Opacité dans l’information sur le nucléaire : ça continue !

Les procédures de participation semblent plus relever de la communication que d'un processus participatif d'information des citoyens.

inondation (Image par Jacques GAIMARD de Pixabay)

Il y a les effets d’annonce et il y a la pratique. La relance du nucléaire, voulue par E. Macron en 2022, était accompagnée de grands efforts de communication, destinés à mobiliser une opinion encore déroutée par le changement de cap gouvernemental. Ainsi il était déclaré qu’une attention particulière serait porté à l’information et au débat public en accompagnement des projets nucléaires envisagés dans le cadre de cette relance. La CNDP (Commission Nationale du Débat Public), autorité administrative indépendante, avait été chargée de veiller à ce que le public dispose de toutes les informations relatives à ces projets, mais aussi d’organiser les débats publics accompagnant la démarche de projet et de veiller à leur bon déroulement.

   Hélas ces bonnes dispositions ont fait long feu ! Dès 2023 alors que le débat public sur la construction des futurs réacteurs nucléaires EPR 2 était en cours, sans en attendre les conclusions, le Sénat commençait à voter le projet de loi sur l’accélération du nucléaire comprenant la réalisation des EPR2 de Penly…Pourtant, du côté du débat public, de nombreuses questions restaient à traiter d’autant plus qu’EDF refusait de donner des informations sur le financement de ces réacteurs, sur le traitement des déchets produits, sur la capacité du site à faire face au changement climatique…Des demandes d’études complémentaires avaient été adressées à EDF, notamment une demande d’étude d’impact pour Penly, où  était posée la question  du risque d’éboulement de falaises et du recul du trait de côte. Demandes restées sans réponse de la part d’EDF.

L’actualité relance le problème de la construction des EPR 2

   Dès 2022 la CNDP avait produit un document dans lequel elle interrogeait EDF sur : « La vulnérabilité des réacteurs nucléaires prévus au programme face aux effets du changement climatique est-elle suffisamment réduite ? ». Les sites de Penly et de Gravelines situés en bord de mer où l’implantation de ces nouveaux EPR était prévue, suscitaient de nombreuses questions quant à l’augmentation de la température de l’eau, au réchauffement de l’air et surtout quant au recul du trait côtier suite à l’élévation du niveau de la mer.
   Au printemps 2024, les fortes inondations subies par le département du Pas de Calais ou se trouve le site nucléaire de Gravelines ont relancé le débat sur la sûreté du site.

   Dès 2022 l’ONG Greenpeace en s’appuyant sur des scénarios de montée des eaux établis par le GIEC avait montré qu’il existait un risque de submersion de cette centrale par la mer à l’horizon 2100. Ce risque était réfuté par le maître d’ouvrage EDF qui se référant à des prévisions 2014 du même GIEC estimait que des protections de 2 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer étaient suffisantes.
   En octobre 2024 Greenpeace a publié un rapport technique très documenté intitulé, « La centrale nucléaire de Gravelines », sous-titré : « Un château de sable en bord de mer» [[https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2024/10/RAPPORT-La-centrale-nucleaire-de-Gravelines-un-chateau-de-sable-en-bord-de-mer-Greenpeace-2024.pdf]]

   Voici quelques extraits des conclusions de ce rapport :

  • « La construction de deux réacteurs nucléaires « en altitude » au bord d’une mer montante et sur une zone exposée aux risques de submersion pourrait isoler régulièrement la centrale sur son promontoire, en faisant une île, avec tous les risques que cette situation implique pour son fonctionnement, la sûreté nucléaire, la population et l’environnement. »
  • « L’actuelle centrale nucléaire de Gravelines, conçue pour être isolée sous forme d’une île, est ceinturée d’une barrière de protection contre les inondations et les risques de submersion. EDF, qui a la lourde tâche d’assurer la protection des six réacteurs existants face au risque de submersion, a déjà rehaussé plusieurs fois ces digues. »
  • « Ce projet fait actuellement l’objet d’un débat public alors qu’aucune étude ou analyse de risque sur la vulnérabilité des EPR2 aux effets du dérèglement climatique ni sur la vulnérabilité du site de Gravelines concernant leur implantation n’a été communiquée publiquement. »

   Le rapport de Greenpeace se conclut par des recommandations en 3 points :

Le rapport de Greenpeace se conclut par des recommandations en 3 points :

  • Qu’EDF renonce à la construction de 2 nouveaux EPR sur le site de Gravelines
  • Qu’avant tout chantier l’ASN et les acteurs de la sureté nucléaire exigent une étude pluridisciplinaire indépendante sur la vulnérabilité des nouveaux réacteurs et les risques encourus face au changement climatique. Les conclusions de cette étude devant conditionner la réalisation ou non du projet de construction des réacteurs.
  • Que l’ASN et toutes les institutions administratives gouvernementales ou locale mettent leurs règlementations à jour en fonction de l’avancée des connaissances scientifiques liées à l’évolution du climat.

Le cadre physique du projet de Gravelines

Ce projet de construction des 2 EPR2 serait réalisé sur une zone qui abrite déjà une centrale nucléaire (cela permettrait d’économiser certaines études préalables d’impact et donc d’accélérer la mise en œuvre du projet. La centrale actuelle abrite 6 réacteurs de 900 MW en état de fonctionnement. Un mur d’enceinte réalisé récemment est censé protéger ces réacteurs contre le risque de submersion. L’ensemble de la zone entourant la centrale est un vaste polder de 100.000 ha et le site de la centrale est classé TRI (Territoire à Risque important d’Inondation) conformément à la directive européenne inondations (référence n° 2007/60/CE du 23 octobre 2007).

   C’est sur ce territoire et dans le périmètre de la centrale actuelle que, selon EDF, seraient implantés les 2 EPR2. Pour cela une sorte d’ile artificielle constituée d’une plateforme en béton surmontant de 11 mètres le niveau actuel (ngf) de la mer (1) serait construite pour renforcer le banc de sable d’assise et protéger les installations contre les inondations…

 

   Le projet de construction des nouveaux EPR porte surtout attention à la construction des réacteurs en matière de sûreté des installations, mais fait peu de cas des conditions environnementales au point que dans un rapport réalisé en 2022 (*) et intitulé : -Travaux relatifs au nouveau nucléaire : PPE 2019/2028- le gouvernement notait :
« Certains risques identifiables ne sont toutefois pas intégrés dans le chiffrage d’EDF, notamment les aléas suivants, et devront faire l’objet d’un suivi particulier :
[…]
des évènements climatiques et météorologiques très perturbants (inondations, intempéries, canicules, vagues de froid) ainsi que le risque pandémique, ou plus généralement de situation de crise systémique, qui peuvent être particulièrement préjudiciables à un chantier nucléaire en raison du haut niveau de co-activité sur site »…

   Le dossier de construction des nouveaux EPR2 repose sur des arguments et des données qui restent à étoffer et à préciser faute d’être actuellement convaincantes. Il est vrai que le plan de relance du nucléaire, semble être plus le fait du Prince que le résultat d’une démarche murement réfléchie. Il est d’autant plus important que le public s’en mêle. Mais dans la mesure où les procédures de participation établies par nos gouvernants, semblent plus relever de la communication que de l’information : l’action d’ONG comme « Greenpeace », ou d’associations comme « Sortir du Nucléaire » n’en est que plus nécessaire.

Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/10/2024

 

 

(*) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/2022.02.18_Rapport_nucleaire.pdf

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Notes
  1. ndlr : le mur de protection de la centrale de Fukushima de 14 m de hauteur avait été submergé[]
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