Les voutes du Panthéon de Paris (Image par Søren Laursen de Pixabay)
Ça Panthéonise sec sous Macron ! Étrange empressement pour un président qui s’est voulu tourné ardemment vers l’avenir, en rupture, inlassable promoteur d’une start-up nation en route vers un futur radieux…
Sous sa présidence, Simone Veil en 2018, Maurice Genevoix en 2020, Joséphine Baker en 2021, Missak et Mélinée Manouchian aujourd’hui et bientôt Robert Badinter sont entrés ou vont enter au Panthéon.
Mais que signifie cette tradition politique d’inhumer dans cet édifice une personnalité considérée comme exemplaire ?
C’est le 4 avril 1781 que l’Assemblée Nationale institue par décret le Panthéon en ″Temple de la République″ qui abritera les sépultures de personnalités aux caractéristiques remarquables, ainsi définies : « Il ne suffit pas d’une action, fût-elle la plus sublime de toute, c’est par une longue suite de pensées, d’actions, et d’ouvrages, c’est en quelque sorte par toute une vie d’homme, conçue et exécutée sur des grandes vues qu’on mérite le titre de grand homme ».
Nul doute que tous ces personnages panthéonisés sous Macron méritent largement leur place dans cette enceinte sacrée. Mais quel est le sens de ce rythme accéléré mené par ce président qui se revendique ″disruptif″ ?
La sacralisation au secours du manque de légitimité
La sacralisation est un moyen employé depuis la plus haute antiquité pour reconnaître, ou conforter la légitimité d’un pouvoir politique. Si elle correspondait autrefois à des mises en scènes spectaculaires qui s’appuyaient sur des croyances spirituelles ou religieuses (1) elle est devenue avec le temps plus sobre dans son expression, du moins dans les pays démocratiques. Mais elle reste encore spectaculaire dans beaucoup de systèmes autocratiques où se pose la question de la légitimité de celui qui gouverne et qui est censé incarner la nation. A chaque autocrate son spectacle promotionnel (2)
« Le médium est le message »
Selon l’universitaire canadien Marshall MacLuhan, théoricien des systèmes de communication et auteur de cette formule, la manière et le moyen par lesquels un message est transmis comptent plus que le message lui-même. Autrement dit, le spectacle peut mobiliser l’attention au détriment de la raison. C’est ce que pratiquent les autorités politiques et spirituelles depuis que l’homme a fait société : elles construisent des temples et des palais, des cathédrales et des basiliques, des palais du Peuple et des Temples de la République qui servent de décors favorables à la mise en scène de spectacles ritualisés. C’est aussi, de nos jours, le rôle prééminent donné à l’image par certains médias de propagande et de formatage, sous prétexte d’information “objective” du public.
Pour autant toute sacralisation n’est pas toxique pour la raison. Elle peut au contraire la stimuler, par exemple lorsqu’elle accompagne ou souligne des vertus universelles, respectueuses des droits de l’homme.
(On peut ainsi considérer que c’est le sens qu’à voulu donner François Mitterrand, élu en 1981 président de la République française, lorsqu’il est entré seul une rose à la main dans le Panthéon.)
Qui décide et qui choisit les panthéonisés ?
Le choix est fait par le président de la République. Il n’existe aucun texte de loi pour le prescrire, mais c’est une pratique qui s’est installée au cours de la Vème République. Les candidatures sont proposées de façon informelle, sans procédure préétablie, par toutes sortes d’assemblées ou d’organisations, formelles ou non, et c’est in fine le président de la République qui tranche.
Le caractère spectaculaire de la Panthéonisation peut permettre au président de la République de faire passer aux Françaises et aux Français des messages avec plus de force et d’impact que ne le feraient les moyens habituels de communication politique.
Celui qui accueille le personnage panthéonisé dans le Temple de la République est auréolé aux yeux de l’opinion des vertus que l’on prête à ce lieu et à la personne qui y fait son entrée.
Or E. Macron, réélu légalement président de la République par les suffrages d’une minorité de français, mène depuis 2022 une politique contraire aux aspirations d’une majorité de français en employant toutes sortes d’artifices. En conséquence, un fort désenchantement s’est installé au sein de l’opinion envers celui qui s’était fait valoir en 2017 comme “la solution” à la décomposition politique des vieux partis. Aujourd’hui, malgré toutes les gesticulations de la macronie, où les paroles et les actes semblent suivre parfois des chemins contradictoires et alors que les effets de la politique néo-libérale poursuivie avec acharnement se font toujours attendre, les sondages placent la macronie au plus bas, derrière le Rassemblement National (3).
Compte tenu du contexte politique actuel, la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian constitue une occasion pour E. Macron de retrouver un peu de lustre et de redorer son blason de président.
Une opération de “com” réussie ?
Dans un grand geste mémoriel exécuté par E. Macron, celui-ci a accueilli en citant Aragon au seuil du Temple de la République et en célébrant les vertus issues des Lumières, les cercueils des résistants communistes Missak et Mélinée Manouchian, icônes selon lui de « cette internationale de la liberté ». La macronie entend ainsi témoigner : « de la reconnaissance de la Nation pour les étrangers qui ont choisi de se battre au nom d’une France libre » (4) !
«Dans le même temps » le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin fomente le projet, actuellement inconstitutionnel, de supprimer le droit du sol à Mayotte pour les enfants des étrangers nés sur l’ile, tandis que le parlement vient de voter le 24 janvier 2024 le durcissement des conditions d’accueil des immigrés sur le territoire national.
Étranges distorsions dont l’efficacité ne semble pas établie !
Malgré toutes ces contorsions politiques qui visent à couper l’herbe sous le pied du Rassemblement National et à attirer son électorat en reprenant certaines de ses idées, ce qui apparait surtout c’est la naïveté de cette stratégie. Loin d’attirer une partie de l’électorat d’extrême droite, cette tactique tend à renforcer la légitimation du RN au sein de son électorat ! De plus l’opération de ″com″ tentée par E. Macron est d’autant plus ratée que la présence de Marine Le Pen et de Jordan Bardella à cette cérémonie et dans ce lieu qui concentre symboliquement toutes les vertus de la République, conforte leur respectabilité !
Contradictions, perte de sens que reste-t-il au marcionisme en l’absence de toute cohérence politique ? La communication !
Comment dans de telles conditions garder la confiance du grand capital ?
Et si l’on cessait de dériver dans un système politique ou se succèdent des roitelets plus ou moins médiocres mais tous aussi prétentieux. Il est urgent de refonder la République : à quand une Assemblée Constituante aux membres tirés au sort ?
Hubert Reys pour le Clairon de l’Atax le 20/02/24, texte révisé le 21/02/24
Notes
- cf. : Sacre des rois de France à la cathédrale de Reims, puis à la basilique de Saint Denis, sacre de Napoléon Bonaparte à Notre Dame[↩]
- cf. : Hitler et les congrès de Nuremberg, les premiers secrétaires du PC de l’URSS et les défilés de la Place rouge, le chah Mohammad Reza Pahlavi et le camp de Persépolis, XI Jinping à la tribune du Palais du peuple, Kim Jong-un consacré par le congrès 2016 du Parti des travailleurs de Corée…[↩]
- Sondage européennes Elabe du 10 février 2024[↩]
- selon la communication du ministère des armées[↩]