L’arnaque des privatisations.

Macron, au service exclusif de l’oligarchie qui l’emploie, ne peut pas admettre l’enjeu représenté par la maîtrise publique  des biens « communs », et qu’il faut donc redonner toute leur place aux services publics… qui ne sont pas un luxe archaïque, mais une condition, une nécessité sine qua non de la République, seule forme de gouvernement propice à une "oïkonomia" créant des rapports pacifiés entre l’homme et son environnement.

Image par Gerd Altmann de Pixabay

À la sortie de la guerre 39/45, les représentants des organisations de résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques sont groupés au sein du CNR. Ils écrivent tout d’abord un plan d’action immédiate face à la destruction de la Nation et sa libération. Puis disent les mesures à appliquer dès la libération du territoire afin de promouvoir les réformes indispensables. (1) Souvenons-nous de quelques termes de leur programme intitulé «les jours heureux», qui ne manqueraient pas d’avoir un écho aujourd’hui : «l’instauration d’une véritable démocratie sociale», «L’éviction des grandes féodalités économiques et financières», «Assurer la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général», «Retour à la nation des grands moyens de production, des sources d’énergies, des richesses du sous-sol, notamment les compagnies d’assurances et les grandes banques», «Développement et soutien des coopératives de tout ordre», «Participation des travailleurs à la direction de l’économie».

Ensuite, sur le plan social : «Le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail», «Un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine», «La reconstitution d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale», « Un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants, aux intéressés et à l’État», «La sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier», «Une législation sociale accordant aux salariés agricoles les mêmes droits qu’aux salariés de l’industrie», «Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours», etc.

À la Libération de 1944, c’est A. CROIZAT qui est chargé d’appliquer le programme du CNR avec, comme slogan, «contribuer selon ses moyens, consommer selon ses besoins»… En 1945, cet ancien métallo est ministre du travail dans le gouvernement de Gaulle. Il sait qu’il bénéficie d’une conjoncture exceptionnelle : la droite et le patronat sont «out», du fait de leur attitude collaborationniste avec les nazis. Il doit aller vite. En 7 mois, avec les ouvriers, il va construire les caisses de sécurité sociale et d’allocations familiales.

La protection sociale, gérée par les assurés eux-mêmes, représente des budgets supérieurs à ceux de l’État. L’appareil hospitalier se développe. La retraite des vieux est augmentée de 130% et étendue à toutes les catégories de travailleurs. La semaine de 40 h est rétablie, les heures supplémentaires augmentées de 50%, l’abattement de 10% sur le salaire des femmes supprimé, les congés payés sont désormais de trois semaines.

C’est sur cette base que s’est fondée la cohésion nationale et plus encore. Ces dispositions ont contribué à sauvegarder l’unité sociale du pays en cette période de récession et de paupérisation. Avec, pour résultats flagrants, les chemins de fer, qui ont irrigué profondément l’hexagone, ou encore l’électricité, acheminée partout au même prix et avec les mêmes garanties de sécurité. Ou l’école et l’université, qui concourent à l’éducation et à la formation de tous.

Notons aussi, dans le préambule de la constitution de la IV° République de 1946, cette phrase : « Toute entreprise qui a les caractéristiques d’un service national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».

Premières ruptures.

Les libéraux bourgeois ont mis quelques années pour « refaire surface ». Dès lors Ils appellent à saper ce modèle social issu du CNR. Leur option de base est simple : reprendre l’avantage dans le partage des richesses produites. Plus tard, lorsque leur hégémonie a été pleinement rétablie, le MEDEF, par la voix de Denis KESSLER, a levé toutes ambiguïtés le 4 octobre 2007 : «Le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de le défaire méthodiquement».

En janvier 1946, de Gaulle, qui n’avait pas d’attirance particulière pour la démocratie sociale, a quitté le pouvoir. Il faudra un climat de violence provoqué par la guerre d’indépendance en l’Algérie, pour le voir revenir en 1958. Président omnipotent, entouré d’un petit nombre de fidèles, « sachants » ou « experts », il élabore la constitution de la V° République, dans un entre-soi qui permet de protéger les intérêts de « possédants » et de tenir le peuple à distance, alors même que l’article 2 de la constitution de la V° République prévoit le « gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple ».
En 1967 surgit une réforme par ordonnance donnant la parité à la représentation patronale dans les organismes gérés paritairement avec une représentation ouvrière, elle-même divisée… Le détricotage peut commencer !  
En 1973 : la « loi Pompidou-Giscard »interdit à la Banque de France de faire crédit à l’État, condamnant ainsi la France à se tourner vers des banques privées et à payer des intérêts. L’État français perd le droit de battre monnaie qui est du même coup légué aux banques privées (monnaie scripturale). Lesquelles vont en profiter pour s’enrichir aux dépens de l’État en lui prêtant avec intérêt l’argent dont il a besoin. Cette décision correspond à une privatisation de l’argent et ramène la nation au même rang que n’importe lequel de ses citoyens emprunteurs. Cette loi enterre définitivement la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 qui prévoyait la mise en place de nouveaux statuts pour la Banque de France au plus tard le 28 février 1946, mais ces dispositions n’avaient pas été suivies d’effet.
En 1981, la gauche arrive au pouvoir et nationalise les entreprises Paribas, Saint-Gobain… Arrive, en 1983, l’ouverture de la fameuse parenthèse, de la gauche socialiste où le prétexte du « réalisme » économique » fait céder de plus en plus l’Etat aux intérêts du patronat…  

Examinons à présent la liste des entreprises publiques privatisées depuis 1986 en parallèle avec l’endettement de l’État français référé au PIB.  
Alors qu’en 1976, l’endettement était de 5% du PIB, en 1980 l’endettement est passé à 20% du PIB

Mais attention : la cascade des privatisations ne fait que commencer !
Entre 1986 et 1988, le gouvernement de cohabitation, dirigé par Jacques Chirac, a privatisé : Saint-Gobain et Paribas, TF1, le Crédit commercial de France, la Compagnie Générale d’Électricité (qui deviendra Alcatel-Alsthom), la Société Générale, l’agence Havas, la mutuelle générale française, la banque du bâtiment et des travaux publics, Matra, Suez…

En 1986, l’endettement est à 30% du PIB
On aurait pu penser que le retour de la gauche avec le gouvernement Rocard aurait renversé la tendance… Certes il n’a privatisé que le Crédit local de France, et ouvert le capital de Renault, mais il n’a pas remis en cause le processus.
Le gouvernement Balladur a repris les ventes. Sur la période 1993-1995, privatisation de : Rhône Poulenc, BNP, Elf-Aquitaine, UAP, SEITA, Total, Coface.
Suivi par le gouvernement Juppé, entre 1995-1997 : AGF, Compagnie Générale Maritime puis la Compagnie Maritime d’Affrètement (devenu CMA-GCM), Péchiney, Usinor-Sacilor, nouvelle ouverture du capital de Renault, BFCE qui donnera naissance à Natexis, Bull.

En 1997, endettement est à 58,1% du PIB
Puis vient le gouvernement de gauche de Jospin. On aurait pu s’attendre pour le moins à un arrêt… Cela s’est traduit par l’ouverture du capital d’Air France, la privatisation partielle des Autoroutes du sud de la France, du Crédit lyonnais (par décret), de France-Télécom (ouverture du capital), du GAN, de Thomson multimédia, du CIC, de la CNP, de l’Aérospatiale (EADS).
Le gouvernement Raffarin a continué les opérations : Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, France Télécom (l’État devient minoritaire), la SNECMA (fusion avec SAGEM pour devenir SAFRAN), la Société des Autoroutes du Nord et le l’Est de la France, à nouveau le Crédit Lyonnais, puis Thomson.
Puis vient ce projet fou de l’UE, elle-même sous influence des lobbys néolibéraux : la « directive services » qui prévoit la privatisation de la totalité des fonctions qui nous font vivre ensemble, qui font civilisation comme les services publics : santé, école, transports, énergies. Cette « Directive service », introduite dans le référendum 2005 que le peuple français avait refusé et que l’on nous a fait passer de force ensuite !
Avec le gouvernement de Villepin, les ventes se sont poursuivies. Privatisations totales de toutes les sociétés d’autoroutes, de Gaz de France. Privatisations partielles d’EDF, d’ADP, de la DCNS (construction navales).

Le gouvernement Fillon a peu privatisé du fait de la crise bancaire et financière de l’automne 2008. Crise à cause de laquelle l’État s’est endetté pour soutenir les entreprises commerciales que sont les banques.   

En 2008, l’endettement est à 68,8% du PIB, puis il passe à 83% en 2009 pour atteindre 90,6% en 2012. 
Sur la période 2012-2014, le gouvernement Ayrault a procédé à de nouvelles privatisations partielles : Safran, EADS, EDF, GDF Suez, ADP, Airbus.
Sur la période 2014-2016, le gouvernement Valls a aussi privatisé totalement ou partiellement : les aéroports de Toulouse-Blagnac, de Nice côte d’Azur, de Lyon-Saint-Exupéry, Safran.
Enfin, le gouvernement Philippe a privatisé la Française des jeux, en attendant ADP (Voir la campagne pour le RIP menée localement par Jean Cordier) et Engie.

OUF ! nous arrivons en 2019 avec une dette à 99,5% du PIB pour un montant de 2375 milliards d’euros avec une « charge de la dette » de 38 milliards d’euros, soit le montant du budget de la défense nationale… (2) Depuis 40 ans, aucun budget de l’État n’a été présenté en bénéfice !

Comment alors s’étonner que nous nous sommes endettés alors qu’ « en même temps«  les plus riches se sont considérablement enrichis ?   
Le nombre d’entreprises publiques a diminué de moitié. Trente années auparavant, 3 500 sociétés étaient sous contrôle de l’État et les effectifs salariés atteignaient les 2 350 000 personnes. Fin 2013, l’État contrôlait majoritairement, directement ou indirectement, 1 444 sociétés qui employaient 801 270 salariés. Sous le prétexte que l’État serait un mauvais gestionnaire, mais aussi en oubliant les succès techniques et commerciaux d’Airbus, du TGV, d’Ariane, etc. (3). Peu importe, selon Macron, il faut baisser l’emploi public qui « coûterait trop cher », sous-entendu les fonctionnaires ne sont pas performants. Alors que l’éducation, la justice et la santé sont à genoux par manque de financement et donc défavorisées lors de leur mise en concurrence avec le privé !

Quand on voit les bénéfices des sociétés privatisées devenues des « fleurons » du CAC 40, on peut se demander si ces bénéfices ne seraient pas plus utiles dans les caisses de l’État. (4).  
Résultat de tout cela, nous avons désinvesti, perdu en capital et nous nous sommes appauvris, endettés… Nos élites, devenues une oligarchie, un État dans l’État, complices de Vinci, Bouygues, Eiffage, Suez, LVMH, Orange, BNP, Société Générale, etc. nous ont trahi en récupérant les « bijoux de famille » avec leurs « petits copains » qui disposent dorénavant de profits importants. Suffisamment pour dicter leurs lois en demandant de diminuer encore les cotisations sociales et les impôts, particulièrement pour les grandes entreprises.

Dans ces conditions, comment s’étonner que l’État se soit appauvri ?

Limité dans ses moyens, aujourd’hui l’État sous-loue au privé ses politiques d’aménagement du territoire comme de plus en plus, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, le sport ou la culture.

Alors que l’État devrait rester le garant du bien commun, il s’en retire pour laisser un champ d’action considérable aux grandes entreprises privées. Il a renoncé à toute stratégie qui, à l’instar d’une politique industrielle forte, protégerait l’emploi et traiterait avec efficacité l’urgence écologique. Dans ces conditions, difficile de faire le choix d’une éducation gratuite et de qualité, d’un système de santé et de sécurité sociale de haut niveau, d’une politique de l’emploi et du travail correspondant aux enjeux de ce siècle.

La commission européenne a exaucé son vœu, en matière de concurrence économique : empêcher le gouvernement de jouer un rôle d’actionnaire, en interdisant toute recapitalisation de sociétés en difficulté, ou simplement en phase de développement, ce qui conduirait, selon elle, à interférer dans la situation concurrentielle du secteur. Mais n’oublions pas le jeu pervers des chefs d’États européens qui décident des orientations de l’UE puis, de retour dans leur pays, dénoncent les décisions européennes qu’ils appliquent : baisser les impôts des plus riches, réduire le nombre de fonctionnaires, faire baisser les revenus salariaux directs et indirects (comme les pensions de retraite) avec les « charges sociales ».

Dans ces conditions, la technique pour privatiser le service public est relativement simple. Nous serions donc endettés (sans bien entendu expliquer les origines et raisons de cet endettement). Il faut en conséquence baisser le financement du service public qui fonctionnerait mal suite à sa mauvaise gestion par l’État (!?)… Évidemment, les gens seront insatisfaits et voudront des services plus performants. Ce sera alors le moment de privatiser ou de créer des délégations de service public (on sous-traite !).

C’est pourquoi les services publics sont en permanence attaqués, suspectés d’être parasitaires, non-productifs mais, malgré cela, le pays résiste, à l’image des hôpitaux, de l’Éducation nationale, de la SNCF.

La partie est loin d’être perdue : souvenons-nous que notre organisation collective assure, encore aujourd’hui, un tiers du PIB, dans des secteurs essentiels, comme la sécurité, la justice, l’éducation, la santé, le transport, le logement, l’énergie. Au moment où l’on voit, dans certains pays, un retour à la nationalisation ou à la communalisation de services publics : eau, transports, énergie…
Cela pourrait s’inscrire dans le programme d’un CNR « post Macron », qui permettrait : la régulation de l’économie de marché, une souveraineté monétaire (une monnaie commune et pas unique), de faire fonctionner efficacement l’économie des besoins, d’apporter un soutien actif au « tiers secteur coopératif » souvent local, à l’agriculture paysanne, sans oublier la restauration d’une école républicaine adossée à une éducation populaire, etc…

Nous possédons encore des « marges de manœuvre pour réaliser cela ! (5)

Mais surtout nos institutions devront être réellement démocratisées. La dangereuse évolution de notre environnement, amorcée au début de l’ère industrielle et accélérée par l’hégémonie néolibérale qui sévit sur notre planète, ne pourra être maîtrisée que par la prise de conscience et l’engagement solidaire de tous.

Malheureusement le Président Macron, en est resté à l’ère Thatcher : « Il n’y a que des individus en compétition les uns contre les autres. Les plus forts réussissent et deviennent riches ! ». Macron, au service exclusif de l’oligarchie qui l’emploie, ne peut pas admettre l’enjeu représenté par la maîtrise publique des biens « communs », et qu’il faut donc redonner toute leur place aux services publics, qui ne sont pas un luxe archaïque, mais une condition, une nécessité sine qua non de la République, seule forme de gouvernement propice à une « oïkonomia » (6), créant des rapports pacifiés entre l’homme et son environnement.

Oncle JEF pour le Clairon de l’Atax le 12/01/2020

 

 

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Notes:
  1. http://museedelaresistanceenligne.org/media6651-Les-jours-heureux-par-le-CNR
  2. Voir ma chronique du mois de décembre sur les risques de crise financière : https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/pages-visibles/actualites/la-chronique-d-oncle-jef-v02r00/
  3. en oubliant aussi que certains passages du secteur public à la gestion privée se sont terminés par des catastrophes ainsi le crédit Local de France devenu Dexia
  4. Voir la chronique d’Hubert REYS : Clairon de juin 2019 : https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2019/06/23/privatisation-ou-nationalisation-telle-est-la-question/
  5. Voir ma chronique de décembre 2019 : https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2019/12/23/les-taux-dinteret-bas-un-risque-de-crise/
  6. du grec ancien Oikos = maison et Nomos = gérer

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