Drôle de brochette (image par John Hain, David Roose, Дмитрий Осипенко de Pixabay)
Nous vivons incontestablement une situation de crise : crise politique, crise économique, crise sociale. Cette crise dépasse largement le cadre français, elle est mondiale. Elle semble plus grave dans les pays dits « avancés », réputés pour la situation prééminente de leurs économies. Dans ces pays-là, on assiste à un bouleversement des institutions sous la pression des grands acteurs économiques. Ceux-ci font intrusion dans le champ du politique afin de mettre en place des modes de gouvernance plus propices à la satisfaction de leurs intérêts particuliers.
En France cela a conduit depuis les élections de 2017, à un certain remplacement du personnel politique habituel, au profit de nouveaux arrivants, censés avoir été choisis pour leurs ″compétences″ et leur ″expertise″, mais aussi plus discrètement pour leur engagement à défendre les intérêts particuliers du grand capital. (1)
Ces nouveaux arrivants, n’ont souvent pas fait l’expérience d’un mandat représentatif, réputé fort utile à la compréhension d’un exercice démocratique du pouvoir. Cela contribue à établir chez eux une vision superficielle, parfois faussée, sinon péjorative de leurs concitoyens, qu’ils croient connaître en se basant sur des informations abstraites et technocratiques
Alors, plutôt que d’essayer d’entreprendre un vrai dialogue avec les citoyens, la communication de la classe politique au pouvoir développe un système pervers qui mime plus qu’il ne pratique un exercice démocratique du pouvoir (Par exemple : les Cahiers de doléances, la Convention citoyenne pour le climat, les diverses consultations publiques ″ pour la forme″ aux résultats pas ou peu exploités, etc.).
En même temps, une communication massive, diffusée par les médias publics ou par les grands médias privés détenus par l’oligarchie financières, sélectionne et formate l’information diffusée pour obtenir l’adhésion de l’opinion ou à défaut sa passivité ou sa résignation face aux politiques gouvernementales.
Malgré ce conditionnement permanent, la réalité dément les promesses des politiques et les attentes des citoyens : la France n’avance plus, elle régresse. La croissance stagne, les inégalités sociales ne cessent de croître, la cohésion sociale se délite, les services à la population se dégradent, l’endettement s’accroit, la crise environnementale n’est pas traitée à la mesure des enjeux, etc…De plus, la capacité du système politique à arbitrer entre les intérêts particuliers des différentes composantes de la société au profit de l’intérêt général est remise en cause par le constat que seuls les plus riches semblent encore et toujours retirer leur épingle du jeu (2).
Cette évolution qui s’est encore renforcée sous la gouvernance Macron, a créé de l’inquiétude et de la défiance vis à vis de la classe politique en général. Celle-ci est alors contrainte à l’emploi de toutes sortes de subterfuges, voire de malhonnêtetés, pour justifier son action, son utilité et le cas échéant, accéder au pouvoir ou le conserver. (Ainsi la France a reculé dans le classement de l’indice de perception de la corruption IPC 2024 établi par Transparency International : scorée à 67/100, elle passe de la 20ème à la 25ème place mondiale, son niveau le plus bas depuis la création de l’indice ne 1995).
Pourquoi s’acharner à maintenir un système politique qui ne marche pas ?
Un courant idéologique s’est développé concomitamment à l’industrialisation des sociétés occidentales, il pèse plus que jamais sur l’action politique des sociétés occidentales. Il s’agit des thèses néo-libérales déclinées en France, avec plus ou moins de vigueur et de talent, par un large éventail politique allant de la gauche sociale-démocrate à une partie de l’extrême droite. Schématiquement l’idée force de la pensée néo-libérale est que plus l’activité humaine est contrainte par des règlementations et des lois, moins elle est féconde et productive. Il s’agit donc de limiter, voire de supprimer le rôle de l’État et donc les contraintes que celui-ci fait peser sur l’activité économique, qu’il s’agisse de services ou de production de bien. En revanche le fonctionnement concurrentiel d’un marché libre et non faussé, où s’articulent offre et demande, est censé aboutir naturellement à de meilleures performances que celles d’une économie administrée par un État.
De plus, pour certains acteurs économiques, la financiarisation de l’économie a abouti à des fluctuations rapides des marchés, notamment avec le trading haute fréquence, qui deviennent incompatibles avec la temporalité nécessaire à l’action politique. Dans un tel contexte l’État ne peut ni ne doit réguler l’économie.
Le néo-libéralisme : une imposture intellectuelle et une aberration économique ?
Ce type de représentation fort discutable du fonctionnement de l’économie, réduite pour l’essentiel au jeu du marché, sous-tend un rapport de forces qui perdure depuis plus de 2 siècles et accompagne l’industrialisation de nos sociétés : il s’agit de l’affrontement entre capitalisme et démocratie. L’aspiration des sociétés humaines au « mieux vivre » se heurte à la recherche de profit.
Le capitalisme vit la démocratie comme une contrainte qui limite le profit, alors que la démocratie lui a fixé le cadre dans lequel il a pu produire des biens et des services qui ont à la fois amélioré les conditions de vie et généré du profit. L’encadrement du capitalisme par l’État a longtemps favorisé cet équilibre entre amélioration des conditions de vie et croissance raisonnable du profit. Mais en France, ce fonctionnement administré de l’économie a été progressivement déstabilisé à partir des années 1980, par l’essor de la mondialisation. (3). Alors débute une longue période de privatisation des entreprises publiques et d’attrition des services publics. Désormais la recherche de profit se fait au détriment du bien être avec comme seule consolation proposée au peuple, l’assurance que l’enrichissement des riches ″ruissèlerait″ nécessairement sur l’ensemble de la société.
Malgré cela, le fonctionnement de l’économie française se détériore année après année : les budgets successifs sont en déséquilibre tandis que la dette augmente.
En 1999 Lionel Jospin, 1er ministre d’un gouvernement socialiste de cohabitation constate à l’occasion de licenciements chez Michelin : « nous ne vivons plus dans une économie administrée ». Désormais les gouvernements qui se succèdent en France seront de plus en plus inféodés au pouvoir économique, quelles que soient ses performances.
Or ces performances restent médiocres, en dehors de quelques fleurons sauvés de la désindustrialisation. L’activité économique ne crée pas la croissance des profits attendue par le grand capital. Alors, en l’absence de performances industrielles compétitives, la politique de l’offre menée par les gouvernements successifs renforcera la réduction des coûts sociaux du travail, associée à l’augmentation des soutiens financiers aux entreprises.
Mais ni cette politique de soutien aux entreprises, menée depuis une vingtaine d’années par les gouvernements successifs, ni la réduction progressive des services publics, ni la sape du modèle social (retraites, sécurité sociale, école, etc.) inspirés par la doxa néo-libérale n’ont abouti aux résultats escomptés.
Ces échecs répétés fâchent le capitalisme régnant. Mais par qui, par quoi, remplacer ces opérateurs politiques inefficaces ? Le macronisme si prometteur a failli à sa mission de démontage de l’État providence et du modèle social français ; de son côté la droite traditionnelle, divisée, ne semble pas en mesure de reprendre ce rôle d’opérateur politique du grand capital, tandis que la gauche social-libérale n’est pas stabilisée : alors pourquoi ne pas s’inspirer du grand frère américain !
L’État de droit emprisonne dans ses filets les entrepreneurs créateurs de richesses, tout comme Gulliver chez les lilliputiens : il faut donc le réduire, voire le supprimer. Trump, Musk & Co ont raison : il faut employer la méthode forte et liquider une fois pour toutes ce fonctionnement démocratique qui fait obstacle au profit dans ces vieux pays qui coûtent un pognon de dingue à protéger ! Il y a justement en Europe des partis d’extrême droite dont les idées simples et justes convergent avec les leurs : il faut les aider à accéder au pouvoir ! Alors pourquoi pas en France, le Rassemblement National désormais dédiabolisé, qui a su capter la confiance populaire tout en servant le grand capital par ses votes au parlement ?
La situation de crise actuellement en cours, en France comme dans le monde, ne semble pas en voie de résolution, bien au contraire. Dans les pays occidentaux l’évolution du capitalisme a conduit à un asservissement du politique par la finance et les gouvernements des états occidentaux semblent voués à n’être plus que des opérateurs des intérêts du grand capital. Cette situation pèse sur les populations, impacte leurs modes de vie et provoque un accroissement général de la pauvreté. En réaction la cohésion sociale se délite, les conflits sociaux se multiplient, la résistance au pouvoir politique et la désobéissance civile se développent et contestent les politiques menées. En réponse les gouvernements recourent à des mesures de plus en plus coercitives et liberticides. Alors les états tendent à se transformer en démocraties illibérales, autoritaires centralisées, discriminantes et génératrices de conflits de plus en plus violents…
No Trump (Image par John Hain de Pixabay)
Qu’espérer alors, si ce n’est que l’issue d’un de ces confits mette à bas ce capitalisme débridé et mortifère et initie un retour à des institutions démocratiques fonctionnelles.
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 20/02/2024
Notes
- Ndlr : ce qui a valu au président. Macron le titre de « président des très riches » décerné par l’ancien président Hollande, lui-même grand ennemi de la finance[↩]
- ndlr : en 2024 la fortune cumulée des 500 ménages les plus riches atteint 1228 milliards € soit + 5 % par rapport à 2023 (source « Challenges »)[↩]
- ndlr : de nouveaux acteurs économiques sont apparus, suite à la crise pétrolière de 1973, accélérant la mondialisation de l’économie[↩]