et se sont saisies du dossier… Un des responsables de cette enquête est porté disparu et nous avons retrouvé devant sa porte un énorme nid vide. La nuit du premier Novembre sera sans nul doute la plus intrigante…
             Alors, fermez bien vos portes et fenêtres, soyez vigilants.
             L’aigle noir de Barbara sera-t-il de retour ?
             À bon entendeur, courage !

                                                                                                                                                                          Gilda Bellot

 

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LA VILAINE MALADIE

 

          Le village de Coursan était en proie à une vilaine maladie. Si vilaine qu’elle avait cloué beaucoup d’habitants au lit. Personne ne savait d’où elle venait. Les policiers municipaux avaient essayé de mener l’enquête. Ils étaient, eux aussi, tombés malades. Des détectives, des journalistes et d’autres personnes encore avaient tenté en vain de découvrir le secret de cette maladie.
          Heureusement, un beau jour, monsieur Hercule Jake, un vieux journaliste aux cheveux poivrés, avec plus de vingt ans d’expérience, arriva au village. Il questionna tous les malades sans exception. Il s’aperçut qu’ils avaient tous bu au moins quelques gorgées d’eau de la fontaine ferrugineuse, avant les premiers signes de la maladie.
          Il partit de ce pas à la place du village inspecter la célèbre fontaine. Il regarda l’eau couler, l’observa pendant des heures, renifla le jet, puis le sol autour. Il fit venir des spécialistes pour analyser le sous-sol de la place. Ils découvrirent des galeries en provenance du village. Elles arrivaient toutes à la fontaine. Et là, dessous, des rats morts gisaient. La consommation de l’eau fut interdite.  
          Il s’avéra que le sous-sol de Coursan était un gruyère infesté de rats et que leur cimetière se situait sous la fontaine.

 

                                                                                                                                                                       Jahnice Tournissa

 

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LES PETITES CHAISES

          M. Beauregar accoudé à sa table de travail, entouré de ses livres de philosophie, de sociologie, de psychanalyse et de quelques revues ésotériques, se voit informé et confié par le C.R.P.(1) d’une mission bizarre, spéciale, hors normes, afin d’élucider une affaire extravagante…
            Et voilà notre fin limier au flair infaillible et aux intuitions géniales en train de se lancer dans cette intrigue .
            Tout un village vit une crise morale d’angoisse teinte de dépression…
           Oui, dans l’agglomération, dans les maisons, les rues, les ruelles, les impasses, les places, les placettes, résonne sans cesse, toujours, ce refrain : « Mais où sont passées les petites chaises ? »
         Chaises de bois, de fer, en plastique ou autre, habillées de toile, de tissu, de latte, de paille, etc. (ainsi que leurs cousins, cousines, tabourets, dépliants, chaises longues…)
          On ne les rencontre plus en réunion, composées de leur diversité, en nombre variable, car au-delà de leur fonction usuelle, celle de supporter nos fesses, un vide a envahi toute la cité, a altéré nos liens sociaux, plus de causerie, de bavardage, de commérage, d’échange, de politique, de discussion de toute nature, de corps, de chair, choses essentielles à nos vies où le collectif génère passion, engueulade, amour, chaleur, fraternité !
            Dans ce climat pesant, exceptionnel, notre journaliste à la rigueur incomparable, Hyris, étant donné ses études en phénoménologie et en empirisme transcendantal, se plonge dans l’examen approfondi de ce phénomène…Le voilà parti en exploration scientifique et journalistique ! En marchant, il entend chuchoter, de porte en porte, de fenêtre en fenêtre, faisant écho sur tous les murs, cette fameuse rengaine doublée d’un message subliminal…Une brigade se structurerait dans les caves, les granges, les remises, les greniers. Elle se dénommerait B.S.R.(2) afin de récupérer leurs territoires perdus, se réapproprier leurs pratiques d’antan et réinventer de nouvelles formes d’échange, de troc social fait de don et de créativité.
            Le vécu de cette incommensurable épreuve contraint Hyris pour démêler cette affaire à cibler les ruptures les plus importantes, leurs causes et leurs effets, leur paradoxe !
              Il en conclut deux hypothèses et un questionnement.

  1.  Première hypothèse : après l’arrivée de la télévision, l’envahissement des écrans, avec notamment le portable en passant par les caméras de surveillance : TOUS CHEZ SOI, L’ŒIL À LA SERRURE, VOISINS ÉPIANTS !      
  2. Deuxième hypothèse : l’hégémonie de la voiture, son évolution des sympathiques Coccinelle, 2CV à la voiture TANK, le flux qui mange l’espace, fabrique des parkings : ASPHYXIE TOTALE !

         Et enfin une interrogation lui fait chanceler sa raison : « Est-ce que dans nos lieux de vie, les architectures, nos murs extérieurs se seraient dotés d’une intelligence,  une   mémoire affective, d’une sensibilité historique, plus humaine que nos modes de vie englués dans le narcissisme et le fétichisme de l’argent, de la réussite ? »
           Les affres de cette question lui révèlent ses propres limites, il sent la nécessité de l’aide. Il appelle à la rescousse ! L’éminent professeur M. Leppif, psychosociologue, chasseur d’envoûtements et d’hallucinations collectives, maître de conférence de l’Université III de Cossignozoul-Les-Flots, intervient pour mieux dénouer toutes ces contradictions, ces ambiguïtés. De cette coopération, il en résulte un diagnostic et une thérapie.

  1. Le diagnostic : une baisse de l’intelligence, du bon sens, d’une conscience éclairée, un isolement de masse face au réel par les écrans qui font écran : SIDÉRATION, CAPTATION, FASCINATION ! En conséquence : l’homme se chosifie, devient objet lui-même, une inversion se produit. Les objets ont intégré des capacités qui semblent humaines ; algorithmes et plus  Intelligence Artificielle : faut-il revenir à l’âge de la pierre taillée, arracher les dents à la tenaille ? CERTAINEMENT PAS.
  2. La thérapie : le couple de nos spécialistes, après concertation, nous conseille des séances de rééducation à suivre avec sérieux !

          1°) Se balader nu à hululer à la pleine lune.

          2°) Se rouler nu dans un champ d’orties.

          3°) Marcher à genoux sur des chemins de pierre. La nudité est chose obligatoire pour la qualité du résultat !

         4°) Surtout l’obligation de récupération, assis sur les petites chaises devant son perron, sa porte, se délectant de tisane, de camomille, de verveine, de thym, ô breuvage de décontamination, un DÉTOX en somme !

 

                                                                                                                                                                         Fernand Soual

 

 

 

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Notes
  1. Centre de Recherche Paranormale[]
  2. Brigade des Sièges Révoltés[]
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Publié par La Rédaction du Clairon de l'Atax

1 commentaire

BURGER Catherine

Excellentes, ces nouvelles coursannaises : originales, vivantes, impertinentes.
On les lit avec plaisir, c’est le propre des nouvelles
Bravo et on attend al suite…..

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