Depuis son accès à la présidence de la République, E. Macron a recouru en plusieurs occasions à l’emploi de paroles performatives (1). Ainsi la France allait devenir une ″start-up nation″ où de nombreuses licornes galoperaient dans les verts pâturages d’une économie ultra-libérale… Au bout de 8 ans de règne il n’en est finalement rien ou si peu… De même son annonce de la relance du nucléaire le 22 février 2022 à Belfort semble avoir de la peine à se réaliser. De nombreux obstacles se révèlent chemin faisant, au point qu’on peut se demander si la déclaration spectaculaire de relance avait été fondée sur une connaissance du dossier. Depuis des mois nous relatons dans nos articles les problèmes, malfaçons et retards qui perturbent la filière nucléaire française qu’il s’agisse du parc existant où de la mise en œuvre des nouveaux EPR et des SMR…De plus la récente réforme des outils de suivi et de contrôle de filière que constituaient L’ASN et l’IRSN semblent plus destinés à ″casser le thermomètre″ qu’à ″traiter la fièvre du malade″.
Dans le présent article nous exposerons 2 nouveaux problèmes de la filière rendus publics récemment : la question de l’enfouissement des déchets HAVL et l’impact du changement climatique sur le fonctionnement des centrales.
La rédaction du Clairon
Le projet CIGEO d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse)

Déchets nucléaires (Image par OpenClipart-Vectors de Pixabay)
Il s’agit d’enfouir en profondeur dans un sous-sol stable et pérenne les déchets radioactifs les plus dangereux et de gérer leur stockage sur le très long terme. 83000 m3 de colis de déchets radioactifs HAVL essentiellement issus des centrales nucléaires, devraient être enfouis à 500m sous terre, dans environ 250 km de galeries.
Après de nombreuses études sur l’emplacement du site, la définition des options techniques et de sûreté et la réalisation des démarches administratives et légales, un dossier de demande d’autorisation de création (DAC) est actuellement en cours d’instruction.
Le maître d’ouvrage Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) vient de rendre publique une évaluation du coût du projet. Ce coût global est estimé entre 26,1 et 0037, 5 Mds €. Lors du lancement du projet en 2016 ce coût avait été fixé à 25 Mds € par un arrêté de la Ministre de l’environnement et de l’énergie. Cette estimation nouvelle correspond à une hausse entre 4,4 et 50% par rapport au coût officiel fixé par l’arrêté. Selon la communication de l’Andra, les nouveaux coûts présentés étaient indiqués sur la base des conditions économiques de 2016 afin de favoriser les comparaisons avec les estimations précédentes.
Le coût global du projet Cigéo a été calculé en fonction d’une durée qui débute en 2016 et qui s’achève à l’horizon 2170 avec la fermeture du site. La mise en service du stockage étant prévue à l’horizon 2050.
Il se décompose en :
- 7,9 à 9,6 Mds € pour la construction et la mise en service de Cigéo
- 140 à 220 millions € par an à partir de la mise en service à l’horizon 2050 pour une période d’une centaine d’années terminée par des opérations de démantèlement / fermeture sur une vingtaines d’années soit un total entre 16, 5 et 25,9 Mds €.
- 1,7 à 2 Mds € consacrés à la recherche développement
- 0,5 à 1,9 Mds € de provisions prévues par l’Andra en couverture des risques de construction de Cigeo
La variation des sommes estimés montre que l’estimation d’un budget fiable pour un projet inédit et destiné à fonctionner sur un aussi log terme est un enjeu quasi impossible à tenir. De nombreux paramètres impactant les coûts futurs sont imprévisibles : quid des effets du changement climatique qui s’accentuera très sensiblement lors de la période de fonctionnement de Cigéo, quid du coût des matériaux et de l’énergie sur ce long terme, quid du coût en cas d’accident, etc. ?
Par ailleurs l’imprécision des coûts actuellement estimés rend le problème du financement du projet particulièrement ardu.
Un nouveau coût officiel devrait être fixé par le ministre chargé de l’Industrie et de l’Energie vers la fin 2025 après avis des industriels financeurs (EDF, ORANO, CEA) et de l’ASNR (Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection). Le ministère de la Transition énergétique devait ensuite délivrer le DAC au projet fin 2027 / début 2028 ce qui donnera le feu vert à la construction de Cigeo.
Mais ce qui n‘est pas pris en compte en l’état actuel du projet Cigeo, ce sont les futurs déchets radioactifs produits par les 6, voire les 14 nouveaux EPR2 annoncés par E. Macron dans le cadre de sa politique de relance du nucléaire !
L’impact du changement climatique sur le fonctionnement des centrales nucléaires
Centrale nucléaire au bord d’un fleuve (Image par Markus Distelrath de Pixabay)
C’est un fait avéré ; les épisodes de canicules et de sècheresse impactent le fonctionnement des centrales nucléaires. La Cour des comptes a étudié la question et publié en 2024 un rapport sur la pris en compte du problème par EDF.
Les centrales nucléaires ont besoin d’eau pour fonctionner : c’est pour cela qu’elles sont situées à proximité de ressources en eau (mers, rivières, lacs). Cette eau sert à la production de vapeur par les réacteurs et à leur refroidissement. En bout de circuit l’eau est rejetée dans le milieu aquatique. La température de l’eau rejetée est susceptible d’impacter le milieu aquatique c’est pourquoi ces rejets sont soumis à des normes.
En cas de canicule, la température de la mer ou des fleuves peut augmenter au point de perturber les circuits de refroidissement des centrales et produire des rejets aux températures hors normes. De même, un manque d’eau impacte les circuits de refroidissement des réacteurs et peut les contraindre à l’arrêt.
En conséquence le réchauffement climatique devient e une préoccupation essentielle pour les gestionnaires des centrales nucléaires.
Dans son rapport la Cour des comptes reconnait la prise en compte par EDF des effets du changement climatique dans ses projections. Mais jusqu’à présent les tensions sur la ressource en eau n’ont que peu impacté le fonctionnement des centrales EDF. Lors des 20 dernières années, les pertes de productions liées au changement climatique sont estimées en moyenne à 1%, sauf en 2023 où la canicule a augmenté le niveau de pertes à 1,5%. Par contre, ce résultat 2023 traduit en gigawatts représente tout de même 6 GW soit 10% de la capacité nucléaire installée. Si l’on se fonde sur un scénario d’évolution conjointe d’élévation de la température, suite au changement climatique et d’évolution des besoins, notamment en raison de l’électrification des usages et particulièrement d’un recours accru à la climatisation, la question de l’accès à la ressource en eau se posera avec une acuité croissante.
La réglementation en cours tient comptes des évolutions liées au changement climatique, mais il n’existe actuellement aucune évaluation chiffrée par EDF des investissements nécessaires à l’adaption des installations aux conséquences de ce changement (non seulement des systèmes de refroidissement sobres en eau, mais aussi des systèmes de traitement biocide rejetant moins de réactifs chimiques dans le milieu naturel).
En ce qui concerne les 6 et éventuellement 14 EPR2 dont la construction est prévue dans le plan de relance du nucléaire, la Cour des comptes demande que la question de la ressource en eau soit étudiée dès la phase de conception de ces engins.
Dans le cas particulier des 8 EPR2 qui seraient installés en bord de rivière sur des sites de centrales existantes, la Cour des comptes réclame une analyse minutieuse de leur d’implantation : des pertes de production peuvent être provoquées par le cumul des rejets des eaux du parc déjà existant avec celles produites par les nouveaux EPR2.
Le rapport de la Cour des comptes qui s’étonne qu’EDF et l’État n’aient pas plus pris en compte les conséquences du changement climatique se termine par 4 recommandations :
- Fiabiliser les mesures de prélèvement des centrales
- Calculer les coûts d’adaptation des centrales au changement climatiques
- Évaluer et communiquer les impacts de la contrainte hydrique sur les centrales situées en bord de rivière ou d’estuaire et si nécessaire réajuster leurs capacités de stockage ;
- Élaborer une approche commune Etat / EDF d’adaptation du nouveau nucléaire au changement climatique
Qu’il s’agisse d’enfouissement des déchets HAVL ou des systèmes de refroidissement des centrales, on ne peut que s’étonner de l’absence de certaines études pourtant indispensables à l’évolution de la filière nucléaire. Mais sur quoi et comment s’est fondée la décision de relance du nucléaire ?
Curly Mac Toole pour le Clairon de l’Atax le 20/05/2025
Notes
- paroles censées accomplir une action par le fait d’être prononcées[↩]