Nucléaire : « errare humanum est ; perseverare diabolicum »

La fermeture de la centrale de Fessenheim, arrachée de haute lutte, ne marque nullement le début d'un repli de la filière nucléaire française. Bien au contraire, alors que ce repli se manifeste partout dans le monde, le charme du nucléaire instillé par un influent lobby, semble avoir enchanté Macron et une partie de nos gouvernants, qui malgré la kyrielle d'incidents, de retards et le manque évident de savoir faire, envisagent la construction de 6 nouveaux EPR

Chronique d’un désastre annoncé (suite)

Image par enriquelopezgarre de Pixabay

Comment ne pas penser à ce vieil adage romain : « il est humain de se tromper mais il est diabolique de persévérer dans l’erreur », lorsqu’on assiste aux tribulations du nucléaire français. D’un côté des sommes faramineuses vont être engagées pour prolonger la vie de nos centrales en bout de course, de l’autre Macron et ses followers, contaminés par le lobby nucléaire, envisagent la construction de 6 nouveaux EPR, tandis que des retards en cascade diffèrent jour après jour la mise en service de l’EPR de Flamanville et que des incidents, dysfonctionnements et accidents continuent à perturber le fonctionnement du parc nucléaire français. Enfin l’ASN, l’autorité indépendante, censée veiller au bon fonctionnement à la sécurité et la sureté du nucléaire français, réclame un programme budgétaire spécifique qui pourrait lui permettre d’accomplir ses missions avec plus d’indépendance, face aux pressions dont elle est l’objet de la part du gouvernement et des industriels du secteur, soucieux de donner une image présentable de notre industrie nucléaire.

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Alors que le premier réacteur de la centrale de Fessenheim va enfin fermer dépassant de 3 ans la durée limite, alors que le démantèlement complet de cette centrale est prévu durer au moins 20 ans, les affirmations de nos gouvernants actuels et du lobby qui présentent le nucléaire comme une source d’énergie décarbonée propre et sûre, indispensable pour faire face à l’urgence climatique. Pourtant le rapport annuel du “World Nuclear Industry Status Report” (WNISR) (1), produit par un cabinet d’expertise indépendant, arrive à des conclusions opposées.

Le recours au nucléaire est une solution inadéquate pour décarboner la production électrique mondiale

Des énergies renouvelables moins chères et plus rapides à mettre en service :
Actuellement dans le monde la production d’énergie électrique est encore essentiellement assurée par le charbon et le gaz. Construire des centrales nucléaires nécessite un temps long jusqu’à leur entrée en production : selon le rapport les 9 réacteurs mis en service en 2019 dans le monde ont nécessité en moyenne 11 ans entre l’ouverture du chantier te leur connexion au réseau. Ce sont des délais qu’on ne peut plus admettre face à l’urgence climatique : l’éolien et le solaire permettent des mises en œuvre beaucoup plus rapides. De plus les couts de production d’électricité se sont progressivement inversés au profit de ces énergies renouvelables. Selon le WNISR en 10 ans, entre 2009 et 2018  les coûts de l’éolien ont baissé de  69% et ceux du solaire commercial de 88%, tandis que ceux du nucléaire augmentaient de 23%. Aux USA le coût du MWh est de l’ordre  de 30 $ en 2018 tandis que l’éolien et le photovoltaïque sont négociés à 20 $ le MWh (ndlr : à titre de comparaison en France, selon l’ADEME, le coût moyen du nucléaire pour les centrales déjà construites est de 49,50€ le MWh en 2020, soit 53 $).
De plus, selon ce rapport le nucléaire est contre productif car mobilise des investissements énormes qui ne sont plus disponibles pour le déploiement des énergies renouvelables.

Partout dans le monde on assiste à un fort ralentissement de la mise en chantier de centrales nucléaires. La Chine deuxième puissance économique mondiale, a inversé sa politique d’investissement dans le nucléaire au profit des énergies renouvelables : en 2018 l’électricité d’origine solaire ou éolienne a représenté le double de l’électricité d’origine nucléaires. Cette évolution est confirmée au niveau mondial où l’électricité nucléaire a lentement diminué en 10 ans (- 36 TWh entre 2008 à 2018) alors que les renouvelables -solaire et éolien- ont progressé de 1932 TWh).

Si les principales puissances nucléarisées freinent ou stoppent la mise en chantier, voire l’exploitation de leurs centrales, ce n’est pas le cas de la France puisqu’au contraire le président de la République et le gouvernement actuel, aidés par le lobby nucléaire, tentent d’accoutumer l’opinion à l’idée de la construction future de 6 nouveaux EPR. On peut se demander, au vu des péripéties et problèmes encourus lors de la construction des EPR de Flamanville et d’Olkiluoto, pourquoi  nos gouvernants persistent autant dans l’erreur ?
Un choix politique discutable, fait il y a plus d’un demi-siècle, nous a dotés d’un nombre excessif de réacteurs (58) pour un territoire aussi exigu. Nous avons donné une place si importante au nucléaire  (plus de 70% de l’électricité produite en France) qu’il serait impossible de changer de cap ? C’est du moins ce que suggérait en 2018 jean Bernard Levy le PDG d’EDF en comparant le nucléaire au cycliste qui pour en pas tomber devait continuer à pédaler.
Il y aurait donc une sorte de chantage, tant économique que technologique, qui paralyserait toute velléité de changer sérieusement notre politique énergétique ?

L’ASN, acteur déterminant de la politique nucléaire française (2)

Cette autorité administrative indépendante française dépend essentiellement pour ses financements du ministère de la Transition écologique ce qui, selon la formule de Roccard « qui paie contrôle », peut rendre difficile en certaines circonstances l’ “indépendance” de cette autorité, surtout lorsqu’elle dépend d’un gouvernement aussi pro-nucléaire.
Malgré cela l’ASN semble avoir fait jusqu’à présent correctement son travail, malgré les nombreuses tentatives des industriels du nucléaire EDF et AREVA / ORANO (3) de lui masquer certains incidents, dysfonctionnements et malfaçons. Il a fallu beaucoup de diplomatie et de couleuvres avalées pour que l’ASN remplisse ses missions.  Mais la situation risque de devenir encore plus difficile avec un gouvernement et des industriels, droits dans leurs bottes, qui veulent redorer l’image de l’industrie nucléaire française, vanter ses nouvelles compétences et poursuivre le développement de la filière envers et contre tout !
Il n’est donc pas surprenant que Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, ait souhaité, au prétexte de rassembler des financements « dispersés », la mise en place d’un financement direct par la création : « d’un programme budgétaire dédié à la sûreté nucléaire et à la radioprotection ».  Ce programme relèverait directement du budget de l’Etat et non d’un sous-programme budgétaire du ministère de la Transition écologique. Ce programme budgétaire dédié à l’ASN serait inscrit dans la loi de finances et géré directement par le Président de l’ASN. Comme le confirme Bernard Doroszczuk : « « il ne s’agit pas de changer les montants, mais d’avoir la main dessus » : on ne peut être plus clair !

Cette revendication de plus d’autonomie pour l’ASN “autorité administrative indépendante” n’empêche pas son président de faire un constat pour l’année 2019 plein de diplomatie et d’euphémismes, mais qui désigne avec justesse les problèmes de la filière nucléaire. Il rappelle :

  • « la plus grande prise de conscience des défis industriels et le besoin de rigueur auxquels sont confrontés les acteurs de la filière nucléaire française ».
  • les multiples défauts qui affectent l’EPR de Flamanville (Manche), les générateurs de vapeur, et plus généralement de nombreux équipements installés sur le parc en fonctionnement.
  • le manque de rigueur lors de certains contrôles, notamment du fait d’usurpations d’identité par des employés qui n’étaient pas qualifiés pour réaliser certaines tâches.
  • que l’amélioration de la qualité des prestations ne doit pas seulement concerner la construction des réacteurs neufs mais aussi les travaux lourds de maintenance des installations en fonctionnement.

Mais il atténue ses propos en estimant que l’industrie nucléaire a pris conscience « du besoin de ressaisissement » alors que la décision de réparer les soudures déficientes de l’EPR de Flamanville a déclenché « une prise de conscience publique et politique des déficiences de l’industrie nucléaire ». Il salue aussi la réalisation en 2019 du débat public sur le cinquième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) dont il espère qu’il produira des avancées concrètes.

On ne peut que saluer  l’indispensable travail de l’ASN et espérer qu’il pourra se poursuivre dans de bonnes conditions avec le plus d’autonomie possible.

Et pendant ce temps là les incidents se poursuivent sur le parc nucléaire

Fuite de tritium
Le 22 janvier 2020 EDF signale sur son site internet qu’une fuite de tritium a lieu sous la centrale nucléaire du Tricastin dans l’enceinte géotechnique qui isole la centrale de la nappe phréatique. Ces rejets mortels se produiraient depuis 2 mois : selon EDF c’est une tuyauterie d‘un réservoir d’effluents radioactifs défaillante qui serait  à l’origine de l’événement.  Un taux de radioactivité mesuré jusqu’à 1150 Becquerel par litre (Bq /l) et dépassant le seuil déclaratif de 1000 becquerels /litre a été régulièrement constaté avec une pointe mesurée à 5300 Bq/l.
EDF a attendu plus de 2 semaines avant de communiquer cette information mais affirme cet incident « sans conséquence sanitaire ou environnementale ».
Ce n’est pas la première fois que la centrale du Tricastin pollue les eaux par des contaminations radioactives : déjà  2013 de l’eau contaminée s’était infiltrée à travers des joints défectueux jusqu’à aller polluer l’environnement.

Malfaçons sur les nouveaux diésels de secours de 9 centrales
Le 6 février 2020 l’ASN a fait part de la découverte de nouveaux défauts de résistance aux séismes de certaines parties des diésels de secours installés auprès de 16 réacteurs de 1300  MW d’EDF. Selon l’ASN : « En cas de séisme conduisant à une perte des alimentations électriques externes, le fonctionnement des diesels de secours pourrait ne plus être assuré, en raison de ces défauts »
Les défauts constatés seraient de 3 types :

  • raccords de tuyauteries en élastomère mal montés
  • corrosion de certaines tuyauteries et de leurs supports
  • défauts dans la connectique de certaines armoires électriques

Selon l’ASN certains défauts auraient été réparés par EDF, tandis que d’autres le seront lors de la période d’arrêt des réacteurs. Le manque de savoir faire des constructeurs de ces groupes électrogènes avait déjà été relevé il y a quelques mois par l’ASN : la situation ne s’est manifestement pas améliorée. !

Nuage atomique au crépuscule Image par Jody Davis de Pixabay

Dans de telles conditions comment peut-on seulement envisager le développement de la filière nucléaire française ?

Curly Mas Toole pour le Clairon de l’Atax le 18/02/2020

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Notes
  1. https://www.worldnuclearreport.org/[]
  2. L’Autorité de Sûreté Nucléaire a été créée en juin 2006 a dans ses missions :

    • le conseil aux gouvernements pour l’élaboration de la règlementation concernant le nucléaire.
    • le contrôle du respect des règles et des prescriptions auxquelles sont soumises les installations nucléaires.
    • l‘information du public en toute situation et le cas échéant sa consultation.[]
    • Areva tente de faire oublier ses échecs en changeant de nom[]
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