Le feuilleton TDN n’est pas terminé, il faut attendre les prochains épisodes pour en connaître le dénouement que vous contribuerez à écrire avec nous.
Communiqué des associations RUBRESUS et COL.E.R.E
Le méga-incinérateur de déchets radioactifs nitratés à Narbonne légalisé : la transition écologique en marche, … en moonwalk !
Voilà 8 années que le projet de méga-incinérateur de déchets radioactifs nitratés TDN à Narbonne-Malvési se heurte à la mobilisation de la population et des associations RUBRESUS et COL.E.R.E. Grâce au recours en annulation de l’autorisation préfectorale devant la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Marseille par nos deux associations, le projet TDN est resté dans les cartons.
Le jugement du 13 mai 2024 a légalisé l’autorisation d’exploitation que la CAA avait suspendue le 3 octobre 2022 pour cause d’irrégularités. Nous apportons ci-dessous notre éclairage sur le labyrinthe judiciaire de dossiers complexes et de décisions à géométrie variable du mythe au THOR TDN, ainsi que les perspectives d’actions pour trouver une issue favorable à nos/vos attentes.
Un petit pas en avant en 2022 …
Dans ses arrêts du 21 octobre 2022, la Cour Administrative d’Appel de Marseille avait retenu plusieurs irrégularités soulevées par notre cabinet d’avocats, Atmos Avocats, Paris. Par jugement de sursoir à statuer, la CAA avait suspendu
l’autorisation d’exploitation du 8 novembre 2017 et imposé une nouvelle enquête publique en demandant au préfet de régulariser les vices avérés. La CAA avait notamment retenu les irrégularités :
- Insuffisance de l’état de pollution des sols du site dont les analyses s’avéraient trop anciennes (années 2000) et disparates. La Cour a demandé la mise à jour des analyses de sols sur l’ensemble du site Malvési, car l’autorisation concernait l’ensemble des activités du
- Insuffisance de l’étude d’impact à propos du devenir des déchets produits
par l’incinérateur TDN (stockage, élimination)
- Illégalité de l’avis de l’Autorité Environnementale qui n’avait pas respecté l’indépendance entre services instructeurs puisqu’une même personne avait émis à la fois l’avis pour le préfet de région et l’avis pour le préfet de l’Aude, alors que des avis séparés sont expressément demandés selon le code de l’environnement.
Un délai de 12 mois avait été accordé par le tribunal pour la réalisation d’une nouvelle enquête publique avec consultation de la population et la présentation devant la Cour des éléments de régularisation des vices constatés.
Ce jugement semblait préjuger d’une forme d’indépendance de la part de la Cour et attestait du bien fondé et de la pertinence de notre recours.
… Et deux pas en arrière au jugement final
En audience le 12 avril 2024, le rapporteur public a constaté qu’aucune nouvelle analyse de sols n’avait été réalisée dans le délai accordé. Il envisageait alors de repousser la régularisation via un arrêté préfectoral complémentaire soumettant la construction de TDN à des analyses des sols préalables.
Mais le jugement rendu en délibéré le 13 mai 2024 a affiché un surprenant revirement puisqu’il a trouvé que les données présentées par le préfet, pourtant incomplètes et non actualisées, étaient soudainement satisfaisantes.
Pareillement, l’irrégularité soulevée quant à l’insuffisance de l’étude d’impact sur les déchets produits par l’incinérateur a été régularisée car, aux yeux du tribunal, les promesses sur la gestion du stockage et sur la destination finale des déchets l’ont convaincu.
Bien que le nouvel avis de l’Autorité Environnementale ait montré une analyse plus indépendante et objective en soulignant les incertitudes sur le procédé et ses impacts, le tribunal a pris acte de la régularisation de la troisième irrégularité, sans se soucier des réserves de cette autorité.
Alors que la Cour d’Appel a imposé une nouvelle enquête publique, elle en a totalement ignoré dans son jugement de 2024 les résultats de la consultation du public de juin 2023 qui a vu une mobilisation exceptionnelle de la population avec plus de 500 contributions de citoyens rejetant à 92% le projet d’incinérateur TDN. A quoi bon demander une nouvelle enquête publique pour la mettre ensuite sous le tapis ?
Malgré un faisceau d’éléments sur la non-fiabilité du procédé TDN que le commissaire enquêteur a exprimés par des réserves accompagnées de doutes sur l’expertise controversée du procédé par M. Bernier, le tribunal a gobé les allégations sur la robustesse et l’absence d’impacts de l’incinérateur. Il s’est notamment fourvoyé en s’appuyant sur la thèse fallacieuse des essais pilotes (page 6 du jugement). Or, ces essais pilotes n’ont pas été réalisés avec les effluents réels radioactifs nitratés des bassins à traiter, mais seulement avec une solution modèle nitratée. Dommage que le tribunal n’ait pas vérifiée cette pièce pourtant versée au dossier. L’absence de résultats réels sur la radioactivité des rejets gazeux des essais pilotes constitue une grave lacune. Une autre regrettable méprise des magistrats est leur aveugle crédit porté à l’expertise du procédé de M. Bernier, collaborateur de la filière nucléaire, commanditée par le préfet. Or, le commissaire enquêteur a exprimé ses plus expresses réserves sur la qualité et l’ancienneté de l’expertise et a demandé qu’une commission d’experts indépendants soit diligentée. Faisant fi du principe de précaution, le jugement de la Cour Administrative d’Appel a entériné l’autorisation d’un méga-incinérateur expérimental pour brûler un stock historique de 350 000 m3 de déchets radioactifs nitratés (accumulés en 60 ans) au sein d’une population cobaye de 50 000 habitants dans un rayon de 5 km, avec un procédé jamais mis en œuvre en Europe, qui n’a pas fait ses preuves avec les effluents des bassins de Malvési ni avec l’installation américaine de la société conceptrice du procédé. Les juges n’ont pas acquis de preuve de la fiabilité du traitement TDN. Dans le doute, ils se contentent d’essais préalables avec l’incinérateur et les déchets des bassins … jusqu’à ce que les résultats soient conformes, sans durée limite : un an, dix ans, … ? Qu’adviendra-t-il si TDN ne fonctionne pas ? Cela ressemble à un coup de poker à cent millions €, un Flamanville ou un Idaho II.
La durée prévue du traitement TDN des bassins est d’une quarantaine d’années, sans compter les périodes de mise au point et de corrections des dysfonctionnements éventuels. C’est dire que plusieurs générations de narbonnais n’échapperont pas à la vapeur d’eau TDN fortifiée en oxydes d’azote, en produits de combustion de charbon, en particules fines radioactives, … La légalité de l’incinérateur TDN décidée par le tribunal offrira-t-elle une protection à la population vis-à-vis des impacts et dysfonctionnements éventuels, alors qu’elle est déjà fragilisée avec une sur-représentation record de cancers du poumon ?
L’instruction du recours a fait l’objet d’écritures particulièrement denses et approfondies de notre part. Nous remercions ici la qualité et la perspicacité des requêtes et mémoires préparés par le cabinet d’avocats Atmos Avocats, l’un des premiers cabinets d’avocats en droit de l’environnement. Malgré tous les éléments présentés, le jugement final a penché en faveur de l’Etat Français, actionnaire à 90% de l’opérateur nucléaire. Les tout premiers mots du rapporteur public à l’audience du 12 avril annonçaient d’ailleurs la couleur en soulignant la place prioritaire de l’énergie nucléaire pour notre pays. Cette prise de position politique nous a quelque peu surpris de la part d’un magistrat, car décalée du recours envers l’autorisation préfectorale d’un incinérateur expérimental, unique exemplaire en Europe, de déchets radioactifs nitratés au cœur d’une communauté d’agglomérations, dont l’annulation ne remettrait pas en cause la filière nucléaire. On aurait apprécié que les magistrats énoncent plutôt leur souci de protection de l’environnement et de la santé des citoyens exposés aux impacts de cette filière et de cet incinérateur.
D’erreur en méprise, d’incompréhension en crédulité, la légalisation de l’autorisation de l’incinérateur nous donne un sentiment de déni judiciaire, de justice du « en même temps ». Il n’y a pas deux perdants dans ce jugement, mais les milliers d’habitants du Narbonnais qui respireront à perpétuité l’échappement des vapeurs du prototype douteux d’incinérateur des déchets radioactifs nitratés de la filière nucléaire française.
Et maintenant ?
L’examen approfondi des aspects juridiques, techniques et environnementaux de notre recours a mis en lumière les nombreuses fragilités, lacunes, insuffisances, contradictions et contre-vérités de l’autorisation de l’incinérateur TDN. Nous ne comptons pas bien évidemment capituler et nous poursuivrons la contestation de l’autorisation de cet incinérateur comme nous le faisons depuis 2016.
Nous avons d’ores et déjà engagé un recours devant le Conseil d’État concernant l’arrêt du 21 octobre 2022 de la Cour Administrative d’Appel. Les modalités de régularisation des irrégularités fixées par le tribunal y sont notamment contestées.
D’autre part, les vices retenus par la Cour d’Appel n’ayant pas été intégralement régularisés, nous envisageons également de saisir le Conseil d’État à propos du jugement de la CAA du 13 mai 2024. A l’instar de la Cour d’Appel qui a fusionné dans son jugement les recours respectifs des associations RUBRESUS/COLERE et de l’association TCNA, les 3 associations narbonnaises examinent la perspective d’un recours commun devant le Conseil d’État.
Parallèlement au volet juridique, RUBRESUS et COL.E.R.E poursuivront leurs actions pour la protection de l’environnement de notre territoire et de la santé environnementale des populations. Si, de mauvaise aventure, le projet d’incinérateur TDN devait voir le jour, ce qui est encore loin d’être le cas, nous serons vigilants sur les modalités de contrôle, le suivi des essais, l’analyse des dysfonctionnements ainsi que les résultats et impacts des rejets de l’incinérateur prototype TDN.
La récente création de l’Institut écocitoyen en santé environnementale de l’Aude (IECSEA) pourrait enfin permettre de se pencher, dans ses premières préoccupations, sur l’état sanitaire de la population du narbonnais laissée pour compte en étant exposée depuis 60 ans aux rejets des activités de purification à Narbonne de 500 000 tonnes d’uranium avec des centaines de milliers de tonnes d’acide nitrique et d’acide fluorhydrique dans des fours à très hautes températures émanant des cocktails de polluants chimiques et de substances uranifères.