Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.

Dans cette "démocratie" nous sommes libres de manifester à condition de ne pas manifester, libres de faire grève à condition de ne pas la faire, libres de contester à condition d’obéir,  quelle issue peut-il y avoir à cela : l’insurrection ? Elle sera enfantée par la violence de cet Etat là.

Protéger la démocratie est l’affaire de tous mage par Gerd Altmann de Pixabay

Cette réplique, signée Michel Audiard et prononcée par Lino Ventura dans le cultissime film de Georges Lautner « Les tontons flingueurs », garde une fraîcheur étonnante lorsqu’on considère l’actualité politique, qu’elle soit française ou qu’elle concerne d’autres pays réputés «avancés». Mais qu’est ce qu’un con, comment le définir ? Ici le con qui ose tout c’est celui qui ne doute de rien. Le con serait donc celui qui ne doute pas :  il semblerait alors que nombre de nos gouvernants, mais aussi nombre de leurs homologues dans le monde, pourraient relever de cette catégorie.

Car comment expliquer cet acharnement des uns et des autres à conduire des politiques qui chaque jour soulèvent un peu plus l’incompréhension, puis l’hostilité de leurs peuples. D’où leur vient cette certitude d’être dans le vrai et celle-ci est-elle vraiment sincère ?
Faut-il voir en eux l’échec d’un système éducatif qui, renonçant à l’enseignement des « humanités » (1), s’est réduit à former des travailleurs à l’emploi, passant du logos, du questionnement, du débat, à l’étroite grammaire des techniques professionnelles ?

La fabrique de l’”Elite”

En tout cas ceux là ont réussi puisqu’ils sont aux manettes de l’État ou de l’entreprise. Bons élèves, bons étudiants, collaborateurs zélés, c’est parce qu’ils ont su s’adapter au “système” qu’ils sont maintenant là où ils sont, qu’ils ont le pouvoir, une partie du pouvoir, ou l’illusion du pouvoir… Comment ne concluraient-ils pas, à cette étape de leur “success story”, que ce “système” est le bon, le meilleur ?  Massivement ils se sentent appartenir à l’”élite”. Très peu à se stade doutent et décrochent…

La fabrique du mensonge

Mais il y a les autres : la masse de ceux qui ne font pas partie de l’”élite” qui, par définition, ne peuvent pas tout comprendre de ce que pense, dit et décide l’élite qui les gouverne. C’est une vielle histoire : les pères fondateurs de la République, lors des révolutions américaine et française, avaient déjà compris cela. Les “élites” sont donc légitimes pour penser pour tous…

«Dans ces conditions, rien n’est sans doute plus effrayant que le prestige sans cesse accru, qu’au cours des dernières décennies certains esprits méthodiquement scientifiques se sont acquis dans les conseils des gouvernements. […] Au lieu de s’abandonner à ce genre d’activités démodées qu’ignorent les ordinateurs, ils tirent les conséquences de certains ensembles de conditions hypothétiquement formulées, sans être en mesure toutefois de vérifier expérimentalement la réalité de leurs hypothèses de départ. Ces constructions hypothétiques d’éventualités à venir souffrent toujours de la même faille logique : ce qui est tout d’abord présenté comme une hypothèse – comportant, selon le degré d’élaboration, une ou plusieurs alternatives possibles – devient bientôt, généralement en l’espace de quelques paragraphes, une réalité qui engendre alors tout un enchaînement de faits  irréels“, construits de façon similaire, avec cette conséquence que l’on oublie le caractère purement spéculatif de toute la construction » (Hannah Arendt, « Du mensonge à la violence » 1972).

Dans l’entre-soi de l’”élite” on ne comprend plus ce que veulent et ce que vivent les gens. La trajectoire pour devenir un «gagnant aux manettes » a fait oublier, pour ceux qui l’ont eue, l’expérience d’avoir été rien, ou peu, ou juste un peu plus… Alors l’”élite” se construit une «réalité» qui la fonde, la légitime.

Le premier mensonge de l’”élite” est celui qu’elle se fait à elle-même : informations faussées, truqués, tronquées, interprétations partisanes ou orientées de données scientifiques ou techniques qui remontent aux ministères ou à la direction des entreprises, ou qui redescendent vers les administrations départements ou services : ici pour ménager une carrière, là pour évier un conflit, etc…

L’autre mensonge est celui fait au « gens » qui critiquent, protestent, se révoltent en constatant que leur bien être est menacé, voire atteint, suite aux décisions de l’élite censées leur être favorables. Alors, pour les calmer, on leur ment de plus en plus : leur sacrifice d’aujourd’hui assurera leur bien être de demain…

Cette inflation de mensonges rend le débat productif de moins en moins possible. Les “élites” cramponnées à leur imaginaire de classe ne peuvent plus comprendre le réel de ce peuple qui s’oppose à eux de plus en plus durement à force de ne pas être écouté.
Il reste alors à ceux qui nous gouvernent le dernier rempart offert par nos institutions obsolètes, fabriquées à l’aune d’un homme providentiel : celui de la légitimité démocratique. Selon eux nous serions encore en démocratie, puisque eux, qui nous gouvernent, ont été légalement élus. Ils brandissent plus que jamais le mot démocratie, alors qu’un président peut être légitimé par 24 % du corps électoral, alors qu’une majorité parlementaire peut lui être acquise par le trompe l’œil d’arrangements institutionnels, alors qu’ils restreignent jour après jour les libertés au prétexte de notre sécurité, alors qu’à la violence de leur politique qui ignore les aspirations du peuple, ils ajoutent la violence de leur police.

Le mot démocratie devient un mensonge lorsqu’il s’agit de qualifier le fonctionnement actuel de nos institutions ; certains on voulu le transformer en « démocrature » mais y a-t’il encore une place pour le « demos » dans la conduite de notre République ?

Les prochaines élections municipales inquiètent nos élites gouvernantes : les sondages ne leur sont pas favorables, un échec remettrait leur légitimité gravement en question. Alors ils cachent leur étiquette macroniste en avançant le caractère purement local de ces élections et «dans le même temps» fabriquent des éléments de langage, subtiles formes de mensonges, censées disqualifier leurs adversaires. C’est ainsi que la merveilleuse et macroniste Brune Poirson, Secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition Écologique et Solidaire, vient tout juste d’inventer le concept de «populisme vert» dans l’espoir de nuire aux écologistes qu’elle sent menaçants et d’atténuer le peu de résultats de son propre ministère…

Libres de manifester à condition de ne pas manifester, libres de faire grève à condition de ne pas la faire, libres de contester à condition d’obéir,  quelle issue peut-il y avoir à cela : l’insurrection ? Elle sera enfantée par la violence de cet Etat là.

Hubert Reys pour le Clairon d l’Atax le 22/01/2020

 

 

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Notes
  1. Extrait de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs[]
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4 commentaires

Albert CORMARY

Et une vidéo toute récente : https://www.youtube.com/watch?v=DKee-NveOFw

Merci Albert pour ce lien avec l’entretien entre B.Stiegler et F. Ruffin : il constitue un complément indispensable au du tract “De la Démocratie en Pandémie” publié chez Gallimard… à regarder absolument.

J’attend avec une certaine impatience la parution prochaine du dernier livre de Nicolas Baverez: “L’alerte démocratique”

Merci pour cet excellent éditorial qui nous rappelle, si besoin était, à quel point le mot n’est pas la chose.
A défaut d’en faire prendre conscience à ceux qui nous gouvernent, restons vigilants sur notre propre conception de la démocratie. Cela nous rendra plus et mieux exigeants vis à vis des pouvoirs de toutes natures, qui prétendent s’imposer au nom d’une vision abusive et mensongère de la démocratie.

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