Depuis les annonces du gouvernement de rendre obligatoire le port d’un masque dans tous les lieux publics clos, en particulier les commerces et les services administratifs ainsi que les agences bancaires, des messages virulents apparaissent sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette obligation (assortie de 135 € d’amende en cas de non-respect) et appeler au boycott des commerces imposant le port du masque.
Certains argumentent ce refus en s’appuyant sur la désastreuse communication du gouvernement Philippe et du directeur de la Santé, le Pr Jérôme Salomon, au début du confinement : afin de masquer (sic) le douloureux problème des stocks et de l’approvisionnement en masques en tous genres, ces “hauts responsables” avaient trouvé malin d’affirmer publiquement que porter un masque ne servait à rien. Affirmation démentie par les mêmes quelques semaines plus tard, lorsque l’approvisionnement massif en masques est enfin devenu possible. Cette attitude infantilisante des citoyens que nous sommes a légitimement de quoi faire bondir de colère.
Pour autant, n’est-ce pas se tromper de cible que de stigmatiser une décision uniquement parce qu’elle émane d’un gouvernement inapte à prendre en compte la capacité des citoyens à la responsabilité et à intelligence collectives ? “Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt” dit un célèbre proverbe chinois.
On ne le dira jamais assez, l’intérêt majeur du port du masque n’est pas de protéger la personne qui le porte mais, bien au contraire, de protéger les autres en limitant la propagation d’un virus au comportement encore mal connu et pour lequel il n’existe actuellement aucun vaccin.
Quelques rappels à l’attention de celles et ceux qui n’auraient pas compris l’intérêt des gestes barrière et du port du masque :
- être atteint par le virus SARS-Cov2 ne signifie pas obligatoirement être atteint de la maladie dite “Covid-19”. Ceux que l’on appelle les “porteurs sains”, ou “porteurs asymptomatiques”, sont des personnes atteintes par le virus mais dépourvues des signes cliniques de la maladie et vivant en bonne santé. Certains porteurs sains contracteront la maladie plus tard et d’autres ne l’auront jamais,
- en l’absence de programmes massifs de dépistage, il ne nous est pas actuellement possible d’évaluer la proportion de porteurs sains dans la population. Rien ne permet d’affirmer que les porteurs sains ne sont pas beaucoup plus nombreux que les porteurs malades. C’est cette incertitude qui fait de chacun de nous un porteur potentiel du virus et, partant, un danger pour tous les autres,
- le dépistage préventif est beaucoup plus efficace lorsque la personne dépistée est positive que lorsqu’elle est négative. En effet, une personne détectée porteuse du virus peut faire l’objet d’un traitement approprié : si elle est malade, il est possible de la prendre en charge au plus tôt (1) et, si elle ne l’est pas, il est possible de l’isoler afin qu’elle ne contamine pas d’autres personnes. En revanche, une personne testée négative sera peut-être atteinte par le virus 30 secondes ou plusieurs mois après le test ; dès ce moment-là, elle deviendra à son tour un vecteur de contamination,
- la contamination peut s’opérer par deux moyens principaux : le contact direct et le contact indirect :
- le contact direct, c’est quand une personne contaminée touche une autre personne et lui transmet le virus qu’elle porte sur elle. C’est pour éviter ce mode de contamination qu’il est recommandé de se laver fréquemment les mains (avec du savon ou du gel hydro-alcoolique) et de respecter la distance physique entre les personnes,
- le contact indirect, c’est quand une personne contaminée dissémine du virus sur un objet ou dans l’air ambiant, que ce soit en touchant un objet ou bien en postillonnant / éternuant sur un objet ou dans l’air ambiant. C’est pour éviter ce mode de contamination qu’il est recommandé de respecter la distance physique et qu’il est désormais obligatoire de porter un masque dans les lieux publics clos,
- porter le masque, c’est réduire le risque de projeter des postillons potentiellement porteurs de virus. Moins de postillons dans l’air ambiant ou sur des objets, c’est moins de risque de contamination des personnes alentour. Dit autrement, on garde ses miasmes pour soi et on évite d’en faire profiter les autres.
Voilà pour les rappels de simple bon sens. Ces rappels pourront sembler des évidences à certain.e.s et c’est tant mieux, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Rappelons aussi que le virus ne voyage pas par ses propres moyens : ses nanoscopiques petites pattes (si pattes il y avait) ne le lui permettraient pas. Il ne voyage que parce que les êtres vivants auxquels il s’accroche voyagent.
C’est pour toutes ces raisons que le respect des gestes barrière et le port du masque visent non pas à se protéger soi-même mais d’abord à protéger autrui. Et c’est en participant à la réduction du risque général de contamination que l’on participe aussi, par rebond, à sa propre protection.
Cette illustration manifeste du principe de solidarité rappelle au passage que l’inverse n’est pas vrai : en se protégeant soi-même, on ne protège personne d’autre.
Si besoin était, on rappellera aussi que, pour les commerçants, interdire l’entrée à des visiteurs refusant de porter un masque et de pratiquer les gestes barrière ne va pas de soi. En effet, comment ne pas comprendre à quel point il peut être douloureux, pour un commerçant, de refuser du monde après presque deux mois d’arrêt forcé de leur activité ?
Sait-on bien ce qu’il en coûte aux commerçants de reprendre leur activité avec la menace d’une reprise de l’épidémie ? Refuser des clients indélicats et inconscients, nettoyer à fond le magasin avant l’ouverture et après la fermeture, mettre de côté les objets touchés pour les désinfecter, passer à la vapeur les vêtements essayés, etc ? Cette marque de respect pour autrui et de conscience des risques et des enjeux pour l’ensemble de la collectivité n’est pas toujours comprise comme il se doit. A une commerçante qui lui demandait de bien vouloir mettre un masque, une visiteuse non protégée a répondu récemment, sans la moindre vergogne : “non, je n’ai pas de masque, mais j’ai une carte de crédit. Dommage pour vous“. Manière pour le moins immonde d’imposer à la commerçante de prendre un risque pour elle-même, pour ses futurs visiteurs et pour la collectivité, en échange d’un espoir de chiffre d’affaire. Heureusement, il est des commerçants qui savent se respecter et ne pas céder à ce genre de chantage. Et la méprisable visiteuse a terminé là sa lamentable incursion.
Bien sûr, de telles personnes ne prendront jamais la peine d’imaginer ce que la désinvolture commune pourrait coûter à ces commerçants dans le cas d’une reprise de l’épidémie entraînant une nouvelle fermeture forcée des magasins. En revanche, ils seront les premiers à crier à l’injustice si, à l’occasion d’un nouveau confinement, leur confort personnel se trouvait menacé, leur “liberté” entravée et leurs revenus amoindris.
De ce point de vue, certains des grands médias radio-télévisés ont eu une indéniable responsabilité dans cette désinvolture, lorsqu’ils ont mis l’accent sur le seul inconfort, certes réel, vécu par une grande partie de nos concitoyens pendant le confinement. Donner la parole, dans des “micro-trottoir” (sic), à des gens qui justifient leur non-respect des gestes barrière par un besoin de conjurer une “privation de liberté” vécue lors du confinement, sans aucune mise en perspective ni commentaire, est une nouvelle occasion perdue de promouvoir l’indispensable solidarité de chacun avec tous. Nous ne devons pas nous habituer à cette détestable habitude, prise par certains médias, de privilégier l’émotion plutôt que d’inciter à la réflexion.
Au fond, ce virus n’est pas qu’une menace, mortelle pour certains. Révélateur d’une montée inquiétante et déjà ancienne des comportements inciviques au quotidien, il est une occasion, trop rare, de (re)prendre conscience que nos obligations de respect des règles de bonne conduite en société, avant d’être légales parce qu’inscrites dans la loi, sont des obligation sociales et morales, indispensables au maintien de la cohérence de nos sociétés.
Il est aussi l’occasion de (re)prendre conscience que la vie ne se résume pas à la contemplation de notre nombril, fût-il insupportablement resplendissant, mais que, pour que la vie en société reste possible, il est vital que chacun.e se considère avant tout comme la partie d’un ensemble et comme un risque potentiel pour autrui.
Au fond, ce virus nous ramène à une question fondamentale de la démocratie : la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers. A l’heure où la question de mesures contraignantes se pose devant les dangers induits par le réchauffement climatique, saurons-nous nous servir de la leçon donnée par ce virus ?
Pour terminer, il est rafraîchissant de constater que le réseau social Facebook sert aussi à relayer des messages aussi sensés et responsables que les deux qui suivent :
Jean Cordier, pour le Clairon de l’Atax, Juillet 2020
Notes :
- avec les conséquences positives que l’on imagine sur l’issue de la maladie et la maîtrise de l’encombrement des services de réanimation⇗