Les retraités au secours de la dette

Dans le contexte économique actuel, les retraités ont un rôle qui ne peut  être réduit à la simple consommation de biens et de services.

Un exemple de la contribution du politique à la dissolution du lien social

 

retraité Image par Clker-Free-Vector-Images de Pixabay

Il y a cette dette dont le gouvernement de droite néolibéral, conduit par Michel Barnier, vient de découvrir qu’elle est plus dramatique qu’annoncé par le gouvernement de droite néolibéral qu’elle remplace. Entre 2017 et 2024, pendant les 7 ans qui ont précédé cette « découverte », le président Macron et son ministre des finances Bruno Le Maire ont réussi à augmenter la dette française de près de 1000 milliards d’euros (1) tout en conduisant une politique d’austérité visant à la réduire. Cette politique d’austérité visait à faire passer notre déficit en-dessous des 3% du PIB, le fameux mantra européen qui fixe une des bases de la bonne conduite économique des pays membres. Nous allions y parvenir selon les proclamations de notre ministre des finances ″sauveur de l’économie française″, qui annonçait fin 2023 un déficit 2024 prévu à 4,4% du PIB, mais qui passerait en dessous des fatidiques 3% en 2029 !
Patatras ! Quelques mois plus tard, M. Barnier et son gouvernement découvrent que le déficit à fin 2024 est désormais estimé à 6,1 % du PIB….

Pourquoi de ce bond en avant du déficit ? La faute à qui ?

Ainsi, la politique de réduction de la dette s’avère être un échec. Dans notre régime présidentiel, le président de la République qui définit et conduit la politique du pays et son ministre des finances qui l’exécute ne peuvent se défausser de cette responsabilité. Pourtant, au cours des 7 années d’exercice du pouvoir, ils avaient mis en œuvre tous les ressorts de la doxa néolibérale dont ils se réclamaient.  Il fallait transformer le modèle de solidarité français qui coûtait « un pognon de dingue » et affaiblissait notre ″compétitivité″. Pour ce faire, il s’agissait pour l’État de réduire le financement des services publics en substituant à leur pléthore inefficace, une rationalité économe mais efficiente, définie à l’aide de cabinets de conseil privés, voire de privatiser carrément certains services publics. L’argent ainsi économisé serait d’une part, affecté à la réduction de la dette et d’autre part employé au soutien des entreprises prometteuses de croissance.

Pourtant ça n’a pas marché, ce qui pose la question du pourquoi de cet échec.
Y répondre impliquait le recours à 2 modes d’explications :

  • La méthode employée pour réduire la dette n’est pas la bonne…
  • La méthode est bonne, mais elle a été mal exécutée…

On aurait dû, avec un peu de logique, écarter la seconde explication, puisque les comptes de la France sont en rouge depuis 1975, c’est-à-dire au moment de la 1ère crise pétrolière, époque où finissent les ″30 glorieuses″ et où se développe le néo-libéralisme français, sous la présidence de Giscard d’Estaing. Ce développement sera continu jusqu’à nos jours, à quelques ralentissements et aménagements près…

49 ans d’une gouvernance inspirée du même modèle économique néolibéral, 49 ans d’austérité et d’attrition de l’État-providence et pourtant il reste cette dette qui ne se réduit pas mais qui empire. Il y avait de quoi remettre en question le modèle : il n’en a rien été ! Pour nos politiciens de droite l’explication est simple : si ça n’a pas marché c’est parce qu’on n’a pas été assez loin dans la politique d’austérité et d’attrition des services publics.

Il n’y a pas d’autre option : on continue la même politique (2) E Macron vexé du résultat des législatives de 2024 ne peut admettre une défaite qui le remette en question. Il installe alors, en manœuvrant les institutions de la Vème République, un gouvernement d’extrême-centre, chargé de poursuivre ses propres orientations politiques tout en les renforçant.

Mais où et comment trouver des sous dans un pays déjà fortement saigné ?
Michel Barnier, réputé fin négociateur du Brexit, mais en situation précaire car sans majorité politique, va devoir trouver de quoi réduire l’endettement sans être renversé par le Parlement. Cette situation délicate, voire impossible, le conduit à toutes sortes de bricolages budgétaires qui passent par des économies de dotations, des recours à la fiscalité plus ou moins timides, ou à l’invention de ressources comme les contributions par le travail gratuit (3), etc….

C’est alors que les retraités apparaissent à nos gouvernants comme un gisement de revenus à exploiter.
Ils s’appuient sur diverses études qui montrent que le niveau de vie des retraités est supérieur à celui de l’ensemble des français, surtout par rapport à ceux qui travaillent.  (4). Et puis puis les médias en appui à nos gouvernants d’extrême-centre s’en mêlent : quel scandale ces inactifs qui gagnent plus que les actifs !
Dès lors nos gouvernants s’emploient à trouver comment ponctionner les retraités sans trop fâcher cet électorat qui leur est habituellement favorable, tandis que les partis de gauche s’insurgent contre le principe même de cette ponction et que l’extrême droite voit dans la défense des retraités le moyen d’augmenter sa popularité et d’agrandir son électorat.

L’idée du gouvernement d’extrême-centre de ponctionner les retraités n’est pas seulement un rejet de plus du principe de solidarité initié par le CNR, mais elle est aussi caractéristique des limites de la pensée politique néolibérale.
Dans leurs arguments nos gouvernants s’appuient sur un raisonnement élémentaire purement comptable : ″il y a un trou à combler dans le budget, donc on va chercher l’argent là où il y en a″…
En supposant que les études faites sur le niveau de vie des Français soient exactes, on ne saurait en matière de politique économique, baser la décision politique sur le seul critère comptable.  La question fondamentale est de savoir ce que font les Français de l’argent dont ils disposent.

Or, dans le contexte économique actuel, les retraités ont un rôle qui ne peut  être réduit à la simple consommation de biens et de services.
Les retraités sont des agents économiques qui contribuent, selon leurs moyens et capacités, à la richesse créée :

  • Engagés dans le monde associatif, ils gèrent ou contribuent bénévolement à la gestion et au fonctionnement de structures à caractère économique, social, culturel, sportifs, etc. qui parfois se substituent à des services publics disparus…
  • Ils soutiennent leur entourage en contribuant financièrement ou matériellement à leurs frais d’étude, leur problèmes de logement, leurs frais d’installation professionnelle, etc.
  • Ils constituent une main d’œuvre bénévole, dans le cadre d’échanges de services (bricolage, dépannage, gardiennage, etc.) qui ne pourraient être assurés dans un contexte marchand.
  • Ils contribuent par leurs dons au financement de structures et d’actions d’intérêt public.

Ainsi les retraités développent des activités non marchandes qui, malgré les préconisations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009,) ne sont toujours pas prises en compte et étudiées au moyen d’indicateurs appropriés. Comment, dans de telles conditions, nos gouvernants peuvent-ils envisager de toucher aux retraites et aux revenus des retraités, alors qu’ils sont dans l’incapacité de mesurer les conditions économiques, sociales et culturelles d’une telle décision ?
Cette courte vue de nos gouvernants néolibéraux, empêtrés dans le primat des questions comptables, semble s’être étendue à tout le champ du politique, qu’il s’agisse de l’environnement, de l’énergie, de l’enseignement, de la santé publique, de la sécurité publique, des transports, de la diplomatie, etc. Il en résulte des incohérences, voire des contradictions dans les actions mises en œuvre et surtout une incapacité à conduire des projets impliquant le long terme. Cela alimente une perte de confiance générale qui touche autant les citoyens que les acteurs économiques et qui, in fine, remet en question la légitimité de nos gouvernants.

Continuer à gouverner en voulant à tout prix maintenir le modèle néolibéral, élargit le fossé entre les citoyens et leurs représentants. Ces derniers sont alors tentés lorsqu’ils sont au pouvoir de s’affranchir de l’État de droit par toutes sortes d’artifices.  Alors s’installe une démocratie illibérale, prélude à toutes sortes de violences.

 

Hubert Reys pour le Clairon de l’atax le 19/11/2024

 

senior-woman-(Image par Ivana Tomášková de Pixabay)

 

_______________________
Notes
  1. de 2 281 milliards à plus de 3 200 milliards d’euros[]
  2. cf : le « There is no alternative » prononcé par Margaret Thatcher égérie historique du néolibéralisme européen[]
  3. cf. : dans le cas de la dette de la sécurité sociale[]
  4. ndlr : cf. le document de travail 2023 N°2 du COR « qui n’engage pas le Conseil » (sic) mais qui constate « Avec 2 132 euros mensuels, contre 2 099 euros mensuels pour les actifs, les retraités ont un niveau de vie 1,5 % plus élevé que celui de l’ensemble de la population en 2019 » ; https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-02/Doc_02_Niveau_vie.pdf []
_______________________

Laisser un commentaire